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Notices concernant des publications récentes, XVIe-XVIIIe siècles

 

Jean-Marie Maguin

Université Paul-Valéry, Montpellier

 

 

 

- Ineke Bocking, Pascale Drouet, et Béatrice Fonck [dir.], Shakespeare et Cervantès, regards croisés, Classiques Garnier, coll. « Rencontres », n°377, 2018, témoigne de l’activité critique comparée manifestée en l’année 2016 où l’on commémora le 400e anniversaire de la disparition des deux géants de la Renaissance européenne. Le volume évoque, entre autres, l’exploitation par Shakespeare du Don Quichotte dans la pièce perdue Cardenio (Roger Chartier) ; le rapport des deux auteurs aux juifs (John Edwards) ; la « bonne reine » Catherine d’Aragon, dont Shakespeare dresse le portrait dans Henry VIII (Jean-Baptiste Picy) ; « Lire ou ne pas lire ». Shakespeare, Cervantès et quels livres (Pascale Drouet) ; « L’Ambiguïté comme mode de construction de la réalité poétique » (John E. Jackson ; « …Shakespeare et Cervantès illustrés par Salvador Dali » (Pierre-Emmanuel Perrier de La Bâthie) ; « Shakespeare et Cervantès au prisme d’Orson Welles. Chimes at Midnight, Don Quichotte » (Gilles Menelgado).

- Un volume entièrement en anglais, King Henry V : A Critical Readered. Karen Britland et Line Cottegnies, The Arden Shakespeare, collec. Arden Early Modern Drama Guides, London: Bloomsbury, 2018 ; le volume, outre l’introduction et un index, présente neuf études parmi lesquelles, en ouverture, l’arrière-plan critique (James Mardock) ; puis Henry V et la religion (John Drakakis) ; la politique de la criminalité et de l’héroïsme (Christine Sukic) ; Azincourt et la suite, la perspective de l’adversaire (Elizabeth Pentland), Henry V à l’écran (Sarah Hatchuel), une liste des ressources à la disposition des étudiants et des enseignants (Gillian Woods).

- Sous la direction de Sophie Chiari, on trouve un volume consacré à la liberté et la censure de la littérature anglaise de la Renaissance (Freedom and Censorship in Early Modern English Literature, New York, Routledge, 2018) présente douze articles regroupés sous trois sections : le pouvoir des censeurs, Contraintes et liberté du théâtre, la censure de l’imprimé ; une coda de la plume de Roger Chartier ouvre la perspective historique de la question à l’ensemble européen.

- William C. Carrol et Pascale Drouet dirigent un recueil consacré à La Duchesse de Malfi de John Webster, pièce au programme de l’agrégation d’anglais 2019 (The Duchess of Malfi, Webster’s Tragedy of Blood, Paris, Belin / CNED, 2018). Le volume, entièrement en anglais, est introduit par Pascale Drouet et présente Webster en tant qu’artiste, puis s’intéresse aux sources littéraires du dramaturge et à sa créativité, avant d’emprunter des approches contextuelles : socio-politique, médicale et métaphysique ; la variété et le caractère hybride de l’œuvre sont examinés, et se trouve brossé pour finir un tableau du potentiel scénique de la pièce et ses échos dans la fiction de notre époque. Au total, 17 articles cernent cette œuvre fascinante et excessive, et l’on remarque parmi les noms des contributeurs ceux de Michael Neill, Aurélie Griffin, Pascale Drouet, Devin Byker, Mickaël Popelard, Guillaume Coatalen, Claire Guéron, Yan Braïlowsky, Estelle Rivier-Arnaud, Nathalie Rivère de Carles, Cecilia Istria-Dorland, et Laura Tosi.

- On trouve, entièrement de la plume de François Laroque et rédigée en français celle-là, une autre étude de la pièce de Webster, (John Webster, The Duchess of Malfi, Ellipses, Paris 2018). Ce volume de 236 pages et d’architecture classique, couvrant de façon rassurante pour les candidats au concours et leurs préparateurs les grands espaces traditionnels (l’auteur et son œuvre, le contexte politique, culturel et artistique, la pièce et ses personnages), s’ouvre habilement à des considérations fines et originales touchant à la thématique et aux images, au mariage et à la sexualité, à la mort et à ses représentations. On trouve ainsi des pages sur le secret, l’art de la feinte, les sciences, la climatologie, les poisons et la sorcellerie, le désir féminin, le montré et le caché, la mortification, toutes veines où la culture de l’auteur s’investit avec sa richesse et sa variété. Au total, François Laroque démonte bien les ressorts qui font de cette pièce de théâtre un objet captivant, tout en montrant les limites, souvent passées sous silence, de l’originalité webstérienne.

- Andrew Hiscock, professeur de littérature de la Renaissance à l’Université de Bangor (UK) et associé à l’Institut de Recherche sur la Renaissance, l’Âge Classique et les Lumières (IRCL, UMR 5186 du CNRS) à l’Université Paul-Valéry (Montpellier, France), livre coup sur coup deux ouvrages aussi substantiels qu’importants :

• Le premier The Routledge Book of Shakespeare and Memory, édité en association avec Lina Perkins Wilder, étend son enquête au théâtre de la Renaissance, à la culture de l’imprimé, aux adaptations de la période postcoloniale, aux arts visuels, au film et à la représentation, aux nouveaux médias, et aux interprétations actuelles. Au-delà du panorama ainsi dressé dans une première partie, les sections 2, 3, 4, et 5 suivent les genres dans lesquels l’œuvre shakespearienne est traditionnellement répartie : Tragédies, Pièces historiques, Comédies, Poésies. Une sixième et dernière section fait le point actuel sur l’Art de la mémoire et les études shakespeariennes. Le volume de 362 pages comporte une bibliographie et un index. 

• Le second volume concerne la littérature de la Renaissance anglaise et la religion (The Oxford Handbook of Early Modern English Literature and Religion, Oxford: University Press, 802 p.) est dirigé par Andrew Hiscock et Helen Wilcox. Une première partie dresse la liste des formes pratiques et croyances de la Grande Bretagne à la Renaissance : Stephen Kelly, David Bagghi, John H. King, Torrance Kirby, Charles W.A. Prior, Jacqueline Eales et Grant Tapsell réalise cet inventaire qui nous mène de la période précédant le schisme à la Réforme henricienne, jusqu’au milieu de la période Tudor et à la naissance de l’Église élisabéthaine et aux origines de l’anglicanisme, passant ensuite à la controverse qui marque le début de la dynastie Stuart puis à la période républicaine (1642-1660), pour examiner enfin les rapports entre la religion et le gouvernements de la dynastie Stuart prolongée. La deuxième partie interroge les genres littéraires empruntés par l’expression de la foi. Rachel Willie envisage la traduction, Erica Longfellow la prière et la prophétie, Elizabeth Clarke et Simon Jackson la poésie lyrique, Adrian Streete le théâtre, Jeanne Shami le sermon, Katharine Hodgkin les écrits autobiographiques, Anne Lake Prescot la satire et la polémique, Jan Bloemendal les écrits néo-latins et la religion. La troisième partie restreint le champ en portant son regard sur des groupes ou des individus éminents de l’espace religieux et littéraire. Andrew Hiscock envisage l’apport anglais original avec Érasme, Colet, More et leur cercle. Mike Pincombe et Gavin Schartz-Leeper présentent les tragédies des tyrans retracées dans le Livre des Martyrs de John Foxe. Elizabeth Heale étudie Edmund Spenser. Lisa Hopkins traite de Christopher Marlowe et de la religion. Nandra Perry et Robert E. Stillman nous montrent les rapports entre piété et poésie chez Philip Sidney et Mary Sidney Herbert. Hugh Adlington est en charge de John Donne, Robert Wilcher de Lucy Hutchinson. Catherine Gimelli Martin traite de John Milton. La quatrième partie présente les communautés auxquelles ces groupes et auteurs individuels s’adossent (Interpretative Communities) : les grandes familles laïques (Suzanne Trill), les communautés religieuses féminines (Nicky Hallett), les groupes sectaires (Johanna Harris, les Quakers (Catie Gill), les exilés reçus en Angleterre (Alison Searle), les exilés à l’étranger (Jaime Goodrich), la diaspora juive (Jeffrey Shoulson), les communautés islamiques (Bernadette Andrea), les colons des Nouveaux Mondes (Christopher Hodgkins). La cinquième et dernière partie présente la vie religieuse avec ses débats et ses enjeux. Hannibal Hamlin traite de la Bible et Timothy Rosendale de l’autorité, de la religion et de l’État. Bronwen Price examine les débats entre la religion et la science. Margaret J.M. Ezell aborde les rapports entre le corps et l’âme et Helen Wilcox ceux entre l’amour sacré et l’amour profane. Peter Carlson se penche sur l’art de mourir et P.G. Stanwood sur le péché, le Jugement et l’éternité.

En appendice, Jesse David Sharpe a conçu un Guide du chercheur débutant dans le champ couvert par le volume que closent une bibliographie très riche et un index.

Les deux maîtres d’œuvre, Andrew Hiscock et Helen Wilcox, doivent être félicités pour avoir conçu une stratégie d’exploration et de présentation des problématiques concernées aussi exigeante qu’elle est efficace. Ce livre est un instrument de référence indispensable à toute bonne bibliothèque littéraire ou religieuse. Son importance est telle qu’elle nous pousse à formuler le vœu qu’une réédition future voit la troisième partie enrichie d’un article consacré à la vie et l’œuvre poétique de George Herbert.

- Elizabeth S. Cohen et Margaret Reeves éditent un volume consacré à la jeunesse des femmes du début de la Renaissance (The Youth of Early Modern Women, Amsterdam University Press, 2018), seize essais solidement nourris de sources primaires (œuvres littéraires, autobiographies, documents judiciaires et psychiatriques) s’intéressent à la période située entre l’enfance et l’âge adulte et temps de changements physiologiques, sociaux et psychologiques bel et bien perçus par l’époque. Du seizième au dix-huitième siècle, l’enquête parcourt l’Angleterre, la France, l’Irlande, l’Italie, la France, les Pays-Bas, la Suisse, l’Espagne et le Mexique en notant la préparation dispensée pour faire face à l’âge adulte, aux rituels de séduction et à l’émergence de la sexualité des jeunes filles.

- Sarah Hatchuel et Nathalie Vienne-Guerrin dirigent un recueil consacré à Shakespeare à l’écran, envisageant La Tempête et les pièces romanesques tardives (Shakespeare on Screen : The Tempest and Late Romances, Cambridge University Press, 2017), second titre d’une série relancée en 2017 avec un volume consacré à Othello. Seize essais et une bibliographie couvrent une période de mises en film et d’adaptations spectaculaires allant du film muet dirigé par Lucius J. Henderson, Cymbeline (1913), à la représentation retransmise en direct du Royal Ballet inspiré par Le Conte d’Hiver (2014).

- Pascale Drouet et Philippe Grosos dirigent et publient aux Éditions Hermann un Shakespeare au risque de la philosophie réunissant 21 contributions d’anglicistes et de philosophes qui, tout en se gardant de faire du dramaturge lui-même un philosophe, rendent compte des influences exercées sur son théâtre par les écoles et les figures illustrant la philosophie de l’Antiquité et de la Renaissance.

- Élisabeth Angel-Perez et François Lecercle coordonnent un volume collectif intitulé La Haine de Shakespeare qui donne libre cours aux diverses formes d’insatisfactions et de grogne suscitées par le grand homme, et ce au titre d’antidote nécessaire suite aux célébrations du 450e anniversaire de sa naissance. Le volume est le deuxième de la collection e-Theatrum Mundi des Presses Universitaires de Paris Sorbonne et regroupe une vingtaine de contributions. Il est gratuitement téléchargeable.

- La traduction, sujet aussi inépuisable que l’insatisfaction des traducteurs – c’est vrai en tout cas des traducteurs de Shakespeare en français –, constitue le thème du recueil dirigé par Christine Berthin, Laetitia Sansonetti et Emily Eells : Auteurs-traducteurs : l’entre-deux de l’écriture (collec. Chemins croisés, Presses Universitaires de Paris Nanterre, 2018). Quatorze textes s’y trouvent présentés qui jaugent le statut du traducteur, sa passivité ou son autorité. Mylène Lacroix s’interroge sur une démocratisation de la traduction shakespearienne dans « Des grands noms aux anonymes… », et Bénédicte Coadou étudie Cervantès concurrent d’Héliodore, pseudo-traducteur et créateur dans sa dernière œuvre romanesque imitée du roman grec: Les Travaux de Persille et Sigismonde, publication posthume de 1617.

- Richard Hillman, Sidney’s Arcadia on the French Stage, collec. ‘Scène Européenne – Elizabeth Ière Traductions Introuvables’, Presses Universitaires François-Rabelais, Tours, 2018, 208 p. L’auteur y donne en grande première une traduction en anglais de deux adaptations dramatiques françaises de l’Arcadie, roman pastoral influent de Philip Sidney : Phalante, tragédie de Jean Galaut (vers 1598) et La Cour bergère…, tragicomédie d’André Mareschal (1638). Chaque traduction est précédée d’une introduction qui replace ces pièces dans leur contexte culturel, littéraire et théâtral et explore leurs perceptions propres de l’œuvre de Sidney. Hillman conforte ici avec talent son rôle choisi de passeur en anglais du théâtre français des seizième et dix-septième siècles.

- Sophie Chiari, Shakespeare’s Representation of Weather, Climate and Environment – The Early Modern ‘Fated Sky’, Edinburgh University Press, 2018, 320 p. Cette étude rejoint le nombre grossissant d’approches éco-critiques de textes littéraires. L’auteur explore ici l’importance du climat comme nous l’entendons sans oublier les interprétations religieuses et populaires qu’il recevait à la Renaissance. D’où le sous-titre inscrivant de façon solennelle le « Ciel du destin » (The Early Modern Fated Sky) sur la belle illustration tirée du tableau en décor simultané de l’anonyme anversois ou leydois (vers 1520) qui est conservé au Louvre et qui montre le patriarche enivré entrepris devant sa tente par une de ses demoiselles, alors qu’à l’arrière-plan des météores foudroient la cité condamnée et les navires au port. Sophie Chiari montre bien comment Shakespeare, ici encore, associe les approches savantes de son temps et les croyances populaires, et comment la représentation à la scène des phénomènes climatiques façonnent la perception de l’œuvre shakespearienne. Un livre stimulant qui fournit, bien sûr, une bibliographie et un index.

- Aurélie Griffin, La Muse de l’humeur noire. Urania de Lady Mary Wroth : Une poétique de la mélancolie, Classiques Garnier, 2018, 645 p. Cette étude se propose de mieux ancrer dans la mémoire littéraire ce premier roman en prose écrit par une anglaise, et publié en 1621. Lady Mary Wroth est un personnage important de la Cour de Jacques Ier, amie de la reine Anne, fille de poète, cousine de Walter Raleigh, grand navigateur, homme d’action et courtisan en vue sous le règne d’Elizabeth Ière, écrivain et poète, connaissant la disgrâce sous Jacques Ier, enfermé dans la Tour de Londres où il continue à écrire, et décapité en 1618. Lady Mary Wroth (1587-vers 1652), comtesse de Montgomery est aussi la nièce de Mary Herbert (née Sidney), comtesse de Pembroke, grande mécène des auteurs littéraires, elle-même écrivain et considérée de son temps comme une figure littéraire majeure à l’égale de Spenser, de son frère Philip Sidney, ou de Shakespeare. Cette extrême imbrication dans le milieu aristocratique et littéraire vaut d’être soulignée, bon sang ne sachant mentir. L’étude d’Aurélie Griffin saisit, tour à tour, le « roman de la mélancolie », ses paysages mélancoliques qui opposent le locus amoenus au locus terribilis, les symptômes et remèdes de la mélancolie, le jeu de la mélancolie dans la structure narrative. Une deuxième partie est consacrée à l’écriture de la mélancolie, réflexive, noire, écriture du sentiment. La troisième et dernière partie pointe la mélancolie comme symptôme d’un monde en crise où elle réinvente l’héroïsme, notamment au féminin. L’étude explore enfin la mélancolie sous ses couleurs religieuses (monde déchu, peuplé de martyrs et de pénitents, monde des larmes de l’amour profane et de l’amour divin) et littéraires où la nostalgie née d’un sentiment d’inaccessibilité se retourne en tentation parodique. Il s’agit là d’une l’étude importante, réhabilitant une figure littéraire et une œuvre injustement négligées et mettant, avec justesse et sensibilité, l’accent sur une humeur dont on sait l’importance centrale dans l’ethos la Renaissance.

- Ladan Niayesh, Three Romances of Eastern Conquest, Revels Plays Companion Library Series, Manchester University Press, 2018, 312 p. Spécialiste de la littérature de voyage des XVIe et XVIIe siècles et de l’image de l’Orient et de la Perse reçue en Angleterre à l’époque, Ladan Niayesh qui contribue au volume collectif Travel and Drama in Early Modern England, Cambridge: University Press, 2018, recensé plus haut, introduit, édite et annote ici le texte, présenté pour la première fois en orthographe modernisé, de trois pièces qui eurent leur heure de gloire à leur naissance sous la plume de trois dramaturges en vue, et qui étaient aujourd’hui délaissées, exception faite de quelques rééditions plutôt confidentielles en ce tout début du XXIe siècle (Ann Arbor-Oxford, Malone Society). Il s’agit de l’Histoire comique d’Alphonse, roi d’Aragon de Robert Greene, de Soliman et Perséda de Thomas Kyd et des Quatre apprentis de Londres de Thomas Heywood. Les trois pièces se situent dans le genre, très populaire à l’époque, du romanesque héroïque. La pièce de Heywood sera en butte à la satire de Francis Beaumont dans sa pièce à succès, Le Chevalier de l’Ardent Pilon (The Knight of the Burning Pestle, 1607). Les grandes puissances européennes – dont les peuples tremblent devant la menace de l’Empire Ottoman, cristallisée par le siège de Vienne (1529) – cherchent, l’Angleterre comme la France, à conclure une alliance avec la Sublime Porte. Aussi la puissance turque et l’islam qu’elle promeut font de l’Orient un sujet d’étonnement et de curiosité populaire que les scènes londoniennes sont promptes à exploiter. Certaines anecdotes générées par des ambassades à Londres venues du Moyen-Orient témoignent de cet intérêt mélangé d’extrême méfiance. Le grand avantage de ce trio de pièces réuni par Ladan Niayesh est de permettre la mise au jour de ce riche substrat culturel et ethnique qui concerne toujours, ô combien, le monde géopolitique actuel, de même que cette association met le lecteur en mesure d’apprécier la force dramatique de la veine héroïco-romanesque que Cervantès abonde à sa manière à la même époque dans son étonnant Don Quichotte. Ce volume conviendra autant au spécialiste de la période, à l’historien du théâtre qu’à l’amateur éclairé et au spectateur s’il a la chance de pouvoir assister à une mise en scène de ces œuvres. Le volume propose un index. Cette publication, à la fois savante et très abordable, est un succès.

- Guillaume Coatalen, ed. Two Elizabethan Treatises on Rhetoric, collec. ‘International Studies in the History of Rhetoric’, Brill, 2017. Guillaume Coatalen s’intéresse aux manuscrits de la Renaissance anglaise, à la rhétorique en général, et au personnage d’Elizabeth Ière. Il nous donne dans ce volume, deux éditions annotées de traités de rhétorique peu accessibles, Le Fondement de la rhétorique (The Foundacion of Rhetorike) de Richard Reynolds (1563) dont la dernière édition remonte au facsimile de 1945 par Scholars’ Facsimiles and Reprints, et Bref discours de la Rhétorique (A Brief Discourse of Rhetorike) de William Medley (1575), qui ne survit que sous forme d’un manuscrit unique. Le traité de Reynolds est adapté du manuel scolaire d’Aphtonios, rhéteur grec de la fin du IVe siècle, les Progynasmata ou exercices préparatoires à la rhétorique, largement connus et pratiqués dans l’enseignement européen et qui prépare la voie de L’Art de la Rhétorique (The Arte of Rhetoricke) de Thomas Wilson (1553, etc.). William Medley ouvre, lui, la discussion à la prose périodique en faveur chez les orateurs et où la chute de la phrase, soigneusement différée, révèle l’intention du tribun. Les deux traités montrent l’évolution de la rhétorique en langue anglaise pendant la période élisabéthaine, notamment dans les cercles aristocratiques. Le voile levé sur ces deux textes par Guillaume Coatalen sera apprécié de tous ceux qui s’intéressent à la rhétorique, ou plus largement à la stylistique.

- J.M. Maguin, Shakespeare and the Rhetoric of Elocution : Thirteen Plays, Amazon, 2017. Édition nouvelle, révisée et augmentée, 2018 (2 formats disponibles : électronique et broché, 703 p.)

C’est à l’utilisation faite par Shakespeare de la rhétorique des figures, à commencer par les plus fréquentes, que l’auteur s’intéresse. Le corpus des œuvres dramatiques étudiées comprend treize pièces couvrant la totalité de sa carrière de dramaturge londonien et illustrant les genres de la comédie, des pièces historiques et de la tragédie : Richard III, Peines d’amour perdues, Roméo et Juliette, Le Songe d’une nuit d’été, Richard II, 1 Henry IV, Jules César, La Nuit des rois, Mesure pour mesure, Othello, Antoine et Cléopâtre, Coriolan, et La Tempête. L’introduction vise à présenter la rhétorique classique de façon simple et systématique pour la rendre abordable au non-initié, et faire le point avec les lecteurs déjà adeptes. La rhétorique, discipline majeure de l’enseignement littéraire classique, fut en partie victime de son succès. La poussière des siècles s’est déposée sur elle sous forme d’inventions occasionnellement  superfétatoires et de termes alambiqués constituant parfois des doublons de figures déjà connues sous d’autres appellations. Aussi les figures retenues dans cette étude, sous la terminologie la plus courante, concernent-elles les manipulations stylistiques les plus fréquentes, sans qu’il soit interdit ici ou là de pousser plus avant si une figure se trouve être emblématique de l’expression d’une pensée, d’un style, ou d’une mode littéraire. L’étymologie de chaque figure est rappelée, de même que son nom français et son genre grammatical. La définition de la figure envisagée est reprise au moment opportun pour chacune des treize pièces, afin d’éviter au lecteur la gymnastique rapidement lassante qui consiste à se référer à un glossaire en fin de volume, glossaire fourni par ailleurs. Aussi souvent que possible, des microanalyses montrent comment à partir d’un phénomène rhétorique se tire un fil interprétatif menant au cœur de l’œuvre et de son contexte historique et culturel. Rhétorique et sémiologie du théâtre se marient dans ces explorations. Le lecteur y trouvera la preuve manifeste que la rhétorique ne se limite pas à un catalogue de figures où épingler mécaniquement les exemples rencontrés lors de la lecture. On ‘rhétorique’ comme on herborise, non dans un simple esprit de collection, mais pour les bienfaits que l’on peut attendre de sa quête. Chacune des treize sections se termine par une synthèse sur la pièce considérée, et le volume trouve sa conclusion en ouvrant la perspective sur ce vieux rêve ne remonte-t-il pas à Aristote ? – consistant à utiliser la rhétorique classique comme outil pour l’analyse de la représentation des spectacles. Au-delà de la longue impasse où l’espoir mis en la linguistique pour fournir des outils scientifiques appropriés nous avait conduit, le pari ancien misant sur la rhétorique est gagné, et le rêve, devenu réalité, est à la portée de chacun. Le livre propose un glossaire des termes techniques, une bibliographie, et un index des noms cités.

- Anonyme, Mucédorus, introduction et traduction française de Jean-Paul Débax, collec. « Scène européenne, Traductions introuvables », Presses Universitaires François-Rabelais, Tours, 2018, 128 p. Quelle est la pièce de théâtre la plus populaire de la Renaissance anglaise ? – Heu… C’est la pièce anonyme Mucedorus écrite vers 1590. Son succès insigne lui valut d’être attribuée à Shakespeare et l’on en retrouve le texte dans les éditions des œuvres apocryphes du barde. À la question « combien de nos contemporains l’ont-ils lue ou vue jouer ? », par charité, il ne sera pas fait de réponse. La pièce illustre le genre héroïco-romanesque (genre illustré dans les Three Romances of Eastern Conquest de Ladan Niayesh examiné plus haut) : intrigue ébouriffante, prince travesti, belle princesse, union garantie in fine après des affrontements avec des monstres, ours (l’époque, qui adore les combats d’animaux, construit des arènes ad hoc, ou fait en sorte que les théâtres puissent aussi servir à ces jeux), homme sauvage… La traduction que donne Jean-Paul Débax, spécialiste du théâtre des XVe et XVIe siècles, est excellente. Son introduction, qui est un modèle d’érudition abordable, cerne les raisons qui expliquent la popularité de ce type de spectacle dont l’importance tant à être injustement minorée par une approche volontiers élitiste du théâtre anglais de la Renaissance. Il est heureux qu’il se trouve des éditeurs pour publier des travaux que la grande majorité de leurs confrères du monde commercial écarteraient comme non rentables. Il est heureux qu’en amont il y ait des spécialistes comme Jean-Paul Débax qui ont l’élégance de rendre leur savoir aussi amène.

 

- Dominique Goy Blanquet, Shakespeare in the Theatre : Patrice Chéreau, The Arden Shakespeare, 2018, 272 p. (5 illustrations en noir et blanc), format PDF eBook (Watermarked). Spécialiste du théâtre de la Renaissance anglaise, Dominique Goy Blanquet explore ici la carrière de Patrice Chéreau (1944-2013) un des plus grands metteurs en scène français de notre temps, connu pour son travail sur le théâtre et l’opéra, mais aussi réalisateur, producteur de films et acteur. Il est de ceux qui ont fortement marqué l’interprétation de Shakespeare, auquel il vient à 26 ans en 1970 avec un Richard II dont l’innovation est jugée iconoclaste par son traducteur. Cette réalisation le rend d’un coup célèbre, et Chéreau consacrera beaucoup de son temps à la lecture patiente et méticuleuse des textes shakespeariens. Dominique Goy Blanquet, au fil des neuf chapitres que compte le livre, dépeint les années formatrices, les premières rencontres avec des œuvres élisabéthaines, le travail accompli à Nanterre au Théâtre des Amandiers (que Chéreau dirige de 1982 à 1990), où est montée une école, avec deux salles de spectacle dont l’une est conçue pour être entièrement adaptable, où l’on trouve une librairie, un restaurant, un studio d’expérimentation de production cinématographique. Et puis Hamlet, l’œuvre réalisée au Louvre, l’adieu à Shakespeare, et les héritiers du metteur en scène et visionnaire du théâtre. L’ouvrage propose en appendice une Chronologie des réalisations principales et une liste de personnes citées. Il fallait que ce portrait, nourri des nombreuses interviews données par Chéreau et de l’expérience personnelle de l’auteur, fût mis à la disposition du lectorat anglophone.

 

- Adele Seeff, South Africa’s Shakespeare and the Drama of Language and Identity, Palgrave (Le Shakespeare de l’Afrique du Sud et le drame de la langue et de l’identité), 2018. Ce volume réfléchit aux complexités linguistiques associées à la présence de Shakespeare en Afrique du Sud depuis 1801 (date à laquelle on enregistre une première représentation d’un drame shakespearien au Cap) jusqu'au début du XXIe siècle. Procédant par études de cas, ce travail montre comment les textes de Shakespeare ont servi l’idéologie qui inspira certains programmes linguistiques. Le chapitre 3 révèle trois vecteurs d’une diaspora shakespearienne qui se renforce pendant la deuxième moitié du XIXe siècle par l’anglais, l’afrikaans et le setswana. Le chapitre 4 analyse la transposition en kaaps (forme de d’afrikaaans parlée par les gens de couleur du Cap) de La Comédie des erreurs par André Brink dans Kinkels innie Kabel entendu comme critique radicale de l’obsession développée par l’apartheid d’une pureté linguistique et ethnique. Le chapitre 5 s’intéresse à l’interprétation d’Othello par John Kani, faisant du personnage un chef guerrier xhosa conformément à l’ancienne tradition des conteurs xhosas. La minisérie télévisuelle « Shakespeare en Mzansi » (mot xhosa désignant l’Afrique du Sud) s’appuie sur des acteurs noirs, des idiomes vernaculaires et des sites locaux pour africaniser Macbeth, et réhabiliter un multilinguisme pluriculturel. Une Postface évalue l’avenir de Shakespeare dans une Afrique du Sud en pleine décolonisation. Ce livre intéressera une grande variété de lecteurs concernés par les études shakespeariennes en général, Shakespeare dans le monde, Shakespeare et la scène, Shakespeare et l’appropriation, Shakespeare et le langage, Shakespeare et l’alphabétisation, et par l’histoire culturelle de l’Afrique du Sud.

 

- Nadine Akkerman, Invisible Agents : Women and Espionage in Seventeenth-Century England, Oxford University Press, 2018, 288 p. (2 formats : relié et eBook). Nadine Akkerman, qui a analysé et édité la correspondance d’Elizabeth Stuart, fille de Jacques VI, roi d’Écosse, et d’Anne de Danemark (3e volume à paraître en 2020) et dont elle prépare une biographie, nous donne avec Invisible Agents… la première étude portant sur le rôle des espionnes à l’œuvre pendant la Guerre Civile, défiant l’entendement tacite antérieur selon lequel les agents de l’espionnage étaient tous des hommes. Elle explore la mécanique du métier et l’utilisation qui est faite des chiffres et des codes, des encres invisibles. Nadine Akkerman offre pour finir une série de cinq études de cas concernant Susan Hyde, arrêtée sous Cromwell pour appartenance supposée à un dangereux réseau royaliste, Elizabeth Murray, Elizabeth Carey, Anne Lady Halkett, et Aphra Behn, la romancière, pour essayer d’établir si ses Lettres d’Anvers (1666-1667) constituent des rapports d’authentiques missions d’espionnage ou s’inscrivent dans une veine fictionnelle. Le livre, qui comporte une bibliographie et un index, a été chaleureusement accueilli par la grande presse britannique.

 

- Karen Raber, Shakespeare and Posthumanist Theory, The Arden Shakespeare, collec. Shakespeare and Theory, Bloomsbury Publishing 2018, 216 p. (3 formats : relié, EPUB/MOBI eBook [Watermarked], PDF eBook [Watermarked]). Les mouvements intellectuels, artistiques, philosophiques qui agitent comme bannière le dépassement, voire le reniement d’un drapeau antérieur ne sont pas sans poser quelques problèmes de définition. Savoir où ne pas situer le centre de leurs préoccupations, c’est-à-dire dans l’autrefois débordé, vaut-il connaissance de leur lieu exact d’élection et des valeurs qui s’y trouvent affirmées ? Le cas du posthumanisme se complique encore de son degré de proximité, diversement apprécié, avec le transhumanisme qui met sa foi dans un être nouveau – plutôt inquiétant par la pluralité des possibles qui forment son mystère –, être engendré par des disciplines scientifiques en progrès indéfini et mal défini dans son acceptabilité, comme la génétique par exemple. Il est vrai cependant que tous les temps ont connu l’affrontement de l’ancien et du moderne, et que l’époque de Shakespeare se situe justement sur une fracture épistémologique majeure consciemment vécue dans la douleur, tant par ceux qui appellent le renouveau de leurs vœux que par les autres qui le vouent aux gémonies. Le tout est de savoir comment, pratiquement, 1) on raccroche Shakespeare à une doctrine qui s’appuie sur des disciplines très différentes de celles qui balisaient la pensée de son temps ; et 2) quels avantages incontestables on tire de la démarche. Dans son premier chapitre, Karen Raber postule que nous n’avons jamais été humanistes (?), et examine les généalogies du posthumanisme. Les quatre chapitres suivants s’intéressent à la cosmographie posthumaine, aux corps et aux esprits, à ce qui n’est « ni poisson ni oiseau » (ou « ni poisson ni viande », selon l’expression anglaise employée par le Falstaff de Shakespeare) signifiant la difficulté de catégoriser ce que l’on observe, et qui se tourne enfin vers le « technobarde ». Le dernier chapitre s’interroge sur le post-posthumanisme, concluant sur un « retour vers le futur ». Le volume propose une bibliographie et un index.

 

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