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Jonathan Swift Gulliver’s Travels

 

Emmanuelle Peraldo

 

Collection Clefs Concours – Anglais Littérature. 

Neuilly : Atlande, 2020

Broché. 186 pages. ISBN 978-2350306957. 19 €

 

Recension d’Hélène Dachez

Université Toulouse Jean-Jaurès

 

 

 

Cet ouvrage, dédié à la mémoire d’Anne Dromart, fait partie de la collection « Les Clefs concours Anglais—Littérature ». Il débute par un sommaire [10-13], suivi par une « Introduction » [15-17], puis par des « Repères » extrêmement utiles [19-61], et par une étude des « Thèmes » principaux présents dans l’œuvre de Swift [63-135]. Vient ensuite une partie intitulée « Synthèse et perspectives » [137-153], puis une « Relecture de l’humain et de l’animal dans une perspective écocritique et posthumaniste » [135-170]. L’ouvrage s’achève par un chapitre intitulé « Outils » [171-186], où le lecteur trouve d’ « Autres thèmes exploitables—pistes de réflexion » (très bienvenus, notamment si l’on pense aux épreuves de dissertation [écrit] et de leçon [oral] de l’agrégation externe d’anglais), une « Chronologie des Voyages de Gulliver », une bibliographie et un « Glossaire », qui propose une définition claire des termes littéraires présents dans l’analyse.

Le plan suivi est très logique. La langue est très claire et très agréable à lire, tout en étant dense et synthétique. La reprise de certains passages de l’œuvre, notamment du paratexte, permet à l’analyse de s’enrichir peu à peu et de progresser constamment. L’étude profite aussi de la méthode d’analyse, qui croise réflexions sur chaque voyage et analyse de ces quatre voyages les uns par rapport aux autres, pour faire ressortir le sens de l’œuvre dans son ensemble. Les citations sont toujours bien choisies et analysées avec soin et méthode, et les transitions sont constamment ménagées avec souplesse. En outre, la mise en gras des idées-clé permettra aux candidats à l’agrégation de repérer et / ou de réviser de manière efficace les notions principales. 

Dans l’ « Introduction » [15-17], Emmanuelle Peraldo souligne les enjeux du texte de Swift (sa « dimension universelle », sa « plasticité » et son caractère « insaisissable » [15]). Elle voit dans ce classique de la littérature anglaise du XVIIIe siècle un ouvrage dont le « sens reste suspendu à la mission herméneutique du lecteur » [16]. Elle expose ensuite l’importance de la satire, et présente le plan que son travail suivra.  

La partie « Repères » [19-61] débute par une étude de « L’Époque et l’auteur » [21-28], où Emmanuelle Peraldo retrace la biographie de Swift, en lien avec GT. L’analyse du « Contexte historique » [23-26] retrace de manière très utile les rapports entre Swift et l’Irlande, ainsi que ceux entre l’écrivain, les Whigs et les Tories, et explique comment ces rapports sont retranscrits dans GT. Il est à noter que, dans tout l’ouvrage, les mises en contexte sont extrêmement claires et utiles au lecteur qui n’est pas spécialiste de la période. La rubrique « Contexte littéraire » [27-28] retrace le paysage littéraire du XVIIIe siècle, en insistant avec beaucoup d’efficacité sur les genres qui y prospèrent (le récit de voyage) ou qui s’y développent (le roman, « novel »). Le chapitre « L’Auteur et l’œuvre » [29-36] replace GT dans la carrière satirique de Swift, auteur de pamphlets et de poèmes, qui fait alterner attaques particulières et générales. L’étude de la « Genèse de l’œuvre, [des] influences reçues ou niées » [32-36] explique de manière limpide l’influence des historiens anciens et modernes sur Swift, celle du « Scriblerus Club », et propose des comparaisons très intéressantes entre Swift et Defoe, avant de se pencher sur les sources françaises de l’ouvrage. La dernière partie des « Repères » (« L’œuvre : Gulliver’s Travels [1726] » [37-61]) met en avant la structure de l’œuvre de Swift, notamment la fonction de son « paratexte déstabilisant » [37], tout en mettant en parallèle les éditions de 1726 et de 1735. Elle se penche de manière convaincante sur le « protocole d’arrivée » [39] des voyages, sur la signification de la « Fragmentation [du texte] en quatre livres » [42], et sur le « Statut générique du texte » [48-61], en particulier sur ses liens avec les récits de voyages, si courants à l’époque, avec la satire et avec l’utopie / dystopie, pour conclure que le texte de Swift se définit essentiellement par sa « plasticité générique » [61].

La partie suivante est consacrée aux « Thèmes » [63-135] de l’œuvre. Ici aussi, la mise en contexte est excellente et les analyses sont très réussies. Emmanuelle Peraldo montre par exemple comment les notions essentielles à l’époque (tels l’empirisme, la relativité, le lien de l’homme avec le monde animal, les langues et le langage, la satire ou encore la guerre] sont exploitées par Swift dans GT. Les notions défendues par les philosophes, par les penseurs et par les auteurs de l’époque ou des époques précédentes (par exemple, Daniel Defoe, René Descartes, Robert Hooke, John Locke, Alexander Pope, Thomas Sprat, etc.) sont analysées en lien avec GT avec beaucoup de succès, et éclairent le sens profond de cette œuvre, ainsi que le traitement que Swift réserve à son personnage et à ceux que ce dernier rencontre. Les pages sur l’animalisation ou la réification de l’humain et l’humanisation de l’animal [71-78], et sur la déformation du corps, donné en spectacle, et qui crée, en particulier s’il est féminin, dégoût et rejet, sont particulièrement stimulantes. Emmanuelle Peraldo se penche ensuite sur l’étude des « Langues, [du] langage et [de la] (non-)communication » [95-108]. Elle insiste sur le contexte (le XVIIIe siècle s’intéressait de près aux changements et à l’universalisation de la langue), ainsi que sur la fonction et sur les modalités du mensonge, de la censure et de l’auto-censure, et conclut sur l’importance des « limites du langage » [107]. Les pages qui suivent proposent une étude de la satire (en lien avec l’histoire, la parodie et l’ironie), de ses cibles (particulières et / ou générales) dans les domaines de la science, de la politique et de la littérature. Les pages sur le « Satirique satirisé » [122-124] sont remarquables. Le dernier thème traité est celui de la « Guerre et [du] jeu » [125-135]. Les rappels historiques y sont très appréciables, notamment sur la guerre de Neuf Ans et sur la guerre de Succession d’Espagne, et l’étude des combats et des préoccupations de l’époque (par exemple, faut-il une armée permanente, ou une armée ponctuelle ?) est parfaitement conduite.

La partie qui porte le titre « Synthèse et perspectives » [137-170] s’attache tout d’abord à explorer les « Lieux réels et [les] lieux imaginaires », pour montrer en quoi la géographie de GT est « paradoxale » [139]. Sont exploitées la présence et la fonction des cartes (falsifiées) qui se trouvent à l’orée de chacun des quatre voyages, en lien avec la notion de « réalisme formel » [141]. L’étude du jeu et du dialogue qui s’instaure entre lieux imaginaires et lieux réels est très réussie. La dernière partie de l’étude propose une « Relecture de l’humain et de l’animal dans une perspective écocritique et posthumaniste » [135-170]. L’auteure montre de manière convaincante comment Gulliver peut s’interpréter comme le « porte-parole des animaux maltraités ou exploités » [157], comment Swift, par l’intermédiaire de son personnage, donne une voix aux animaux, s’insurge contre la cruauté dont ils sont victimes et pose la question de l’identité et de la place de l’homme dans la nature. Emmanuelle Peraldo propose une interprétation novatrice de la fin de l’ouvrage (où Gulliver parle avec ses chevaux, ce que d’aucuns interprètent comme un symptôme de sa misanthropie et de sa folie) en posant la question suivante, qui clôt brillamment l’analyse : « Ne pourrait-on pas émettre l’hypothèse […] que ces conversations trans-espèces font la démonstration que Gulliver a su faire usage de sa raison et du savoir acquis par ses voyages pour développer ses capacités d’empathie envers les animaux et de remise en question de sa propre place dans le monde ? » [170].

Pour conclure, cet ouvrage est très réussi. Les analyses sont convaincantes et souvent originales. La démarche de l’auteure, qui consiste à mettre systématiquement en contexte ses études et à faire alterner les micro-lectures de citations et les macroanalyses du texte, est solide et permet une étude approfondie de l’ouvrage de Swift. Les critiques sont toujours convoqués (et au besoin discutés ou réfutés) à bon escient. Les comparaisons entre GT et Robinson Crusoe de Daniel Defoe, dont Emmanuelle Peraldo est également spécialiste, sont éclairantes, tout comme le sont les comparaisons avec des auteurs plus récents (notamment George Orwell). Cet ouvrage, qui souligne à plusieurs endroits la modernité du texte de Swift, dont les problématiques peuvent s’appliquer à divers contextes et à diverses périodes (dont la période après 1945, et la période actuelle), sera extrêmement précieux non seulement pour les candidats à l’agrégation, mais aussi pour tout lecteur qui aura plaisir à découvrir une étude fine, originale, complète et poussée de l’ouvrage de Jonathan Swift.

 

                     


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