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Le Jardin et ses mythes aux États-Unis et en Grande-Bretagne

 

Sous la direction de Gelareh Yvard-Djahansouz, Emmanuel Vernadakis

et Jean-Michel Yvard

 

Collection « Univers anglophones »

Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2017

Broché. 286 p. ISBN 978-2753559011. 22 €

 

Recension de Pierre-François Peirano

Université de Toulon

 

 

 

Revisiter le mythe du Jardin dans l’univers anglo-saxon ne semble pas chose facile de prime abord, mais l’ouvrage Le Jardin et ses mythes aux États-Unis et en Grande-Bretagne, publié aux Presses Universitaires de Rennes, s’acquitte de cette tâche avec un indéniable succès. Ce recueil de dix-sept articles propose un large panorama — aussi bien dans le temps que dans les aires géographiques — des appréhensions du « lieu-concept » de Jardin, de la fin du XVIIIe siècle à la période actuelle. Il trouve dans les précédentes constructions mentales ou artistiques et les ouvrages théoriques majeurs — tels que The Machine In The Garden (1964), de Leo Marx — un terreau fertile et les différents articles constituent autant de perspectives offertes au lecteur et unies par une interrogation commune : nourri par le mythe, le jardin anglo-saxon produit-il ses propres mythes en retour ? La civilisation, la littérature et, plus généralement, l’histoire des idées sont sollicitées pour répondre à cette question.

L’ouvrage est organisé — paradoxalement, pourrait-on dire — comme un jardin… à la française et ses quatre grandes parties sont précédées d’une introduction extrêmement claire. Le rappel de l’étymologie du mot « jardin » et du caractère universel des mythes qu’il a engendrés délimite fort bien le sujet et rend d’autant plus naturelle la transition vers l’univers anglo-saxon, l’objet central de l’ouvrage.

L’agencement des quatre parties correspond, lui aussi, à une progression logique. Il eût été préférable que l’ordre proposé dans le titre soit respecté, mais il ne s’agit que d’un détail au milieu d’un ensemble coloré et fort pertinent. La première partie, « Le Jardin entre mythe et science en Grande-Bretagne », prend le parti de la chronologie pour présenter, successivement, la naissance de l’horticulture scientifique dans la première moitié du XIXe siècle — en se concentrant sur la création de la Horticultural Society of London, en 1804, et les écrits de John Lindley —, la transition vers les premiers jardins de style victorien, marquée par les réalisations du paysagiste Humphrey Repton, l’articulation entre les concepts de Jardin et d’évolutions naturelle ou culturelle selon Thomas Henry Huxley, avant d’envisager les possibles conséquences du changement climatique sur les jardins anglais. L’étude de célèbres manifestations telles que le Chelsea Flower Show montre que le mythe du Jardin reste savamment entretenu en Grande-Bretagne — en particulier, pour des raisons commerciales.

La deuxième partie, « Le Jardin entre esthétique et idéologie aux États-Unis », emmène le lecteur par-delà l’Atlantique, où la valeur esthétique et spirituelle du Jardin est confrontée à la tentation de l’utilitarisme. Cette opposition est reflétée dans quatre articles, majoritairement consacrés à la civilisation. À l’influence de la philosophie de John Muir, qui inspira le Preservation Movement, succède une étude de cas sur le Tejon Ranch, le plus vaste terrain privé de Californie, au nord de Los Angeles — dont 90% du territoire est préservé depuis un accord signé en 2008 —, puis une analyse à la fois thématique et chronologique des « jardins présidentiels », attestant du caractère protéiforme de ce mythe et de son utilisation par le pouvoir exécutif. L’article qui clôture cette partie est consacré à la nouvelle Boom Town, de Thomas Wolfe, en lien avec les mythes d’Arcadie et de la Pastorale.

Les troisième et quatrième parties ne s’articulent plus autour d’aires géographiques précises, mais de thèmes. Ainsi, « Le Jardin au féminin » est, une nouvelle fois, composé de quatre articles et s’attache, non seulement, à la place des femmes dans ce mythe, mais étudie également sa représentation dans des œuvres écrites par des femmes. Virginia Woolf, Eudora Welty et Joyce Carol Oates se livrent à des variations sur des thèmes profondément ancrés dans la conscience collective et révèlent le rôle de tissu social occupé par le Jardin, que l’on retrouve dans la célèbre série Desperate Housewives, le sujet du dernier article de cette partie.

Enfin, la large perspective adoptée par l’ouvrage trouve son accomplissement dans la quatrième et dernière partie, « Le Mythe du jardin : subversion, ré-appropriation », composition reprenant des études de cas consacrées à des œuvres de fiction souvent moins connues que celles précédemment étudiées, mais dont l’apport à l’évolution du « lieu-concept » de Jardin ne saurait être occulté. William Goyen, William Trevor, Daphne du Maurier, Thomas King et Thomas Ligetti trouvent ainsi leur place dans cette étude, ainsi qu’une comparaison entre Candide et Leaf By Niggle, un conte de J.R.R. Tolkien. S’il est légitime de se demander pourquoi ces articles n’ont pas été inclus dans les parties précédentes, ils font emprunter au lecteur autant d’allées et de chemins ombragés qui s’accordent fort bien avec le plan d’ensemble.

Cet ouvrage, bien structuré, dans lequel les auteurs prennent le soin constant de rappeler les précédents mythes liés au Jardin — à la fois dans les pensées occidentale et orientale —, ainsi que les grands auteurs qui s’y sont intéressés, montre le caractère protéiforme de ce « lieu-concept » et les évolutions profondes qu’il a subies dans le monde anglo-saxon. S’il a été remis en question, voire parodié — et pas seulement dans la période définie comme la « post-modernité » —, il a toujours trouvé des chemins pour se ré-inventer et la perspective extrêmement large de cet ouvrage tend à le prouver. La variété des sujets qu’il aborde, sans nuire à son unité, rend sa lecture particulièrement stimulante et invite à ouvrir de nouveaux horizons, aussi bien dans le domaine de la littérature que celui de la civilisation.

 

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