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Le Siècle américain

Une histoire

 

Pierre Melandri

 

Paris : Perrin, 2016

Broché, 668 pages. ISBN 978-2262038113. 28 €

 

Recension de Laurent Roesch

Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse

 

 

 

Pierre Melandri est un historien des États-Unis bien connu. Il a été professeur à Sciences Po-Paris et a dirigé, avec Serge Ricard, l’Observatoire de la politique étrangère américaine à Paris III-Sorbonne Nouvelle. Spécialiste des relations internationales et de la politique étrangère des États-Unis, il signe un ouvrage intitulé Le Siècle américain, une histoire qui retrace l’ascension des États-Unis en tant que première puissance mondiale. Le fil conducteur de l’ouvrage, auquel l’auteur revient très régulièrement, est un éditorial publié en février 1941 par Henry Luce dans le magazine Life. Quelques mois avant l’attaque de Pearl Harbor, le magnat de la presse y lance un appel aux citoyens de son pays, les avertissant que leur devoir est de façonner le monde à leur image en instaurant un ordre économique adapté et en propageant les valeurs de progrès et de liberté. Comme l’indique Pierre Melandri dans son introduction, « la survie des Américains dépendrait de leur capacité à imposer leur système de libre entreprise à d’autres pays pour le plus grand bien de ces derniers » [13]. Ainsi, le XXe siècle doit devenir le « siècle américain », un concept central du début à la fin de l’ouvrage.

L’ouvrage associe diverses approches et c’est sans doute ce qui en fait un de ses principaux atouts. En effet, l’auteur a le souci constant de démontrer que le « siècle américain » se décline sur presque tous les plans : économique, politique et militaire mais aussi au niveau social et culturel. Pierre Melandri se réfère aux analyses de Raymond Aron dans République impériale : Les États-Unis et le monde (1973), de Jean-Jacques Servan-Schreiber dans Le Défi américain (1967) et Olivier Zunz dans Le Siècle américain : Essai sur l’essor d’une grande puissance (2000). Il étudie de façon minutieuse et méthodique les tenants et les aboutissants de la montée en puissance pendant des décennies d’un pays désormais en proie aux doutes, pris entre ses désirs d’expansionnisme et ses instincts isolationnistes. L’entrée en guerre des États-Unis en 1941 marque ainsi le point culminant de ce « siècle américain » qui va se prolonger durant les trente glorieuses, le milieu des années 1970 représentant un tournant décisif. Le modèle devient, avec notamment l’enlisement et la défaite au Vietnam puis le Watergate, un contre-modèle pour beaucoup.

L’ouvrage de Pierre Melandri est divisé de façon logique en trois grandes parties qui suivent la chronologie de l’Histoire. La première, intitulée le « pouvoir de recommencer le monde », cherche les origines du « siècle américain » dès la Déclaration d’Indépendance et la Révolution, avec l’avènement d’un « messianisme démocratique ». Les colons puritains du Massachusetts étaient en effet convaincus de jeter les bases d’un nouveau départ et d’incarner le Peuple élu en charge d’une mission divine. Dès le départ, les dimensions religieuse et économique/financière sont étroitement liées. Pierre Melandri explique que la jeune République américaine est ainsi fondée sur quatre piliers essentiels : (1) « pas de gouvernement sans le consentement des gouvernés », (2) la conviction que les libertés (notamment d’entreprendre et de posséder) sont la clé du bonheur et du développement, (3) la religion est le fondement de l’esprit républicain et cimente le pays, (4) la certitude que les États-Unis ouvrent une « ère révolutionnaire » dans l’histoire de l’humanité [30-31].

Comme le démontre fort bien l’ouvrage, les années 1920, grâce notamment au pétrole et à l’électricité, sont marquées par le changement, la prospérité et l’avènement de la société de consommation de masse. La culture de l’abondance va réduire la perception qu’ont les Américains des barrières entre classes et va favoriser un recul de la culture puritaine à la faveur du « vivre dans l’ici et le maintenant » [103]. L’échec de la Prohibition en est d’ailleurs un symbole tout à fait marquant. Cette nouvelle culture va rapidement se muer en mode de vie et régner en maître. Dès le début, elle va aussi susciter une certaine fascination mais aussi du rejet, aux États-Unis comme à l’étranger.

La deuxième partie (intitulée le « géant de la terre ») décrit l’apogée des États-Unis qui se trouve « au sommet du monde », le « phare de la modernité » et l’« empire du marché », pour reprendre les titres de quelques-uns des chapitres. En 1945, comme l’indique Winston Churchill, les États-Unis sont effectivement perçus par beaucoup comme « au sommet du monde » [151]. Comme on le sait, Britanniques et Américains vont nouer une « relation spéciale » et la politique étrangère américaine, dans le contexte de la guerre froide, va très vite se concentrer sur l’anticommunisme et la rivalité avec l’Union Soviétique. Pendant ces années décisives, les États-Unis vont reprendre au Royaume-Uni le rôle de leader économique et financier. Comme le rappelle Pierre Melandri, le président Roosevelt indique aux membres du Congrès en 1945 : « nous ne pourrons pas réussir à construire un monde pacifique si nous ne construisons pas un monde sain sur le plan économique » [159].

Comme les années 1920, les années 1950 représentent une période de prospérité et le pays s’apparente à une « république de consommateurs » où la culture de masse triomphe, en particulier à travers l’émergence de nouveaux mouvements et surtout grâce à la télévision. Ces années de consensus politique et social se font sous l’influence du monde des affaires, en particulier des grandes sociétés. Par ailleurs, comme le souligne le livre, « la dynamique de la multinationalisation fait redouter une perte de souveraineté aux gouvernements des pays où affluent les investissements étrangers » [299]. Les investissements américains à l’étranger jouent en effet un rôle clé et les dirigeants d’entreprises n’hésitent pas à utiliser la rhétorique messianique pour montrer au monde qu’ils jouent un rôle d’« éclaireurs ouvrant à l’humanité le chemin du bonheur » [303].

La troisième et dernière partie de l’ouvrage, intitulée « le crépuscule », couvre la période allant du milieu des années 1970 jusqu’à la crise financière de 2007-2008. Durant ces décennies, les États-Unis et le modèle qu’ils incarnaient jusque-là entrent dans une phase de doute et l’exceptionnalisme américain est en recul sur quasiment tous les plans. Pierre Melandri montre qu’en 1975, les responsables politiques américains, renouant avec l’« America First » des années 1920, essaient de convaincre leurs alliés que ce qui est bon pour les États-Unis est nécessairement bon pour eux. Il cite d’ailleurs Ronald Reagan qui, après la chute de Saïgon la même année, rappelait ce que disait le pape Pie XII pendant la Seconde Guerre Mondiale : «  Dieu [a] placé les destinées de l’humanité affligée entre les mains de l’Amérique » [372].

Cela dit, comme le souligne l’ouvrage, la suprématie des États-Unis semble bien amorcer un déclin. En juillet 1979, le président Carter dénonce la crise de confiance qui secoue le pays. Depuis plusieurs années en effet, les revers sur les plans économique et politique se multiplient. La révolution conservatrice des années 1980 ne permettra pas de renouer avec la prospérité. Même si, après la chute du mur de Berlin, de nombreux observateurs voient les États-Unis comme l’unique hyperpuissance, le pays est à la fin des années 1990 dominé par la finance ainsi que les divisions internes et il se trouve de plus en plus isolé sur la scène internationale. Les attentats de 2001, comme le commente Pierre Melandri, portent « des coups meurtriers à deux symboles de la puissance des États-Unis : les tours jumelles du World Trade Center, icône de leur emprise financière ; le Pentagone, siège de leur force militaire » [512]. Selon lui, le XXIe siècle vient en effet d’éclore. Les interventions en Afghanistan et en Iraq n’auront pas les effets escomptés et les États-Unis entrent désormais dans une véritable période de perte d’influence. La crise de 2008, très médiatisée à travers le monde, ne fera que le confirmer. L’auteur explique que ce leadership affaibli et usé est la conséquence d’un « capital moral » largement diminué depuis déjà longtemps. Le modèle politique et social que les États-Unis représentaient il y a quelques décennies est tellement entamé qu’ils ne parviennent plus aujourd’hui à associer de manière efficace capitalisme et démocratie, abondance et liberté [574].

Alors que la première partie de l’ouvrage de Pierre Malandri déconstruit la montée en puissance des États-Unis dans le monde et la deuxième définit et détaille leur apogée, la dernière expose le début d’un déclin et annonce que le XXIe siècle ne sera pas américain. A bien des égards, les difficultés de l’administration Trump depuis janvier 2017 ne font que confirmer ce sentiment, et la démonstration de l’ouvrage est convaincante et pertinente. Le Siècle américain, une histoire est un ouvrage clair, lisible, précis et très détaillé. Les références y sont nombreuses et ouvrent des perspectives multiples. Il s’agit d’un ouvrage de référence essentiel qui permettra à chaque américaniste et au grand public de découvrir une histoire des États-Unis à la fois riche, passionnante et fort bien documentée.

 

 

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