Back to Book Reviews

Back to Cercles

 

      

Daniel Defoe. Roxana: The Fortunate Mistress

 

Sous la direction d’Emmanuelle Peraldo

 

Paris : Ellipses, 2017

Broché. xii+275 p. ISBN 978-2340021259. 23 €

 

Recension de Samuel Baudry

Université LumièreLyon 2

 

 

 

Cet ouvrage, dirigé par Emmanuelle Peraldo, comporte neuf contributions, en anglais et en français, une introduction générale et des bibliographies sélectives à destination des étudiants qui préparent l’agrégation d’anglais. Disons-le d’emblée : le format des articles, l’organisation de l’ensemble et la qualité des articles correspondent parfaitement aux exigences de ce genre d’ouvrage et les agrégatifs y trouveront des ressources très profitables. Les articles sont organisés en quatre parties qui permettent au lecteur de replacer le roman de Defoe dans son contexte historique, générique et social, et qui lui présenteront les grands débats autour de cette œuvre.

La première partie expose le contexte culturel, mais surtout économique et légal, indispensable pour mesurer les enjeux à la fois idéologiques et fictionnels du roman. L’article de Maximilian Novak résume les éléments essentiels à connaître sur les années 1720 si l’on veut saisir la richesse, les ramifications des thèmes abordés par Defoe, en particulier l’importance croissante de la consommation et du luxe—ainsi que les liens plus ou moins cachés qui relient richesse et criminalité. Robert Clark, lui, nous rappelle que le sens et les connotations modernes de « mariage » [74] (et, donc, de « prostitution ») ne sont pas ceux qu’ils avaient au début du dix-huitième siècle, et qu’il est indispensable, pour concevoir la trajectoire de Roxana, de retrouver leurs significations complexes à l’époque : les contrats entre deux individus pouvaient prendre des formes diverses, les normes et les règles morales, sexuelles et économiques n’étaient pas les toujours les mêmes.

La seconde partie est constituée d’un seul article, celui de Baudouin Millet, mais il parvient à résumer, brièvement et brillamment, tout un pan du débat théorique autour du genre du « roman », celui qui relie et oppose le vrai au fictionnel. Plus fécondes encore sont les réflexions sur les termes « endogènes » utilisés par Defoe, car ceux-ci nous dévoilent les mécanismes profonds qui structurent le roman (et que, par ailleurs, les autres articles de l’ouvrage continuent d’explorer) : l’hésitation entre « story » et « history » [92 & 110], la narration comme « travestissement » [91] ou comme « performance » [92].

Marlène Bernos, qui ouvre la troisième partie de l’ouvrage, portant sur la représentation et la place des femmes, procède, tout comme Clark, à une re-contextualisation salutaire de tout un champ lexical dont les significations ont été totalement transformées. Ce qu’est, ce que désigne, ce qu’implique, une « prostituée » au dix-huitième siècle [118],  ne peut se comprendre sans une reconstruction minutieuse du réseau sémantique dans lequel ce terme est impliqué. Bernos nous dévoile donc les gradations subtiles qui vont de la femme entretenue à la fille publique (qui pratique bien souvent le vol), en passant par la courtisane et la femme sole. La thématique du mariage et ses pratiques variées est de nouveau abordée dans l’article de Sophie Jorrand, mais cette fois sous un angle plus moral et social, et l’on perçoit alors distinctement les remises en question radicales des idéaux familiaux et psychologiques qui sous-tendent le roman.

La quatrième partie renoue avec l’un des fils conducteurs de l’article de Millet : le déguisement, le travestissement au cœur de la diégèse, mais également comme méthode romanesque. Partie du travestissement générique (le roman comme déguisement ou comme « performance » théâtrale [155]), Vanessa Alayrac-Fielding aborde dans son article l’ambiguïté, l’incertitude ontologique permanente produite par les déguisements auxquels l’héroïne à recours. C’est à une autre sorte de transformation que s’intéresse Rim Chelly, celle des protagonistes en ennemis tentateurs. Usant de « masques » [186] et de son pouvoir séducteur, Roxana peut en effet apparaitre comme une figure satanique, qui, décrivant ses interlocuteurs comme des diables (« Devil » [191]), nous fait presque oublier ses propres mensonges, manipulations et, peut-être, meurtres. Les mutations de Roxana sont, enfin, étudiées dans leur dimension spatiale. Emmanuelle Peraldo nous livre dans son article une synthèse claire et stimulante des déplacements et des confinements de l’héroïne. Elle y souligne un point névralgique du roman : ce n’est pas tant la variété des lieux qui importe que les déplacements entre ceux-ci, les transformations qu’ils induisent sur la fortune, tout autant que sur l’identité (l’une ne va pas sans l’autre), des personnages.

Le livre est complété d’une introduction bibliographique, qui présente également les orientations critiques des contributeurs, écrite par Emmanuel Peraldo, ainsi que d’une leçon d’agrégation entièrement rédigée, sur le sujet de « self-assertion », proposée par Guyonne Leduc, qui reprend et synthétise les éléments ontologiques—mais également subversifs—introduits dans le reste de l’ouvrage.

 

Cercles © 2017

All rights are reserved and no reproduction from this site for whatever purpose is permitted without the permission of the copyright owner.

Please contact us before using any material on this website.