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Portraits de Dorian Gray

Le texte, le livre, l’image

 

Xavier Giudicelli

 

Préface de Pascal Aquien

Collection Histoire de l'imprimé

Paris : Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2016

Broché. 404 p. ISBN 979-1023105377. 36 €

 

Recension de  Nathalie Saudo-Welby

Université de Picardie Jules Verne, Amiens

 

 

 

Portraits de Dorian Gray est consacré au paradoxe dont le roman de Wilde avait posé le cadre : le portrait qui forme le cœur de l’intrigue de The Picture of Dorian Gray n’est que peu décrit, en dehors des quelques changements notés par le sujet et l’artiste. Nous connaissons surtout ses effets sur l’observateur. Le roman ne fut d’ailleurs jamais illustré du vivant d’Oscar Wilde, ce qui était une façon de respecter la réticence qui entoure la beauté indicible du jeune homme et sa vie. Le rapport de ce roman à l’image est donc exemplaire : il permet de problématiser le rapport du texte à son illustration, conçue d’emblée comme insuffisante, infidèle, imparfaite mais puissante. Il invite à s’interroger sur ce qui fait la spécificité de l’illustration romanesque et la façon dont se négocient la révélation et la dissimulation, la redondance et la suggestion. Or « Voiler ou au contraire dévoiler le portrait met en scène l’un des principes textuels qui animent le roman de Wilde : le désir et l’impossibilité de voir le corps de Dorian Gray, le battement entre visible et invisible. » [223].

Ce bel ouvrage, impeccablement édité, s’inscrit dans l’esprit du livre d’art et des beaux livres qu’il a pour objet d’étude. Xavier Giudicelli se penche sur une vingtaine d’éditions illustrées, publiées entre 1908 et 2009, ainsi que sur quelques romans graphiques (John Coulthart) et adaptations cinématographiques, pour apporter un éclairage à la fois artistique, littéraire et théorique sur les rapports entre l’image et le texte. Cette flânerie dans une bibliothèque devenue galerie d’art et cabinet de curiosité est l’occasion de relire le roman de Wilde, qui se pare soudain d’images possibles, évoquées ou suggérées, issues de liens contextuels, poétiques ou personnels. Vous croiserez Mallarmé, Huysmans, Gautier, Pater, Proust, Cocteau, mais aussi Aubrey Beardsley, Marcel Duchamp, Francis Bacon, Leigh Bowery, et encore Salomé, Mr Hyde et Sherlock Holmes… pour ne citer qu’un mince échantillon des plus célèbres. Le livre est aussi un hommage à Wilde : l’intervention des illustrateurs complique la question de l’autorité, mais comme le souligne Pascal Aquien dans sa belle préface, « c’est principalement du portrait d’Oscar Wilde qu’il s’agit » [12] et c’est aussi lui que nous cherchons.

Les deux chapitres de la première partie sont consacrés aux modalités du rapport texte/image. Très accessibles, ils démontrent comment les portraits sont « le reflet de leur temps » [235] en termes aussi bien thématiques que formels. Ils posent aussi les bases d’une théorisation, illustrée, du rapport entre le texte et l’image, où se jouent réduction, commentaire et sortie hors du texte dans un parcours intermédial qui suit en même temps qu’il tisse un réseau intertextuel et « interpictural ». La deuxième partie, plus dense, envisage le rapport de l’image à la linéarité et à la chronologie. « Dans cette œuvre où le portrait devient récit, que se passe-t-il quand le récit redevient portrait ? » [228]. De courtes sections intitulées « focus » permettront aux lecteurs avertis d’obtenir des informations plus précises sur les artistes inclus dans le corpus, sur les techniques de gravure, sur les romans graphiques… Les index et bibliographies seront utiles aux spécialistes et donnent la mesure du travail de recherche préliminaire à l’écriture de l’ouvrage (issu de la thèse de doctorat de l’auteur).

L’intérêt du volume tient en particulier à ce que les illustrations font l’objet d’une ekphrasis soignée dans le texte mais sont aussi incluses dans le livre. Notre œil va ainsi voyager du texte à l’image, de l’anglais au français, du roman à son intertexte, d’un point de l’image à un autre. Cette oscillation rythmique évoque à Xavier Giudicelli la musique : « l’édition illustrée serait essentiellement “espace du rythme” : un lieu de tension entre le texte et les images qu’il a inspirées, entre le rythme lent de la lecture linéaire et celui, plus rapide et plus libre, de la perception des images qui ponctuent le livre » [319].

L’ouvrage est à la fois accessible et érudit. Deux éditions – à mon sens d’un très grand intérêt – ont été illustrées par des femmes : Majeska (Henriette Sterne) (New-York: Horace Liveright, 1930) et Lucille Corcos (New-York: Heritage, 1958). Les gravures de Reynold Arnould, d’inspiration cubiste (Stock, 1946), se prêtent à des commentaires intéressants sur l’idéal (ovale), le point de vue et la succession. Dans la veine comique, l’une des séries est réalisée par l’illustrateur pour enfants Tony Ross (Gallimard Jeunesse, 2000). Xavier Giudicelli n’exprime aucune préférence pour les versions qu’il commente et se penche sur chacune avec l’amour du livre beau et une absence louable de jugement de valeur. Ainsi, chaque lecteur ou lectrice se sentira plus libre de flâner à sa guise en sa compagnie.

 

Cercles © 2017

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