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L’Union fait la force

Les Noirs Américains et Haïti, 1804-1893

 

Claire Bourhis-Mariotti

 

Préface de Marie-Jeanne Rossignol

Collection « Des Amériques »

Presses Universitaires de Rennes, 2016

Broché, 278 pages. ISBN 978-2753543478. 19 €

 

Recension d’Éric Agbessi

Université Clermont-Auvergne

 

 

 

 

Dans cet ouvrage, Claire Bourhis Mariotti propose une analyse originale du concept de citoyenneté, inscrivant son propos dans un schéma asymétrique qui peut surprendre de prime abord mais montre, par la cohérence de l’analyse, la façon dont, au dix-neuvième siècle, l’histoire politique de la communauté afro-américaine a pu se construire dans un cadre dépassant largement celui des États-Unis d’Amérique pour trouver une place particulièrement riche et intéressante à Haïti. Si asymétrie il y a, c’est bien parce que le projet d’étude consiste à mettre en perspective un pays-continent en cours de construction et une île divisée en deux dont Haïti occupe la partie occidentale, une nation anglophone et une ancienne colonie française, une union américaine partagée sur le concept de citoyenneté et un pays émancipé de toute tutelle, affirmant à la face du monde sa capacité à prendre en main sa destinée. Un tel écart aurait pu conduire à une étude difficile à suivre sans le choix opéré d’emblée par l’auteure qui consiste à présenter les parcours individuels de personnages centraux sur le plan politique et historique pour inverser les perspectives et comprendre ainsi la communauté afro-américaine dans toute sa diversité d’opinions et de points de vue [25] tout en apportant un regard neuf sur la société haïtienne du XIXe siècle.

L’Union fait la force est composé de huit chapitres, proposant un voyage dans le temps depuis l’indépendance d’Haïti qui, dès les années 1820, rend la nation attractive aux yeux d’Afro-américains alors au désespoir d’obtenir des droits sur le sol américain, jusqu’à 1893 date de l’exposition universelle de Chicago et dernière occasion pour la communauté noire d’affirmer par l’intermédiaire de Frederick Douglass son militantisme citoyen. Entre temps, Haïti représente aux yeux des Noirs une terre d’asile vers laquelle convergent les idéaux diasporiques (1830-1855) puis devient synonyme d’une seconde tentative d’émigration volontaire après celle survenue trente ans plus tôt (1855-1862). Le débat s’élabore autour de deux positions antagonistes entre l’élaboration d’une émigration choisie et les intentions colonialistes de renvoyer les Noirs en Afrique comme le suggère à cette époque l’American Colonization Society. Il convient cependant de noter qu’au final les deux options s’avèrent être des échecs. S’ensuit une période d’éloignement quant à l’intérêt que peut représenter la perle des Caraïbes aux yeux des Afro-américains. Les raisons à cela sont plurielles : ils ont obtenu leur émancipation par l’adoption du 13e amendement à la constitution et veulent croire en une possible construction citoyenne au cœur des États-Unis d’Amérique à travers l’adoption des 14e et 15e amendements faisant alors de l’égalité de droit une égalité de fait. Haïti retrouve son lustre passé à la fin de la période de reconstruction, l’illusion égalitaire ne survivant pas la période de la Reconstruction (1865-1877), elle n’en est cependant pas moins restée comme une option géopolitique pour les administrations Lincoln et Johnson convaincues de la nécessité de trouver une solution à une cohabitation communautaire considérée comme difficile pour ne pas dire impossible. L’île devient à ce moment-là le lieu de la représentation afro-américaine par la succession d’ambassadeurs noirs dépêchés par Washington, puis entre dans un jeu stratégique où le rapport de domination révèle un impérialisme américain naissant, l’Amérique ayant des visées d’implantation voire d’annexion qui ne trouveront pas de concrétisation mais rendront difficiles les relations entre le pouvoir haïtien et les délégations diplomatiques, notamment celle de Douglass à travers l’affaire du Môle Saint Nicolas. L’incompréhension de la position politique adoptée par Douglass à son arrivée à Port au Prince – il soutient alors les velléités expansionnistes des Républicains – et les tensions nées de l’échec de l’implantation américaine lors de sa représentation diplomatique – Washington le tient pour responsable et le rappelle aux États-Unis – seront finalement balayées par sa désignation comme commissaire du pavillon haïtien à Chicago et sa prise de position préfigurant celles du vingtième siècle menées par WEB DuBois.

Les évènements historiques décrits dans cet ouvrage montrent comment se sont construits les rapports de domination au sein de la société américaine et au-delà de celle-ci. Le premier d’entre eux est mis en évidence par la difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité, de la nation à envisager un développement sociétal intercommunautaire. Au début du XIXe siècle, dès que les premiers Noirs sortent du joug de l’esclavage, un consensus semble poindre visant à exiler celles et ceux qui ne peuvent alors prétendre à la moindre identité citoyenne en Amérique. Les débats sur le lieu d’exil révèlent eux aussi des rapports de domination tant sur la terre originelle de la communauté noire que sur l’intérêt économique que peut représenter l’espace caribéen. Les différences de position présentées dans l’ouvrage mettent en exergue la situation intermédiaire dans laquelle les Afro-américains considèrent se trouver, vecteurs de développement civilisationnel dans cette Afrique sauvage [87] ou promoteur d’une identité diasporique dès lors qu’ils resteront dans les Amériques, identité qui bénéficiera des bienfaits des sciences et des arts acquis au contact de la communauté blanche [92]. Il y a une hiérarchie pensée des lieux d’émigration [70]. Déplacer ces populations, c’est aussi, pour le pouvoir en place, un moyen d’exercer une forme d’impérialisme tout en pensant régler un problème interne, la cohabitation de deux communautés que tout semble alors séparer.

Ces rapports de domination ne s’exercent cependant pas pour autant sans résistance. Dans les années 1830, Il existe des actes de militantisme radical et revendicatif qui affirment la volonté d’une partie de la communauté noire de rester et se battre, une orientation d’autant plus forte que leur identité américaine marquée ne justifie pas dès lors un départ pour l’Afrique. Les conventions noires organisées dès cette époque concourent à cette affirmation identitaire et citoyenne. De la même façon, côté haïtien, il ne s’agit pas de tenir un rôle passif dans l’accueil de nouvelles populations, mais bien de trouver une forme de contractualisation devant permettre, dans un premier temps, la reconnaissance de leur pays par les États-Unis. Ces affirmations politiques sont relayées dans une presse noire naissante, disposant de peu de moyens et accessible à un petit nombre de lettrés mais qui a le mérite de confirmer l’action menée nationalement et internationalement. Il serait intéressant de creuser la piste de ces espaces médiatiques pluriels – presse institutionnelle, associative, communautaire, congressiste – qui sont évoqués à plusieurs reprises dans l’ouvrage et dont l’expression a servi de base à la construction des revendications afro-américaines.

Dans cet ouvrage, Haïti apparaît comme étant à la fois le miroir de la société américaine et la loupe grossissante des évolutions sociétales à venir. Un effet miroir que l’on peut expliquer par la façon dont sa situation politique montre les espaces vides sur le plan constitutionnel en matière de citoyenneté ; un effet grossissant par la façon dont l’action politique se met en place pour résoudre ces problématiques humaines que les États-Unis n’arrivent pas à traiter complètement tout au long du dix-neuvième siècle. Le travail de l’auteure est donc primordial parce qu’en élargissant le spectre d’étude de la communauté noire, il permet de mieux comprendre des évènements clés du siècle suivant en ce qui concerne la place des Caraïbes dans l’évolution des États-Unis tant sur le plan politique (action menée par DuBois dès 1909) que dans le domaine artistique (Renaissance de Harlem dans les années 1920) ou encore lorsqu’il est question de définir ce que sont les consciences non-européennes au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale.

La lecture de cet ouvrage est plaisante par sa construction et par le style vif et alerte de l’auteure. Le propos est argumenté, accompagné de notes de bas de page dont on peut parfois reprocher la longueur. La bibliographie est particulièrement bien fournie et offre au lecteur les références indispensables à tout approfondissement souhaité.

 

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