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Politics and the Bible in D.H. Lawrence's Leadership Novels

 

Shirley Bricout

 

Collection Present Perfect

Montpellier : Presses universitaires de la Méditerranée, 2015

Broché. 352 p. ISBN 978-2367811048. 29 €

 

Recension d’Élise Brault-Dreux

Université de Valenciennes.

 

 

Dans Politics and the Bible in D.H. Lawrence’s Leadership Novels (2015), Shirley Bricout propose une analyse intertextuelle de trois romans de D.H. Lawrence, Aaron’s Rod (1922), Kangaroo (1923) et The Plumed Serpent (1923) qui ensemble forment une trilogie de textes dont les intrigues se déroulent dans des ailleurs (Australie, Mexique, Italie) et qui mettent en scène des sortes de prophètes errants. Chacun de ces romans met en scène et donne lieu à  des questionnements politiques.

Si d’autres Lawrenciens (comme Terry Wright et James Cowan) ont, avant Shirley Bricout, traité la question religieuse dans l’œuvre de Lawrence, celle-ci innove en regardant le texte de très près et en analysant comment les emprunts bibliques sont exploités et replacés par Lawrence dans des contextes politiques. La Bible y est appréhendée, certes, comme une source philosophique et idéologique pour Lawrence. Mais c’est sur les dimensions littéraires et narratives que Shirley Bricout porte son attention, et ce de manière très originale : dans les trois romans, la Bible est, ainsi que l’auteur le démontre, un substrat thématique et esthétique. Lawrence, toujours selon Shirley Bricout, parvient donc à défier ses interprétations traditionnelles. Par ailleurs, à travers les détournements de son hypertexte se dessine le désir d’une quête pour une nouvelle forme de religion qui s’inspirerait singulièrement d’une mythopoeia pré-biblique et cosmique. Shirley Bricout divise son analyse en quatre chapitres.

Le premier chapitre, « The Genesis of the written word », fait dans un premier temps appel aux (et rappelle les) théories sur l’intertextualité élaborées par Kristeva, Derrida, Barthes, Genette, Ricœur, Bakhtin et Compagnon, que Shirley Bricout manie judicieusement afin de poser son propre objet d’analyse, à savoir « l’intertextualité en mouvement ». Partant, elle nous rappelle que Lawrence, dans son essai Apocalypse, propose lui aussi une lecture de la Bible qui en fait un palimpseste formé de trois couches textuelles : un substrat païen, réécrit tout d’abord par les Juifs, puis enfin par les Chrétiens. Autrement dit, la Bible, qui fonctionne comme un hypotexte dans les trois romans de Lawrence, est elle-même envisagée comme une superposition de textes. C’est son substrat le plus ancien que Lawrence cherche, dans son écriture et ses greffes textuelles, à revivifier afin de replacer l’homme dans le cosmos. Bricout propose ensuite, d’une manière très éclairante, une histoire de l’écriture de la Bible, de ses origines sacrées, aux nombreuses traductions, jusqu’à son évolution profane.

Le cadre théorique et historique ainsi posé, l’auteur expose, de manière limpide, les trois usages subversifs intertextuels de la Bible dans un contexte politique : le travestissement (ou déconstruction carnavalesque), la parodie (qui souvent vise à déconstruire l’argument politique) et le pastiche (qui suggère la construction sociale). Afin de guider au mieux le lecteur dans ses analyses de textes, Shirley Bricout établit des tableaux de résonances bibliques pour les trois romans. Elle montre ainsi l’ampleur des références et, surtout, les transformations qu’a subies l’hypotexte au moment de la greffe intertextuelle.

Le deuxième chapitre, « The Break from Europe » aborde particulièrement bien la question du lien entre l’individu et son environnement. L’auteur nous montre qu’avec Aaron’s Rod Lawrence sous-entend que la fragilité politique, sociale et religieuse est la conséquence de la perte de liens cosmiques, en faveur d’un nouvel ordre humain. Puis avec Kangaroo, elle suggère que Lawrence envisage la mutilation et le sacrifice comme des expressions de la brutalité de l’état envers des individus coupés du cosmos. Et c’est en subvertissant les bribes d’intertextes bibliques que Lawrence vise à faire renouer les corps avec un nouveau sens cosmique. Kate, dans The Plumed Serpent, devient d’ailleurs une « femme cosmique » au contact des corps masculins, et ce par des procédés subversifs d’expressions et symboles bibliques.

Ici et là, donc, Lawrence condamne les aberrations du religieux et du chaos politique d’après-guerre, en détruisant le sacré et en le mêlant au profane. Et dans les déplacements textuels et la déconstruction du texte biblique, Lawrence semble trouver des opportunités créatrices, tant politiques qu’herméneutiques.

Dans « Quest in Exile : A Second Creation », l’auteure nous éclaire sur les procédés subversifs utilisés par Lawrence lorsque, dans ses trois romans, il condamne l’héritage colonial, l’associant alors au péché et à la chute. Elle analyse, par exemple, les occurrences d’un « thou shalt » séculier et parodié, qui devient la métaphore de l’autorité établie des anciennes puissances coloniales. Shirley Bricout conclut son chapitre en soulignant que Lawrence, ce prophète moderne, alors qu’il esquisse les contours d’une communauté politique idéale dans laquelle chacun doit conserver son individualité, fait clairement grand usage de la Bible et de la mythologie grecque. La cosmogonie qui ainsi ressort de son œuvre (par des procédés de destruction, travestissement et parodie) prend la forme d’un texte hybride, qui peut rappeler l’Apocalypse tel que Lawrence le lit, à savoir un texte aux multiples strates.

Le dernier chapitre, « The New Alliance : Exploring Political Thought », étudie comment Lawrence exploite les symboles apocalyptiques alors qu’il aborde la montée du fascisme et du Marxisme. Après avoir introduit son analyse en rappelant qu’Engels et Marx avaient fréquemment recours aux métaphores chrétiennes, Shirley Bricout se concentre sur les discours politiques des « nouveaux sauveurs » dans Kangaroo et Aaron’s Rod, figures hermaphrodites aux accents mystiques. Le débat autour de la question du Marxisme est orchestré par une pluralité de voix qui s’en remettent à l’hypotexte – pluralité qui tranche avec la dimension « doctrinale » du système métaphorique de Marx lui-même. Alors que chez Lawrence, l’intertexte biblique émerge dans des nœuds dialogiques et est, de fait, constamment renouvelé et participe d’une dynamique créative. En toute logique, Shirley Bricout termine son analyse avec l’Apocalypse qui implique, nous rappelle-t-elle, autant la création que la destruction. Elle met au jour les symboles apocalyptiques qui, dans les trois romans, apparaissent dans les scènes d’émeutes : le chromatisme apocalyptique, le dragon et l’arc-en-ciel. Lawrence, en manipulant ces symboles, les renouvelle et revivifie leur sens initial, la valeur qu’ils avaient avant d’être allégorisés par le Christianisme. Lawrence les restaure, en quelque sorte, et progressivement à travers son œuvre, il propose, selon Bricout, une lecture cosmique du monde.

En conclusion, l’auteur résume les trois fonctions de l’intertextualité biblique telle qu’elle est exploitée par Lawrence dans ses trois romans : un procédé de déconstruction (tout particulièrement des idéologies politiques et sociales contemporaines) ; une fonction créatrice (d’un idéal de communauté d’individus en harmonie avec le cosmos) ; et une revivification des symboles, les émancipant de leurs interprétation traditionnellement trop univoques.

Dans cet ouvrage, Shirley Bricout témoigne d’une connaissance exceptionnelle de la Bible et d’une capacité singulière à regarder le texte de très près. Cela fait de ce travail une source de référence pour les spécialistes et de Lawrence et de la Bible. Mais en plus d’être minutieusement (inter)textuelle, son étude est également amplement contextuelle : la vie personnelle de Lawrence ainsi que le contexte politique contemporain y sont des éléments fondamentaux.

Shirley Bricout parvient également à mener trois analyses de front, en choisissant de ne pas compartimenter l’étude des trois romans, mais au contraire de les tisser ensemble, tout en y mêlant, en outre, des références à la correspondance de Lawrence, à ses essais, en particulier l’Apocalypse, qui ensemble viennent subtilement nourrir l’analyse. Et tout au long de son étude, l’auteur propose un dialogue pertinent avec d’autres critiques de l’œuvre lawrencienne.

L’ensemble est mené dans un style soutenu et didactique, et chaque partie est introduite par une transition très éclairante : le lecteur est littéralement accompagné dans la progression. Politics and the Bible in D.H. Lawrence’s Leadership Novels offre en somme une lecture minutieuse de ces trois « leadership novels » qui ont souvent été délaissées par la critique et les lecteurs. De fait, le livre de Shirley Bricout est à la fois innovant et stimulant.

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