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Mères-Célibataires : De la malédiction au libre-choix ?

Regards croisés France / Grande-Bretagne

 

Sous la direction de Florence Binard et Guyonne Leduc

 

Préface de Marie-Claire Pasquier

 

Collection « Des idées et des femmes »

Paris : L’Harmattan, 2016. 218p

ISBN 978-2343096124. 21,50 €

 

Recension de Muriel Pécastaing-Boissière

Université Paris-Sorbonne (Paris 4)

 

 

 

La collection « Des idées et des femmes », dirigée par Guyonne Leduc chez L’Harmattan — et déjà forte d’une trentaine de titres — « a pour objet de présenter des études situées à la croisée de la littérature, de l'histoire des idées et des mentalités, aux époques moderne et contemporaine ». Ce recueil de neuf articles, publié sous la direction de Florence Binard et Guyonne Leduc, s’inscrit parfaitement dans cette perspective, offrant une série d’éclairages sur l’évolution de la situation socio-économique et de la perception des mères-célibataires des deux côtés de la Manche, de l’époque victorienne à nos jours.

Dans sa préface, en partie reprise en quatrième de couverture, Marie-Claire Pasquier explique que le recueil s’adresse « à toute personne souhaitant en finir avec les approximations vagues et paresseuses, en un mot, souhaitant en avoir le coeur net sur les répercussions, pour les femmes, de l’évolution, récente ou moins récente, des moeurs et des législations, en Grande-Bretagne et en France... » [15]. Il convient toutefois de préciser que certains des articles sont rédigés en anglais, tandis que ceux en français ne traduisent pas tous leurs citations, ce qui ne manquera pas de déconcerter un lecteur non anglophone. Par ailleurs, l’ouvrage souffre du défaut courant de ce type de recueils de laisser dans l’ombre de vastes zones de la question traitée.

La première partie, sur la Grande-Bretagne au XIXe siècle, regroupe ainsi deux articles, par Françoise Barret-Ducroq puis Florence Pellegry, qui portent tous deux sur le même corpus d’archives du London Foundling Hospital, plus précisément sur les questionnaires remplis par les mères-célibataires venues y confier leur enfant. Si ces archives sont parmi les rares documents à laisser la parole aux mères-célibataires victoriennes, et en cela sont extrêmement précieuses, on regrette l’absence dans cette partie d’un article se focalisant sur une autre cohorte, géographique ou sociologique, en complément.

Le détail du contexte législatif victorien qui pèse sur les mères-célibataires est expliqué au lecteur dans l’excellent article de Pat Thane, « Single Motherhood in Twentieth-Century Britain », qui ouvre la deuxième partie, sur la Grande-Bretagne au XXe siècle, grâce à la mise en perspective opérée par l’auteur. Pat Thane s’interroge de plus sur le terme même de « single mother », rappelant qu’une mère isolée peut aussi être une mère veuve, divorcée ou séparée, et elle analyse finement les différences de législation, de statut social et de perception qui en résultent, ainsi que leur évolution. Malgré la l’organisation chronologique du recueil, cet article aurait pu figurer en premier, afin de faciliter l’entrée du lecteur dans le sujet.

Pour pointue qu’elle soit, l’étude de Claire Charlot sur « Éthique et politique : la stigmatisation des mères-célibataires en Grande-Bretagne (1974-1993) » n’en est pas moins passionnante par sa déconstruction très argumentée d’une politique familiale inscrite, non sans hypocrisie, entre idéologie néo-victorienne et pragmatisme ultra-libéral. L’article suivant, par Marie-Annick Mattioli, sur « Précarité de l’emploi et mères-célibataires (2000-2015) » se situe dans la continuité de celui de Claire Charlot, et a le mérite d’introduire le concept éclairant d’intersectionnalité, qui postule que les inégalités se nourrissent de l’interaction de plusieurs facteurs : classe sociale, sexe, origine ethnique, handicap... ainsi que des formes de domination multiples qui en résultent [104]. Ce concept est également défini [164] et utilisé de façon convaincante par Mariette Le Den, dans son article de la troisième et dernière partie sur « Les Normes de la maternité en France : Des ‘filles-mères’ aux ‘mères-célibataires mineures’ (1950-1980) ».

Dans cette troisième partie, intitulée « France / Grande-Bretagne », si les regards se croisent, comme l’annonce le titre du recueil, ils ne se rencontrent guère, car seul l’article de Fabienne Portier-Le Coq sur les « Mères adolescentes en Grande-Bretagne et en France (1869-2015) » développe une véritable approche comparatiste, dont l’auteur souligne d’ailleurs toute la complexité méthodologique. L’article de Coralie Raffenne sur « L’Autre dans le discours sur l’identité paternelle : la mère monoparentale, sorcière postmoderne » aborde en fait son sujet au niveau européen, voire occidental, avec des sources nord-américaines et non britanniques.

À l’exception de l’article d’Anne-Lise Marin-Lemallet sur « La Représentation de la mère-célibataire dans le cinéma social britannique (1961-2013) » — par trop descriptif là où l’on attendait une étude du profil social et politique des auteurs et réalisateurs, ainsi que de la diffusion et de la réception des films — les contributions retenues par Florence Binard et Guyonne Leduc sont d’un excellent niveau scientifique. Elles justifient amplement la lecture de Mères-Célibataires : De la malédiction au libre-choix ? Regards croisés France / Grande-Bretagne, malgré l’impression d’un projet d’ensemble un peu inabouti.

 

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