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Entre mer et ciel

Le voyage transatlantique de l'Ancien au Nouveau monde

XVIe-XXIe siècle

 

Sous la direction de Marie-Christine Michaud et Philippe Hrodèj

 

Collection Histoire

Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2015

Broché. 182 p. ISBN 978-2753537002. 18 €

 

Recension de Suzy Halimi

Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3

 

 

Cet ouvrage collectif, pluridisciplinaire, est composé de onze articles. Y ont contribué des spécialistes d'histoire moderne (7 textes), des linguistes, études anglophones (3) et hispaniques (1). L'introduction générale évoque l'historiographie du sujet, rappelant que l’Atlantic History est devenue depuis plusieurs années un thème de recherche fécond [11]. Elle présente ensuite, comme il se doit, l'architecture de l'ensemble, lequel se déroule en trois parties respectivement intitulées « l’Alpha et l'Omega » [15-72], « Les Rouliers des mers » [73-133] et « Représentations et discours » [135-177], suivies de la table des matières [179-180]. La période de référence couvre six siècles, depuis le départ de Christophe Colomb, qui s'élance entre mer et ciel le 9 septembre 1492, jusqu'au film Golden Door (2015) d'Emanuele Crialse.

Qui sont ceux qui entreprennent ce voyage transatlantique, à bord de voiliers d'abord, puis de navires à vapeur ? Une typologie se dessine au fil des contributions. Mis à part les grands explorateurs – non évoqués ici – ce sont pour la plupart des Italiens qui fuient la misère de leur quotidien avec l'espoir d'une vie meilleure sous d'autres cieux. Les données statistiques fournies notamment par Nicolas Cochard (« Dans l'attente du grand départ ») et par Philippe Hrodèj (« L'Atlantique dans tous ses états ») illustrent l'importance quantitative de cette migration. Marie-Christine Michaud nous les montre dans le film de Crialse, à bord du navire qui s'éloigne du quai, dans un mélange d'ombre et de lumière, reflets de leurs craintes et de leurs rêves.

Il y a aussi les religieux poussés à l'exil par l'intolérance de leur pays d'origine, comme ces trois puritains, objet d'une étude de cas de Sara Naila Watson (‘But the children of Israel walked upon the sea’), William Bradford, John Winthrop et Richard Mather embarqués sur le Mayflower pour aller fonder la Nouvelle Jérusalem au-delà des mers. Trois siècles plus tard – mais 90 pages plus tôt dans l'ouvrage ! – ce sont les sœurs de l'Instruction du Puy qui en 1903 fuient l'anticléricalisme de Léon Gambetta et les lois de Jules Ferry sur l'éducation laïque, pour aller au Canada, à Vancouver, instruire les autochtones (Simon Balloud).

Enfin ceux qui partent « au nom du Roi », au XVIIIe siècle sur des navires de guerre avec, pour mission, de gouverner, d'administrer et de peupler les colonies : hommes de troupe, personnels de la Marine, ouvriers, artisans, mais aussi les repris de justice dont le pays veut se débarrasser : faux-saulniers, braconniers, contrebandiers, etc. (Sébastien Martin).

Contrairement au titre de l'ouvrage qui met l'accent sur le passage « de l'Ancien au Nouveau Monde », un article, celui de Julien Roger, traite du trajet inverse, celui des Américains pour qui le voyage en Europe est un objectif, voire une « nécessité, pour parfaire leur formation intellectuelle ou artistique – variante du Grand Tour de l'époque des Lumières –, pour se ‘libérer du poids de la barbarie’ » [104] ou simplement pour se donner du bon temps (« 45 dias marineros » de Norah Lange). Ces Américains à Paris peuplent la littérature et les arts du XXe siècle (auxquels on aurait pu faire allusion par une mise en contexte), et pas seulement la musique de George Gershwin !

Une fois prise la difficile décision de partir, souvent avec l'aide des parents et amis déjà installés en Amérique, en route vers les ports d'embarquement. Nicolas Cochard suit l'essor du Havre « espace nodal entre l'Ancien et le Nouveau Monde » [20], surtout après la création de la Compagnie Générale Transatlantique (CGT). Sébastien Martin s'intéresse à Rochefort et aux conditions d'accueil de ceux qui partent « au nom du Roi ».

Puis c'est le saut dans l'inconnu, la traversée avec ses aléas que retrace Eric Roulet (« Parcours et détours des navires vers les îles d'Amérique » [75-85]). À bord commencent les épreuves de la traversée : « Monsieur le Mal de Mer » [66], comme disent les religieuses françaises, la canicule dans les eaux tropicales, la promiscuité, l'ennui, les tempêtes – les âmes pieuses y voient une épreuve d'origine divine et songent à Jonas, à l'Arche de Noë, « les impies deviennent dévôts » (Bernard Grunberg, « À l'épreuve de la foi et des éléments naturels » [97]). Et au large rôdent les corsaires, surtout les Barbaresques qui vendent leurs prisonniers sur le marché aux esclaves du Maroc. Quand enfin la vigie annonce la terre en vue, un Te Deum salue la bonne nouvelle [98] et chacun se hâte de quitter le vaisseau, véritable « univers carcéral » [12-13].

La troisième partie traite des « représentations et discours », thème important … mais déjà abordé par Marie-Christine Michaud (« Représentation du voyage transatlantique chez les migrants italiens ») et çà et là dans la plupart des articles antérieurs ; peut-être inévitable pour chacun des contributeurs, mais regrettable pour l'architecture de l'ouvrage et le déroulement de la problématique ! Cela dit, on ne peut qu'apprécier la riche iconographie réunie par Grégory Wallerick dans son article « Illustrer le voyage transatlantique dans la collection des De Bry-Mérian (1590-1634) : Entre chimères et réalités » [137-151]. En revanche, lorsque Sara Naila Watson évoque le bestiaire des trois puritains « parfois fantastique ou fantaisiste » [159] et la langue puritaine émaillée de métaphores dont la lecture « doit s'opérer par analogies » [154], quelques exemples précis auraient été les bienvenus. Il en va de même pour le texte du roman de Norah Lange (Julien Roger) « où l'espace n'est jamais décrit en tant que tel mais toujours transformé en métaphore » [169] : une ou deux citations auraient permis d'illustrer ce genre de formule.

Les quelques coquilles relevées ici ou là ne sont que des broutilles qui n'ôtent rien à la qualité d'ensemble de la langue. Mais on peut regretter que dans certains articles, l'appareil critique – notes infra-paginales et bibliographie – soit réduit à sa plus simple expression. Et sur le plan du fond, une place n'aurait-elle pas pu être réservée au célèbre commerce triangulaire qui, au XVIIIe siècle, fait la richesse des ports français et étrangers, avec ses cargaisons d'esclaves emmenés vers le Nouveau Monde, entre mer et ciel, dans des conditions encore plus éprouvantes que celles évoquées ici ? La brève allusion qu'y fait Philippe Hrodèj [106] laisse le lecteur sur sa faim.

Malgré les quelques réserves ou suggestions exprimées par le présent recenseur, cet ouvrage, tel qu'il se présente, apporte une contribution riche et intéressante à cette Atlantic History qui occupe désormais une place de choix dans le monde de la recherche.

 

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