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Le Curé est une femme

L’ordination des femmes à la prêtrise dans l’Église d’Angleterre

 

Églantine Jamet-Moreau

 

Préface d’Emmanuel Le Roy Ladurie

Collection Des Idées et des femmes

Paris : L’Harmattan, 2012

Broché.  323 pages.  ISBN 978-2296-575165.  33 €

 

Recension de Rémy Bethmont

Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

 

 

Églantine Jamet-Moreau a écrit un livre tout à fait remarquable sur les femmes prêtres dans l’Église d’Angleterre. L’auteure pose ce qui est sans doute la question la plus profonde liée à cette évolution, à savoir dans quelle mesure le patriarcalisme qui a façonné la tradition chrétienne lui est ou non consubstantiel. Passée une première partie — que maints lecteurs ne trouveront sans doute pas indispensable — où sont détaillés les fondements théoriques et les références historiques de la réflexion de l’auteure sur la hiérarchie masculin/féminin appliquée au christianisme (comprenant aussi une présentation de la Réforme et de l’anglicanisme avec laquelle l’historien ne sera pas toujours d’accord), on entre dans le vif du sujet avec la deuxième partie de l’ouvrage. C’est à partir de ce moment que le livre commence à révéler toutes ses qualités.

L’auteure fait une narration historique assez complète de l’évolution lente, difficile, mais néanmoins positive du rôle des femmes dans l’Église d’Angleterre depuis les diaconesses de la fin du XIXe siècle aux années 1980, quand le débat sur l’ordination des femmes à la prêtrise prend de l’ampleur [95-134]. Elle y donne ensuite un aperçu des arguments pour et contre l’ordination des femmes, qu’ils soient de nature scripturaire, ecclésiologique ou anthropologique [135-165]. Sans ignorer les évangéliques anglicans, l’auteure développe plus particulièrement les arguments des anglo-catholiques, sans doute en raison de leur proximité avec ceux de Rome. Les citations de théologiens catholiques romains sont en effet nombreuses et une des grandes motivations de l’auteure transparaît de ce chapitre : contrer la position vaticane. La deuxième partie s’achève sur une narration détaillée de l’ouverture du sacerdoce aux femmes dans l’Église d’Angleterre, depuis la mise en route du processus législatif en 1989 jusqu’aux premières ordinations en 1994 [167-188].

Cette deuxième partie, si elle n’apporte rien de nouveau au spécialiste, sera extrêmement utile au lecteur peu averti de l’histoire récente de l’Église d’Angleterre. On regrette seulement que, sur la question des mesures de protection accordées en 1992-93 aux traditionalistes opposés à l’ordination des femmes, le propos engagé de l’auteure la mène à « coller » tellement à la parole des militantes féministes anglicanes qu’elle passe un peu rapidement sur la pertinence d’analyses alternatives. Si les concessions faites aux traditionalistes entraînent indubitablement une discrimination objective à l’encontre des femmes prêtres dans l’institution, l’intention qui y a présidé est peut-être à mettre sur le compte moins du sexisme du Synode Général que de l’habitude séculaire de l’Église anglicane de chercher à rassembler en son sein, même au prix de la contradiction et de l’illogisme, des tendances théologiques, liturgiques et ecclésiologiques très diverses, voire antithétiques. Cette caractéristique fondamentale de la tradition anglicane, que relève bien d’ailleurs Églantine Jamet-Moreau, est un facteur d’explication (qui s’applique aussi à certains compromis et demi-mesures anglicanes vis-à-vis des gays et lesbiennes dans l’Église) dont l’importance est peut-être plus grande que celle que l’auteure lui accorde.

La troisième partie offre au lecteur les pages les plus originales et les plus passionnantes de l’ouvrage. Fruit d’une enquête sociologique qualitative provenant d’entretiens avec quarante femmes prêtres en 2002 et 2004, soit près de dix ans après les premières ordinations de femmes, cette dernière partie d’ouvrage examine avec finesse et nuance l’impact de l’exercice du sacerdoce par les femmes sous trois angles différents : l’impact sur les femmes prêtres elles-mêmes et sur leur rapport au féminisme ; sur la hiérarchie masculin/féminin qui persiste dans l’Église ; et, finalement, sur le ministère ordonné dans son ensemble. La diversité des parcours des femmes interrogées et la variété qui caractérise la manière dont elles comprennent leur vocation sont remarquablement mises en valeur et l’analyse d’Églantine Jamet-Moreau montre très bien la complexité de ce que représente le sacerdoce mixte, loin des généralisations stéréotypées.

Églantine Jamet-Moreau pose d’abord la question du rapport des femmes prêtres à un militantisme féministe. Elle fait une analyse fort intéressante de son déclin alors même que 80% des femmes interrogées se définissent comme féministes, qu’elles affirment que la culture patriarcale de l’Église est toujours en place et que des objectifs clairs existent pour promouvoir la cause des femmes dans l’Église, que ce soit l’accès à des postes importants dans la hiérarchie ou l’emploi d’une liturgie inclusive. L’auteure montre bien que l’exercice du ministère ordonné par les femmes les met dans une situation souvent peu propice au militantisme pour des raisons beaucoup plus diverses que d’aucuns ne pourraient le penser [201-236].

Églantine Jamet-Moreau passe ensuite à un tableau, là encore très  nuancé, des perceptions qu’ont ces femmes de leur intégration et acceptation en tant que prêtres dans l’Église. Si la situation des femmes prêtres s’est beaucoup améliorée depuis 1994, leur acceptation est encore marquée d’une ambivalence certaine. Il subsiste en effet des oppositions, parfois violentes, de la part de certains laïcs comme de certains clercs. La culture patriarcale de l’Église s’exprime toujours dans la condescendance qu’on trouve encore dans la hiérarchie vis-à-vis des femmes prêtres, dans certaines formes insidieuses de harcèlement sexuel, dans la persistance de certaines représentations du corps féminin comme source d’impureté et dans un sexisme institutionnel, parfois inconscient, qui rend l’accès à certaines fonctions extrêmement difficile pour les femmes [237-258].

Le dernier chapitre, peut-être le plus passionnant de cette enquête sociologique réussie, examine en quoi la prêtrise mixte a la possibilité de transformer le ministère ordonné et son exercice en profondeur. La présence de femmes prêtres ne crée pas une prêtrise féminine qui serait distincte, dans son essence, d’une prêtrise masculine, mais elle vient plutôt remettre en question les modes patriarcaux d’exercice du ministère et contribue donc à promouvoir un modèle moins hiérarchique et plus collaboratif que hommes comme femmes peuvent reprendre à leur compte [259-281].

Églantine Jamet-Moreau a écrit un livre permettant de mieux connaître et comprendre les manifestations concrètes de l’accès des femmes à la prêtrise en Angleterre tout en présentant une réflexion particulièrement intéressante sur la difficulté pour la sphère ecclésiastique de s’engager dans une déconstruction en profondeur de sa culture patriarcale, au-delà des effets d’annonce.

 

Cercles © 2014

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