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Shakespeare au Festival d'Avignon

Configurations textuelles et scéniques, 2004-2010

 

Florence March

 

Collection Champ théâtral

Montpellier : Éditions l'Entretemps, 2012

Broché. 160 pp. ISBN 978-2355391453. 25,36 €

 

Recension de Jean Maurice

Université de Rouen

 

L'année où l'on célèbre le centenaire de la naissance de Jean Vilar (avec pour manifestation majeure la "lecture-spectacle", par La Comédie française, de sa pièce jusque là inédite Dans le plus beau pays du monde, dans une mise en scène de Jacques Lassalle, à la "Maison Jean Vilar", en juillet 2012), une étude consacrée à Shakespeare tombe fort à propos. En effet, l'auteur d'Hamlet est le dramaturge le plus joué au Festival d'Avignon, après, lors de la "Semaine d'art" de 1947, le geste inaugural de Jean Vilar, la création française de La Tragédie du roi Richard II dans l'emblématique Cour d'honneur du palais des papes.

L'introduction de l'ouvrage justifie l'empan chronologique choisi : de 2004, quand Hortense Archambault et Vincent Baudriller deviennent directeurs du Festival, à 2010, lorsque s'achève la rédaction du livre. Elle délimite le corpus des sept œuvres de Shakespeare montées dans le "In" durant cette période. Elle définit aussi une méthode : pluridisciplinarité, enquêtes de terrain, entretiens avec certains artistes et reprise des conclusions de livres antérieurs qui "constituent autant d'étapes intermédiaires avant l'aboutissement" [13] du présent ouvrage. Enfin, elle affirme une ligne directrice: constatant d'emblée, dans l'annonce des spectacles retenus pour l'analyse, un flou terminologique entre "traduction", "adaptation", voire "réécriture", l'auteur annonce refuser la référence au "spectre fantasmé d'un Shakespeare authentique" [12], prétendument trahi ou suivi avec plus ou moins de fidélité: "La question ici n'est pas tant de chercher ce que signifie Shakespeare que ce que les artistes contemporains signifient à travers lui (...) et la manière dont les spectateurs d'aujourd'hui participent à l'acte de reconfiguration de la forme et du sens" [12].

La première partie de l'étude, "D'un théâtre populaire à l'autre : Shakespeare et Vilar" commence par un bref rappel historique montrant que "l'histoire du théâtre populaire en France s'est construite avec Shakespeare" [16]. Elle se poursuit avec un parallèle systématique entre la France d'après-guerre et le monde anglais à l'époque où écrit le dramaturge : Vilar trouve dans le théâtre élisabéthain un moyen privilégié de mettre en place un théâtre populaire, "vecteur de la (re)construction nationale". Selon la formule de Dennis Kennedy, Shakespeare devient ainsi le support d' "un plan Marshall culturel".

Avignon et le dramaturge se rencontrent donc au centre d'un "carrefour mythologique". Le mythe du festival, avec ses grands hommes régulièrement célébrés, ses lieux théâtraux exceptionnels et ses rituels, et le mythe d'un Shakespeare fétichisé dans une "bardolâtrie" née dès le XVIIe siècle se renforcent mutuellement.

C'est ce qu'illustre la seconde partie, consacrée aux "Configurations textuelles et scéniques, 2004-2010". Shakespeare écrit un théâtre "adaptogénique", fondé sur une "culture de l'emprunt" (ce qui n'a rien d'original : elle est de règle au Moyen Âge et encore chez Molière) et sur ce que les médiévistes appellent la "mouvance" de textes instables : l'histoire éditoriale de quelques pièces, notamment Le Roi Lear, le prouve très clairement. Par conséquent, les traductions, adaptations, "tradaptations", "re-créations" qui caractérisent le Shakespeare avignonnais des années 2004-2010 ne font que s'inscrire dans la dynamique d'une œuvre en perpétuel devenir et ouverte aux quatre vents des interprétations. Ces "configurations", loin de la trahir, continuent légitimement de la faire vivre.

Tel est le cas des mises en scène concrètes que, en reprenant souvent des études antérieurement publiées, l'auteur analyse avec pertinence, pour en faire ressortir une "vitalité débridée" et un "narcissisme morbide" très stimulants.

La conclusion reprend les principaux acquis des développements précédents et ouvre des perspectives, car une étude systématique et exhaustive de la place occupée par Shakespeare au Festival d'Avignon reste à faire. En effet, elle serait sans doute très féconde, car elle amènerait peut-être à distinguer, d'une part ce qui est le reflet des époques, des esthétiques et des tendances inhérentes aux pièces de Shakespeare, et d'autre part ce qui résulte de choix de programmation à un moment précis de la longue et riche histoire du Festival d'Avignon.

L'originalité de l'ouvrage est de se situer au carrefour des études anglicistes et des études théâtrales et, dans une perspective pluri- et interdisciplinaire, d'éclairer les unes par les autres. Appuyé sur de multiples références, très pédagogique (il ne craint pas de reprendre des citations ou des analyses d'une partie à l'autre), il sera donc utile aux étudiants en études théâtrales connaissant mal les questions soulevées par l'œuvre de Shakespeare (histoire culturelle de son époque, problèmes d'établissement de ses textes, etc.) et, inversement, aux anglicistes peu au fait du spectacle vivant d'aujourd'hui.

 

Cercles © 2012

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