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Les Locutions de l’anglais

Emplois et stratégies rhétoriques

Fixed Phrases in English

Use and rhetorical strategies

 

Sous la direction de Blandine Pennec et Olivier Simonin

 

Cahiers de l’Université de Perpignan n° 40

Broché. 240 p. ISBN : 978-2-35412-145-7. 18 €

 

Recension de Vincent Hugou

Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

 

 

Ce volume des Cahiers de l’Université de Perpignan dirigé par Blandine Pennec et Olivier Simonin réunit huit études de chercheurs anglicistes venus d’horizons différents. Toutes portent sur un même objet : les locutions de l’anglais. La réflexion a été ouverte les 22 et 23 octobre 2010 à l’Université de Perpignan Via Domitia lors d’un colloque international de linguistique anglaise sur les locutions figées de l’anglais. Six contributions sont écrites en anglais. Deux sont en français.          

L’état des lieux de la question traitée, auquel chaque auteur se livre, est là pour nous rappeler discrètement que le domaine de la locution n’est pas en friche et qu’il a déjà engendré une littérature fournie. Y figurent des auteurs incontournables, qui font autorité dans ce domaine : Bybee [2001], Fillmore [1988], Goldberg [1995], Granger [1998 ; 2008], Gries [2008], Mel’cuk [1998], Moon [1998], Sinclair [1991], entre autres.

Une approche ouverte et diversifiée a été délibérément retenue :

- la lecture des articles permet de se rendre compte que la locution est un espace mouvant, aux frontières à géométrie variable. Elle ne saurait se réduire à l’étude de « constructions idiomatiques », comme on peut souvent l’entendre, et rassemble des réalités fort diverses : marqueurs du discours (you see), formes périphrastiques (take a look), proverbes (half a loaf is better than none), composés syndétiques (bibs and cones), groupes prépositionnels (at church), locutions adverbiales (just about), expressions numériques (meat and two veg), locutions idiomatiques grammaticales (there’s no + V-ing).

Par ailleurs, il appert des différentes données observées que la locution se situe souvent au carrefour des domaines d’étude du lexique et de la grammaire en ce qu’elle intègre, d’une part, la combinatoire lexicale (les collocations) et, d’autre part, la combinatoire syntaxique (la structure actancielle des mots) ;

- ce volume ne procède pas d’un point de vue théoriquement unifié et rares sont les contributions qui s’enferment dans des cadres qui risqueraient fort d’emprisonner les analyses et de n’en éclairer qu’un seul aspect. Lorsqu’une sensibilité particulière est affichée (notamment, la Théorie des Opérations Enonciatives développée par Culioli), les analyses restent en général accessibles au lecteur non rompu aux arcanes de la théorie retenue ;

- le problème des données a requis l’attention de tous les auteurs : les grands corpus électroniques, tels que le Corpus of Contemporary American English (COCA) et le British National Corpus (BNC) sont utilisés, ce qui n’exclut pas le recours éclairé et critique aux outils plus traditionnels, tels que les dictionnaires ou l’exploration de la Toile ;

- précisons enfin que si les auteurs ne s’engagent pas à proprement parler dans des études contrastives, il arrive que des remarques sur d’autres langues ou sur des variations au sein d’une même langue puissent aussi émerger par endroits. Ces quelques allées et venues ne déroutent bien évidemment jamais le lecteur ; au contraire, elles ajoutent vie et profondeur à ce vaste ensemble.

Brève présentation des contributions :

La contribution d’Amanda Emonds ouvre le débat. L’auteur se livre à une véritable synthèse des travaux existants, notamment dans le domaine disciplinaire de l’acquisition d’une langue seconde, ce qui permet d’entrée de jeu d’ancrer la locution dans un paysage théorique. On ne peut que constater l’extraordinaire richesse de théories et de méthodes, le foisonnement terminologique, mais aussi une difficulté à voir clair dans un domaine qui, il faut le reconnaître, est récalcitrant à des classifications rigides.

Alice Violet s’intéresse aux syntagmes prépositionnels à article zéro (at church, at source, in hospital). Elle examine ces séquences au regard d’une batterie de critères et met au jour un réseau de contraintes qui s’exerce sur ces patrons (blocage des paradigmes synonymiques, non-actualisation des éléments, pluralisation très difficile, etc.). Elle constate que les locutions qu’elle examine ont souvent des débuts de paradigmes et s’interroge sur les limites de leur productivité. Il va de soi que certains exemples peuvent être sauvés dans un contexte particulier (I arrived yesterday by carpet), mais il s’agit de créations plaisantes et éphémères. La mise en parallèle des formes dites « marquées » (les formes au cœur de l’étude) et des formes dites « non marquées » (at the church, at the source, in the hospital) soulève plusieurs questions. Une étude sur corpus, fort convaincante, permet de conclure que ces alternances ne peuvent être traitées sur un pied d’égalité : la forme marquée a acquis des valeurs discursives alors que la forme non marquée n’est souvent qu’un simple syntagme prépositionnel locatif.

La question de la locution est également abordée par Bertrand Richet sous l’angle inhabituel des nombres (cardinaux et ordinaux, dont les fractions). Le lecteur ne manquera pas de remarquer que la méthodologie déployée manifeste chez l’auteur un souci d’exactitude et une grande honnêteté. Les difficultés de collecte des données sont mises à plat et discutées (problème d’entrée des dictionnaires, difficulté à discriminer des locutions dans les corpus des séquences librement générées par la syntaxe) et c’est uniquement par l’examen systématique des formes recueillies que l’auteur arrive à les surmonter. Ce souci d’exactitude n’exclut jamais pour autant l’émotion et l’humour discret qui surgit au détour de paragraphes (ce qui confère à l’ensemble un tour divertissant). Les analyses qui s’ensuivent poussent à la réflexion : on apprend, par exemple, que le chiffre « deux » évoque l’harmonie et la perfection, mais aussi la mesure, la prudence, comme en témoignent certaines locutions de l’anglais (to think twice, on second thoughts). Mais à partir du chiffre trois et au-delà, c’est l’impression d’asymétrie, de trop-plein, de déséquilibre qui prend le dessus. On en veut pour preuve la locution three sheets to the wind qui traduit les excès de l’intempérance ou encore a three-ring circus pour désigner une véritable pétaudière. La comparaison interlinguistique des locutions françaises (il a 36 000 choses à faire à la fois) et leur équivalent numérique en anglais, qu’une recherche sur le COCA permet de placer dans des ordres de grandeur différents, a également attiré notre attention. En somme, cet article instruit et amuse tout en conciliant humour et rigueur du raisonnement.

C’est dans le discours footballistique que nous plonge Jim Walker. Ce champ, qui est susceptible de susciter l’intérêt des lexicographes et des spécialistes de phraséologie, est fécond en expressions figées, principalement connues, semble-t-il, des amateurs de ce sport. Les locutions que l’auteur a retenues sont classées selon un ordre de complexité syntagmatique. On y trouve de simples compositions nominales (kick and rush), des expressions lexicalement spécifiées (park the bus in front of the area), mais aussi des schémas grammaticaux qu’il dénomme le « narrative present perfect ». On constaterait en effet depuis quelque temps, chez certains commentateurs sportifs mais aussi dans des cercles de plus en plus larges (en anglais britannique du moins), des occurrences du present perfect dans les narrations des différentes péripéties d’un match. Cette forme ne manque pas d’intriguer ceux qui travaillent sur le rôle aspectuel de Have+ -EN. Elle pourrait même influencer les usages syntaxiques en anglais contemporain.

Christelle Lacassain-Lagoin relance la question des formes périphrastiques en have a / take a / give a suivies d’un prédicat nominalisé (cf. Wierzbicka [1988]), mais en imprimant à sa recherche une touche toute particulière, puisqu’elle choisit d’y étudier des formes répondant au patron have / take / give + formes nominalisées des verbes de perception (have a taste, give a look, take a listen). Elle se place sur plusieurs plans et réussit à mettre au jour des contraintes syntaxiques, sémantiques et stylistiques qui peuvent rendre compte de certaines combinaisons. La finesse des analyses, la circonspection dont l’auteur ne se départit jamais ainsi que la prise en compte de cas particuliers sont des points forts de cet article. Elle cherche, par exemple, à savoir pourquoi watch et look ne sont pas représentés à parts égales dans son corpus, en dépit de leurs points communs (deux verbes de perception agentifs, notamment). Toujours sur la brèche, elle s’interroge sur d’autres alternances, telles que have a listen / take a listen et sur l’absence de certains verbes de perception dans ces configurations (*have a see). Son approche permet, en outre, de dépasser le stade des considérations diatopiques et registrales, certes très importantes, mais trop souvent invoquées pour ces formes alors que leur réalité est beaucoup plus riche et complexe.

Dans son article, Graham Ranger s’intéresse au marqueur de discours you see. Dans une première partie descriptive, il fait ressortir ce que ce marqueur a de particulier (sa mobilité, son invariabilité, notamment), ce qui permet de le ranger ipso facto dans la catégorie des expressions figées qui doivent être appréhendées de manière holistique, en bloc. On ne doit pas conclure pour autant que cette forme est inanalysable. En s’appuyant sur les travaux de Franckel et Lebaud [1990], il essaie de voir quelles propriétés de see dans ses usages lexicaux (relation verbe-complément) ont été réinvesties dans le you see qu’il examine. Il explique également que ce marqueur peut faire l’objet d’emplois stratégiques en discours (discours narratif et discours argumentatif). Il intègre enfin la dimension diachronique à son travail et se livre à une critique argumentée de trois hypothèses qui tentent de rendre compte des différentes étapes qui ont pu mener au you see parenthétique dans l’état actuel de la langue. C’est ainsi que l’auteur parvient à faire une analyse approfondie de ce marqueur dans sa multidimensionnalité.

Christopher Desurmont jette une lumière nouvelle sur la locution adverbiale just about qui est compatible avec divers types de constituants syntaxiques, dont des syntagmes verbaux. Les exemples qu’il fournit, extraits d’une recherche sur le BNC, mettent en évidence la co-présence d’autres opérateurs de modalisation (just about exactly, par exemple). Cette accumulation est là pour retarder l’arrivée du verbe qui est choisi « par défaut » dans un stock lexical lacunaire (il n’existe par exemple aucun verbe qui puisse traduire exactement la « réminiscence approximative », d’où they could just about remember the Store). L’article comporte mainte remarque intéressante. Cela étant, l’approche retenue (l’approche topologique des domaines notionnels de la Théorie des Opérations Enonciatives) reste d’une lecture ardue et ne peut être pleinement appréciée que par le seul initié.

Pierre Cotte étudie la construction syntaxique there+be+no+V-Ing (there’s no knowing what he’ll do next) qui a souvent été abordée de manière anecdotique dans la littérature et dans les grammaires. Il soumet la construction à divers tests qui permettent de mettre en évidence son caractère figé et idiomatique. L’auteur montre comment le sens de la locution se construit par la mise en relation des marqueurs utilisés. Il s’interroge notamment sur les propriétés du gérondif par opposition au nom verbal et à l’infinitif. Les exemples sont toujours précis et nombreux et viennent étayer une démonstration fort convaincante qui monte en crescendo et qui clôt ce recueil.

Nous sommes convaincu que par l’envergure du spectre qu’il balise, cet ouvrage peut intéresser tous les linguistes en langue anglaise. Il devrait, plus particulièrement, susciter un intérêt auprès de ceux que préoccupent les questions de créativité lexicale et l’enseignement de l’anglais langue seconde. Le lecteur non spécialiste de la locution, auquel cet ouvrage est également destiné, pourra aussi y trouver abordées en divers endroits les problématiques afférentes à l’étude des locutions : les thèses de la (non-)compositionnalité, de l’opacité sémantique, de l’idiomaticité ; les tests traditionnellement utilisés pour déterminer le degré de figement d’une locution ; les notions de lexicalisation et de grammaticalisation, de collocations et de colligations… On aurait peut-être alors souhaité que les références de chaque auteur soient ramassées (et complétées ?) dans une bibliographie générale placée en fin de volume.

En conclusion, il faut retenir que les points forts de cet ouvrage, à savoir la diversité des sujets traités, des approches et des méthodes utilisées, contribuent à en faire une somme de réflexions de haut niveau sur le phénomène de la locutionnalité. Il est vrai qu’en achevant sa lecture, on peut se demander si la locution n’est pas en fin de compte une catégorie fourre-tout, tellement englobante que sa pertinence se diluerait. Mais cette impression se dissipe rapidement. Que le lecteur ne s’y trompe pas d’ailleurs : le but de l’ouvrage qu’il a en mains n’est à aucun moment de réduire la complexité mais plutôt, au contraire, d’inciter à remettre sur la sellette bien des questions et à ouvrir, dans le même temps, de nouvelles voies d’exploration. Les défis ne manquent pas en ce domaine.

 

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