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Culture et mémoire : Représentations contemporaines

de la mémoire dans les espaces mémoriels,

les arts du visuel, la littérature et le théâtre

 

Sous la direction de Carola Hähnel-Mesnard,

Marie Liénard-Yeterianet et Cristina Marinas

 

Palaiseau : Éditions de l’École Polytechnique, 2008, 531 pages. 29 €.

ISBN : 2730214925 ; 978-2730214926.

 

Recension de Daniel Mortier

Université de Rouen

 

Ce gros ouvrage, au titre explicite, réunit les textes de cinquante-six communications présentées lors d’un colloque organisé à l’École Polytechnique, du 22 au 24 mars 2007.

Le premier intérêt de ce livre est son ouverture géographique. Les trois éditrices sont l’une germaniste, l’autre angliciste et la dernière hispaniste. Les auteurs des études  vivent en Argentine, en Suisse, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Canada, en Allemagne, en Belgique...

Les faits concernés par la mémoire sont bien sûr la Shoah, mais aussi la captivité des soldats français en Allemagne, la Guerre civile espagnole, Hiroshima, la Guerre civile grecque, le totalitarisme soviétique, les guerres coloniales en Afrique, le drame des harkis, la dictature militaire en Argentine, le génocide du Rwanda, le massacre de Srebrenica ou l’attentat du 11 septembre.

L’autre intérêt du livre vient de la diversité des formes prises en compte pour ces « représentations contemporaines de la mémoire ». Dans la deuxième partie intitulée « Espaces mémoriels », il s’agit des musées français de la Seconde Guerre mondiale (Dominique Trouche)  ou du Musée Royal de l’Afrique centrale (Aurélie Roger), des mémorials de Nankin (Françoise Kressler), pour les Juifs assassinés (Ruth Vogel-Klein), et des Mille (Thomas Keller), et d’autres lieux commémoratifs (de l’héritage culturel est-allemand par Élisa Goudin-Steinmann et  des victimes du conflit entre l’ETA et l’État espagnol par Jesus Alonso Carballès) ; il y est aussi question du « tourisme de guerre » en Espagne (Mari Carmen Rodriguez), de l’historiographie de la Résistance italienne (Elisabetta Ruffini), d’une bibliothèque au Mali (Maria G. Vitali-Volant) et du discours tenu à propos du football en Angleterre (Matthew Leggett).

La troisième partie est d’abord consacrée au cinéma : la récente vogue des films français sur la Grande Guerre (Corine Denève), la mémoire filmique de la défaite japonaise, de la guérilla antifranquiste ou de la guerre civile grecque (François Lecointe, Virginie Gautier N’Dah-Sekou, Stéphane Sawas) les films Russki kovcheg, d’Alexandre  Sokurov (Lilya Kaganovsky), The Rosa Parks Story, de Julie Dash (Anne-Marie Paquet-Deyris), et 300, le peplum de Zach Snyder (Robert A. Rushing). Puis sont abordées d’autres représentations visuelles : la peinture (des Allemands A. Paul Weber et Franz Radziwill, par Claire Aslangul), la photographie (de l’Allemand Thomas Ruff, par Aurélie Lacan),  et  la télévision (argentine, par Claudia Feld).

Ensuite, la quatrième et dernière partie se penche sur ce qui est écrit, d’abord à lire puis à monter au théâtre. Sont alors examinés des groupes d’auteurs : ceux du nouveau roman familial en Allemagne (Christine Schmider), ou de la jeune littérature autrichienne (Ingeborg Rabenstein-Michel), les écrivains russes contemporains (Anastasia de la Fortelle), les prisonniers de guerre français de la Seconde Guerre mondiale (Laurent Quinton), les auteurs de fictions représentant l’Occupation allemande de 1940-44 (Christine Pflüger), les romancières algériennes (Christine Détrez/Anne Simon), les descendants de harkis (Giulia Fabbiano), la littérature francophone des Antilles (Cyrille François), ou les nouvelles dramaturges d’Afrique noire francophone (Laurence Barbolosi). Sont aussi considérées les œuvres d’écrivains particuliers ; l’Argentin Juan Gelman (Lucie Taïeb), les Allemands Günter Kunert (Martine Benoit) et Klaus Schlesinger (Daniel Argelès), le Hongrois Peter Esterhazy (Inès Cazalas), le Français Patrick Modiano et l’Allemand W.G. Sebald (Rober Kahn), l’Espagnol Alfons Cervera (Georges Tyras), la Portugaise Lidia Jorge (Ana Maria Binet), l’Afro-américain Ernest J. Gaines (Valérie Croisille), la Somalienne Igiaba Scego (Brigitte Le Gouez), le Chilien Carlos Cerda (Maria Grazia Spiga Bannura). Les œuvres théâtrales sollicitées sont celles d’Edward Bond et Heiner Müller (Leila Asham), de Carlos Cerda (Maria Grazia Spiga Bannura), ou bien les adaptations de textes de Primo Levi et Wladislaw Szpilman (Annick Asso), les spectacles récents du collectif le Groupov, d’Olivier Py et de Michel Vinaver (Carole Guidicelli) ou ceux qui relèvent des nouvelles dramaturgies d’Afrique noire francophone (Laurence Barbolosi). 

L’ouvrage s’ouvre avec une première partie, qui ne cherche pas à proposer une éventuelle grille de lecture pour la suite, mais qui propose six « regards croisés » qui sont autant de réflexions sur le phénomène mémoriel, pas rapporté à des représentations. Marc Ferro montre comment, via le ressentiment, la mémoire des violences ou de conflits passés peut devenir un acteur de l’histoire ; Sarah Gensburger se penche sur « l’émergence de la catégorie de ‘Juste’ comme paradigme mémoriel » de Jérusalem à Kigali ; Michael Rothberg s’attache à l’articulation entre les textes dénonçant le massacre d’Algériens à Paris le 17 octobre 1961 et la mémoire de l’Holocauste ; Éric Méchoulan s’interroge sur les relations entre mémoire et culture, et sur les temporalités anachroniques que devrait adopter l’écriture de notre histoire ; Odette Martinez-Maler analyse comment les petits-fils de républicains espagnols (les nietos republicanos) ont fait apparaître une mémoire toute tissée de rhétorique pathétique qui s’est substituée à la mémoire politique et à l’histoire.

Comme le remarquent les éditrices, l’ensemble donne à voir que l’émergence de la mémoire des violences passées suit le même itinéraire : « oubli et déni d’abord, amnésie et anamnèse, exhibition et surinvestissement ensuite » [Avant-propos, p. 13]. On y constate aussi bien sûr l’importance de la Shoah. Les regroupements selon les supports ne font pas vraiment apparaître des spécificités liées à ces supports, sans doute parce qu’aucune comparaison n’est menée entre ceux-ci, mais seulement éventuellement avec les recherches historiques. L’originalité de la démarche est de considérer la totalité des formes de représentations de la mémoire, qu’elles soient affichées ou non, qu’elles soient des gestes historiens ou esthétiques. L’objectif poursuivi et atteint est de permettre de prendre conscience, à partir de cas divers et précis, de l’ampleur du phénomène de la prise en charge de la mémoire par les multiples formes de représentation qui nous sont proposées : le travail de la mémoire sous toutes ses formes, en quelque sorte, depuis que celui-ci est devenu une ardente obligation.

 

 

 

 

 

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