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Les Aventures de Perkin Warbeck

Mary Shelley

 

Édition critique et traduction de l’anglais par Anne Rouhette-Berton

Paris : Classiques Garnier, 2016

Broché. 619 p. ISBN 978-2406066149. 19 €

 

Recension d’Alain Morvan

Université de la Sorbonne Nouvelle (Paris 3)

 

 

 

Roman d’aventures, roman historique, roman de cape et d’épée, roman d’amour (qui s’achève sur le mot « love »), roman tragique où l’on perçoit sans relâche la menace d’une mort cruelle appelée à changer la vie du héros en destin – les qualificatifs ne manquent pas pour cerner l’essence de The Fortunes of Perkin Warbeck, A Romance, que Mary Shelley publie en 1830, soit douze ans après son extraordinaire Frankenstein. Son chef-d’œuvre, comme chacun sait, a longtemps rejeté dans l’ombre ses autres productions. Il faut remercier Anne Rouhette-Berton, grâce à qui Perkin Warbeck, l’une de ses œuvres le plus longtemps méconnues du public, voit pour la première fois le jour en traduction française. Mary Shelley y prend à contre-pied nombre d’historiens, elle qui soutient que le héros de son récit, Perkin Warbeck, n’est pas l’aventurier opportuniste que l’on a dit, mais bel et bien Richard, duc d’York, fils d’Édouard IV et donc héritier légitime de la couronne lorsque son oncle Richard III trouve la mort en 1485 sur le champ de bataille de Bosworth. La rose blanche, donc, qui menace la rose rouge du lancastrien Henri VII.

Ce roman vaut assurément la peine d’être lu. Non seulement parce que la romancière s’y inscrit, d’une certaine façon, dans la lignée du récit scottien – on doit à cet égard saluer le travail immensément scrupuleux qu’elle a effectué sur les sources historiques, Perkin Warbeck laissant ignorer peu de détails d’une intrigue de base fondée sur un entrelacs dynastique et généalogique pour le moins complexe. Le lecteur, pour autant, n’est jamais dérouté par cette fresque aux mille recoins, tant Mary Shelley sait que la chroniqueuse doit laisser toute sa place à la conteuse, tant elle a soin de privilégier le diégétique, l’action, les passions, l’angoisse. Il faut ajouter que son livre doit beaucoup de sa richesse à l’esthétique gothique, qu’elle a déjà pratiquée avec le succès que l’on sait, même si elle prend ici une forme plus « classique », plus historique et moins métaphysique que dans Frankenstein. La prégnance de la peur, le rôle dévolu aux scélérats, le poids de la prophétie, l’architecture médiévale (on n’oublie jamais tout à fait la silhouette lugubre de la Tour de Londres) – tous ces éléments font de Perkin Warbeck une œuvre qui, sous cet angle, soutient la comparaison avec celles des romanciers gothiques de la première génération.

La traduction est une réussite non seulement par son agréable fluidité, mais aussi parce qu’elle a soin de respecter le niveau de langue approprié ainsi que les tournures archaïques qu’affectionne l’auteur. Une Introduction de qualité la rend plus accessible. Celle-ci retrace la carrière littéraire de Mary Shelley après la publication, en 1818, de Frankenstein. On pourra sans doute nuancer un tant soit peu l’appréciation portée sur l’accueil réservé au coup de maître de Mary, à la suite de sa publication en 1818. Certes, la réaction immédiate de la critique est négative ; elle est toutefois contrebalancée par l’approbation de Walter Scott (comme l’Introduction, au reste, le précise dans une courte note), mais aussi par l’adhésion du public. Une anecdote significative vaut à cet égard d’être évoquée : à son retour en Angleterre, en 1823, plus d’un an après la disparition tragique de son mari Percy, Mary Shelley a la joie de voir son récit porté à la scène ; c’est avec la fierté légitime de mesurer sa propre célébrité qu’elle va assister, au Lyceum, à une représentation de Presumption ; or, The Fate of Frankenstein, adaptation, par le dramaturge Richard Brinsley Peake, du conte fulgurant imaginé sur les rives du Léman. « But lo & behold! I found myself famous! », écrit-elle alors à Leigh Hunt. Et est-ce seulement pour donner d’elle une image moins sulfureuse que Mary, avec Perkin Warbeck, choisit d’écrire un roman historique, qui relève donc a priori d’un genre idéologiquement moins sensible que l’histoire de Victor Frankenstein et de sa créature ? En vérité, lors de la publication du roman en 1830, l’auteur a si peu conscience d’avoir mauvaise réputation qu’elle se désigne une nouvelle fois sur la page de titre sous l’appellation de « The Author of ‘Frankenstein’ ». On précisera que lorsqu’elle apprend que va paraître en même temps que son roman un récit d’Alexander Campbell portant lui aussi le titre de Perkin Warbeck, elle écrit le 29 avril 1830 à Henry Colburn et Richard Bentley, ses éditeurs, pour les dissuader de changer son propre titre, et elle ajoute que l’intérêt du public ne manquera pas d’être appâté par la référence à Frankenstein.

L’Introduction d’Anne Rouhette-Berton évoque en quelques mots les autres œuvres de fiction de Mary Shelley : Matilda (court récit dont on sait que les colorations incestueuses effarouchent son père, William Godwin) et quatre autres romans, Valperga (qui, dès 1823, avait permis à l’auteur de se frotter au roman historique), The Last Man (métaphore crépusculaire de sa propre solitude), Lodore et Falkner. Anne Rouhette-Berton soupèse avec mesure et objectivité les mérites littéraires de Perkin Warbeck, où Mary Shelley manie très habilement suspens, rebondissements et scènes haletantes. Elle identifie dans le livre un certain nombre de résonances autobiographiques, soulignant par exemple les raisons personnelles qui poussent Mary, enfant d’une famille fortement recomposée, à s’intéresser au thème de l’illégitimité. L’Introduction évoque aussi à grands traits l’histoire de la réputation de ce roman ; puis elle repère un certain nombre de thèmes directeurs qu’elle analyse avec précision – tel l’esprit de chevalerie qui sous-tend, non sans quelque ambiguïté, la sensibilité de cet attachant récit.

L’apparat critique est à la fois solide et discret. La bibliographie sélective est bien agencée. Les notes viennent à point nommé et Anne Rouhette-Berton a su, à leur sujet, éviter la profusion. L’éditrice doit être également remerciée d’avoir apporté les éléments nécessaires à la clarification de la querelle dynastique si ramifiée qui alimente l’ambition de Richard / Perkin. Elle ne propose pas d’arbre généalogique mais, en annexe, un « Dictionnaire des personnages historiques », à peu près indispensable à qui veut lire Perkin Warbeck pour ce que Mary Shelley voulait qu’il fût, c’est-à-dire un roman où l’imaginaire se nourrit d’historicité.

 

 

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