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L’autoportrait photographique américain (1839-1939)

 

Marie Cordié Levy

 

Paris : Mare & Martin Arts, 2015

Broché. 291 pages. 54 illustrations. ISBN 979-1092054408. 25 €

 

Recension de Jane Bayly

Université de Nantes

 

 

Dans son livre, Marie Cordié Levy nous plonge dans l’univers des premiers autoportraits photographiques réalisés aux États-Unis à un moment charnière dans le développement à la fois de cet art naissant et de la jeune nation américaine. Riche de plus d’une trentaine d’autoportraits connus et inconnus, L’autoportrait photographique américain (1839-1939) est le produit de sa thèse soutenue en 2007 à l’université Paris-Diderot. 

Cet ouvrage s’ouvre avec une préface rédigée par François Brunet, spécialiste de la photographie aux États-Unis au XIXe siècle, qui souligne l’importance rétrospective du questionnement visuel/photographique de soi alors que nous vivons une époque dans laquelle affluent des selfies, qu’il définit comme « vecteur d’une double connexion : entre moi et tel environnement » [11]. C’est dans cette perspective que Cordié Levy questionne la transformation du statut de l’autoportrait photographique comme catégorie inexistante (jusqu’à 2004) pour en devenir un « passage obligé » [15].

L’objectif de son œuvre est donc double. D’une part elle cherche de manière convaincante à requalifier certains « portraits » en « autoportraits » en expliquant que leur « oubli » est le résultat de la complexité technique des premiers daguerréotypes et appareils photographiques nécessitant un assistant, le problème de l’appellation ou simplement le manque de signature de la part de photographe. De l’autre, elle pose l’autoportrait photographique comme lieu de quête de repères dans la société au commencement de la photographie tout comme aujourd’hui l’autoportrait photographique devient une trace visuelle de l’identité américaine.

Elle propose ainsi une « approche esthétique » l’autoportrait comme (« micro ») témoin de la société et de la politique d’une nation où elle tente « d’insérer l’autoportrait dans les mailles de l’histoire et de la littérature… » [45] américaines de l’époque. Elle regarde cette expression artistique sous l’angle du questionnement politique (nativisme), des événements (la guerre de Sécession, l’expansion vers l’Ouest) et des mutations sociales (Plessy v. Fergusson, Déclaration des Sentiments) de l’époque.

Une introduction historicisée replace l’autoportrait photographique dans la tradition picturale de l’histoire du portrait et de l’autoportrait en peinture. Cordié Levy remonte l’histoire pour ancrer le portrait dans les rituels égyptiens et mythes grec anecdotes intéressantes, mais plus pertinente encore est sa démonstration de l’influence des portraits en Europe : l’école flamande au XVe siècle, lors de la Réforme allemande et de la Renaissance, puis l’influence des autoportraits peints anglais et américains entre les XVIe et XVIIIe siècles. Grâce à cette étude de portraits et autoportraits peints, Cordié Levy met en place une « taxinomie picturale appliquée à la photographie » qu’elle divise en plusieurs parties : l’autoportrait délégué, latéral, central, anamorphique, métonymique, double et fait d’ombre(s) selon la place que tient l’artiste dans son autoportrait.

Les bases concernant l’autoportrait étant établies, Marie Cordié Levy amène enfin le lecteur dans une présentation thématique et partiellement chronologique divisée en six chapitres où l’on découvre ou redécouvre de célèbres photographes tels que Henry Fitz, Timothy O’Sullivan, Alfred Stieglitz, Imogen Cunningham et Berenice Abbott entre autres. D’un point de vue chronologique, Marie Cordié Levy met en avant l’influence de l’évolution de la photographie des débuts en tant que daguerréotype jusqu’à l’invention du Leica sur cette expression artistique et esthétique de l’autoreprésentation. Chacun des chapitres contextualise le sujet avant d’aborder des analyses fines d’une ou plusieurs œuvres pour chaque photographe. Une riche documentation théorique, des monographies ou des études sur des aspects spécifiques relevés dans les photographies (le Christ ou le nu, par exemple) viennent à l’appui de ses interprétations. Chaque chapitre se termine avec une synthèse dans laquelle Marie Cordié Levy tisse davantage de liens entre des photographes traités dans le chapitre et les photographes et l’histoire américaine.

Le premier chapitre (« Les daguerréotypes ») commence avec des œuvres connues du début de l’ère photographique telles que celles d’Henry Fitz Jr., Robert Cornelius ou Albert Southworth, que Marie Cordié Levy qualifie comme étant de premiers autoportraits photographiques même s’ils étaient souvent fait avec l’aide d’un assistant. Elle explique que non seulement ces photographes expérimentaient ce nouveau médium (premier autoportrait photographique, première prise avec les yeux ouverts, premier montrant le torse nu….), mais que ces daguerréotypes étaient également « image-miroir » pour le photographe : une expression de soi mais aussi d’une américanicité naissante. Alors que le premier chapitre se termine avec une image moins connue de Mathew Brady qui se trouve dans son cercle intime, dans le chapitre suivant (« Rupture et mirage ») Marie Cordié Levy sélectionne d’autres portraits de Brady où le lecteur le reconnaît dans son rôle plus connu de premier photographe documentaliste. Suivent encore d’autres photographes célèbres afin de démontrer d’une manière efficace que les photographes se servaient déjà de la photographie, et même de l’autoportrait, pour commenter les événements majeurs dans l’histoire des États-Unis – dans ce cas, la guerre de la Sécession et l’expansion territoriale vers l’Ouest. En regroupant des autoportraits des minorités indiens, noirs, femmes [fin des chapitres 2, 4 et 5] – Marie Cordié Levy les insère dans un discours contre les stéréotypes et conventions sociales qui pesaient sur la société américaine à l’époque. Les chapitres 3 et 6 se concentrent davantage sur l’aspect esthétique de la photographie et l’autoportrait photographique et son évolution vers la reconnaissance du genre artistique à part entière.

Ce livre a tout son intérêt pour les spécialistes tout comme des amateurs de la photographie, de l’autoportrait, ainsi que de l’histoire et de la culture américaines, dont Marie Cordié Levy montre sa grande maîtrise. Il est cependant regrettable que, malgré le grand nombre de photographies publiées dans le livre, le lecteur non-spécialiste soit amené à consulter sur Internet un certain nombre de photographies mentionnées dans le livre, ce qui n’affaiblit pas pour autant la puissance des démonstrations. L’auteur a trouvé un sujet qui nécessitait d’être examiné plus en détail et a su le faire d’une manière convaincante. Outre l’originalité et la finesse de ses analyses, on appréciera ce regard neuf sur les autoportraits connus et la découverte de nouveaux autoportraits photographiques américains moins connus ou même inconnus. La réinterprétation du photographe Fred Holland Day auquel Cordié Levy consacre plus de douze pages cherche d’une manière probante à réévaluer ses œuvres et son importance en tant que photographe dans l’histoire de la photographie américaine.

 

 

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