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Robert Burns

Le poète et ses doubles

 

Karyn Wilson Costa

 

Collection esthétique et représentation : Monde anglophone (1750-1900)

Presses Universitaires de Lyon, 2014

Broché. 318 p. ISBN 978-2729708832. 26 €

 

Recension de Yann Tholoniat

Université de Lorraine (Metz)

 

 

Issu de son travail de thèse, le livre de Karyn Wilson Costa est le premier ouvrage en France qui porte un regard d’ensemble sur l’œuvre du poète écossais Robert Burns. Certes, il existait l’étude de Joanny Moulin parue en 2004, mais celle-ci se concentrait sur la sélection de poèmes mis au programme de l’agrégation. D’emblée, K. Wilson Costa souligne combien le personnage est subtil, « un poète excentrique qui brouille sans cesse les frontières littéraires, culturelles, sociales, nationales et linguistiques » [16]. Dans la première partie, elle entreprend de décrire l’évolution de la réception de Robert Burns, d’abord en Grande-Bretagne et notamment en Écosse, puis en France, à travers les diverses traductions dont certains poèmes ont fait l’objet, et enfin à la lumière de la première thèse sur Robert Burns en France, à la fin du XIXe siècle, celle d’Auguste Angellier. C’est là l’occasion de montrer les raisons des malentendus qui ont jalonné l’histoire de la réception de Robert Burns.

La deuxième partie, intitulée « Les mythes démythifiés », présente quelques-unes des légendes les plus tenaces associées au poète écossais. Avec perspicacité, K. Wilson Costa traque les causes du maintien de Robert Burns dans les limbes du « mouvement » romantique britannique. Outre un cadrage temporel faisant commencer l’époque romantique en 1798 (première édition des Lyrical Ballads de Wordsworth et Coleridge), tendant ainsi à exclure Burns (1759-1796), le canon romantique apparaît comme un phénomène accaparé par les Anglais, conçu par eux et pour leurs écrivains. Une des thèses majeures du livre est la suivante : « Il faut réhabiliter Burns comme l’une des forces majeures, sinon la force majeure, derrière ce mouvement » [123]. De l’autre côté de la frontière, certaines élites écossaises ont été heureuses de faire de Burns une icône nationale voire nationaliste, freinant ou canalisant sa réception dans le monde anglophone, voire au-delà.

K. Wilson Costa entreprend ensuite de démonter certains mythes tels que « Burns est le dernier et le meilleur des poètes écossais », ou encore : « les “meilleurs” poèmes de Burns sont en écossais ». L’absurdité de ce dernier énoncé est évidente puisqu’il n’y a pas de langue écossaise en tant que telle : Burns, comme tout écossais, s’exprime toujours dans des vocables à la fois anglais et écossais. Elle étudie l’écho de Burns chez trois poètes de la fin du XIXe siècle : Stephen Collins Foster, James Whitcombe Riley et Paul Laurence Dunbar. Bien que l’on ne voie pas vraiment pourquoi elle se limite à ces trois auteurs, dans la mesure où, rien que dans les pays de langue anglaise, les émules de Burns sont légion, c’est là un des aspects novateurs de l’ouvrage que de mettre à jour ces filiations.

La troisième partie, « Burns et son double illégitime », complète la partie précédente en dévoilant certaines raisons qui ont contribué à une réception tronquée de l’œuvre de Burns. Certains aspects de ses poèmes sont trop subversifs pour être appréciés par certains esprits étroits. Il y a d’abord les sujets à dominante sexuelle, qui se font entendre, entre autres, dans The Merry Muses of Caledonia. Il y a aussi les références à peine cachées aux différentes confréries auxquelles Burns a appartenu. La tradition du libertinage, ainsi qu’une veine anticléricale, ou du moins satirique envers la religion, contribuent à choquer les bien-pensants, « the unco guid ». Enfin, K. Wilson Costa montre comment Burns se réapproprie diverses formes littéraires pour mieux les détourner. Ces chapitres sont l’occasion de lectures rapprochées de plusieurs poèmes souvent délaissés par la critique pudibonde.

Dans ce livre pionnier, qui apporte par ses analyses de nombreux éclairages à l’œuvre du poète écossais, on peut regretter deux choses. Tout d’abord la nécessité éditoriale de donner une version française aux textes cités en version originale. Comme le note l’auteure : « En français, le texte paraît somme toute assez fade, car le charme de la langue vernaculaire disparaît » [273]. Ensuite, certains problèmes dans la bibliographie : des ouvrages figurent deux fois, sous forme de livre ainsi que sous la forme d’un chapitre tiré du même livre : cela prend une place inutile, et aurait permis de faire figurer un certain nombre de travaux récents, effectués par des collègues qui publient sur le même sujet, et qui ont transmis régulièrement l’avancée de leur recherche à l’auteure. Les éditions utilisées pour certains livres sont aussi surprenantes : aux éditions critiques contemporaines, universitaires et annotées, sont préférées des éditions très anciennes, sans que l’on voie la raison de ce choix. Enfin, il est bien naturel qu’on puisse ne pas être d’accord avec certaines affirmations, comme celle qui voit dans la « majeure partie de l’œuvre de Burns » des « vers de circonstance », sans « projet littéraire à long terme » [15], par rapport à l’œuvre de Wordsworth : cela revient à conforter le statu quo que l’auteure entend faire évoluer. Mais précisément : même les questions soulevées par l’ouvrage participent de l’intérêt de ce travail, qui consiste à mettre en lumière, tout en la remettant en perspective, la figure complexe et subversive de Robert Burns.

 

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