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Les Indiens Osages

Enfants-des-eaux-du-milieu

 

Marie-Claude Feltes-Strigler

 

Collection Nuage rouge

Paris : Éditions Indiens de Tous Pays OD Éditions

Broché. 356 pages. ISBN 979-1092116090. 22€

 

Recension d’Anne Garrait-Bourrier

Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand

 

 

Cet ouvrage fait suite aux travaux de l’auteure, maîtresse de conférences à l’université Paris 3, sur les Navajos (Marie-Claude Feltes-Strigler. La Nation Navajo : Tradition et développement. L’Harmattan, 2000) ainsi qu’à son ouvrage L’Histoire des Indiens des États-Unis : L’autre Far West, publié en 2007, chez L’Harmattan toujours.

L’auteure est donc passionnée par les Indiens d’Amérique et a une excellente connaissance, ethnographique et historique des sujets qu’elle traite. Formée par l’historienne Élise Marienstras, elle sait se détacher des bons sentiments qui peuvent parfois perturber les analyses indianistes, et offrir une approche sensible mais objective de son sujet. Elle quitte dans ce nouvel opus les Navajos pour s’aventurer en terre osage et se concentrer sur ce peuple de guerriers des Plaines de l’Est, dont l’histoire épouse celle plus large de toutes tribus indiennes des États-Unis, de traités bafoués en spoliation, de déplacement forcé en renversements ironiques de l’histoire lorsque les premiers gisements d’or noir virent le jour sur les terres infertiles qui avaient été abandonnées aux Osages par le gouvernement fédéral.

À partir de récits entendus lors de rencontres faites au sein de la communauté osage (est entre autres évoqué l’excellent professeur de l’université de Norman, Oklahoma, Robert Warrior), à partir de témoignages de missionnaires et de militaires et de quelques ouvrages spécifiques publiés sur et essentiellement par des Osages et répertoriés en bibliographie, l’auteure retrace quatre cents ans d’histoire américaine, vue par le prisme osage. Le parti pris semble-t-il est de ne jamais quitter cette perspective afin de ne pas dénaturer cette histoire particulière. Le texte, très fluide et agréable à lire, se présente lui-même comme du « story / history-telling », qui épouse une certaine forme d’oralité et se refuse à entrer dans le style parfois compassé des études universitaires. Cela est non seulement rafraîchissant mais aussi très efficace car cela confère au livre son unité.

L’ouvrage se présente en huit chapitres, encadrés d’une introduction historique et d’une conclusion centrée sur la culture osage de nos jours. Chaque partie est subdivisée en sous-chapitres (entre 4 et 13 par partie), souvent assez courts. Un panorama des grandes dates qui ont marqué la nation osage suit l’ouvrage ainsi qu’un glossaire des acronymes (très utile) et une présentation synthétique des diverses tribus citées.

L’ouvrage est un texte d’initié, pourrions-nous dire, où le lecteur est plongé dès les premières pages dans la tradition orale, la narration des légendes rapportées et les mythes de l’origine. Qui a donc déjà été en contact avec les sources primaires indiennes, les grands textes de chefs indiens par exemple, ou la littérature amérindienne contemporaine construite à partir de ces mêmes mythes, appréciera d’emblée le style extrêmement vivant et authentique de l’auteure du présent ouvrage. Les références historiographiques sont plutôt rares (les indianistes français et européens ne sont pas répertoriés en bibliographie), les notes de bas de page sont concises, les citations sont assez souvent non paginées : ce qui prime donc est la narration des faits, rapportés ou retranscrits comme s’ils avaient été reçus directement par l’auteure. De la même manière les renvois à la grande histoire, panindienne, sont peu nombreux (dans les chapitres 3, 4 et 5, ils sont plus présents car ceux-ci traitent de manière oblique du Removal Act, du déplacement forcé, des réserves et de la loi Dawes), à l’instar du traitement en filigrane de la politique américaine du blood quantum, évoquée à travers l’application, par exemple, de la loi du lotissement 1906 qui fut adossée au Certificate Degree of Indian Blood [229], ou bien encore par des formules telles que « au moins 151 [personnes] n’avaient pas une goutte de sang osage » [258], qui soulignent combien la vie de la nation osage a pu être impactée par cette politique du taux sanguin.

Les limites de l’exercice pourront peut-être être ressenties par les étudiants qui souhaiteraient revenir aux sources évoquées dans le texte, et plus spécifiquement peut-être aux sources primaires osages. En effet les sources primaires – et c’est une remarque qui s’adresse sans doute plutôt à l’éditeur – semblent noyées dans la bibliographie au milieu des sources secondaires et sont difficilement identifiables pour le lecteur profane; ainsi les extraits de journaux des XIXe et XXe siècles, les rapports des conseils tribaux, les lettres et autres témoignages directs ne sont pas répertoriés à part, ni identifiés explicitement dans les notes de bas de pages par un système qui renverrait à la bibliographie (de nombreuses citations extraites de sources primaires dans le corps du texte restent sans pagination) et il demeure donc très difficile de savoir comment accéder aux textes eux-mêmes (une indication des lieux où ils ont été consultés par l’auteur aurait été d’une grande utilité). Il existe peu de références à des ressources internet et lorsqu’elles sont indiquées en notes de bas de page (ex. p.164, note 157 sur Thomas Franck Finney) elles ne sont pas reprises en bibliographie. De la même manière certaines sources importantes citées abondamment en notes de bas de pages, comme The Osage Magazine [107, 113, 229, etc.] ne sont pas non plus explicitement reprises en bibliographie : ici en l’espèce, les numéros et / ou articles de The Osage Magazine utilisés par l’auteure ne se retrouvent pas en bibliographie aux côtés de l’Osage County News du 28 octobre 1927 et de l’Osage Journal de 1920. On peut cependant retrouver The Osage Magazine si l’on fait une recherche par le nom du journaliste qui y a publié, Tinker George E, à la page 352 de la bibliographie et lire « Tinker, George E, The Osage Magazine, diverses dates, de 1909 à 1910 »… mais cela reste vague et laisse apparaître que toutes les sources du même type (ici les articles de la presse osage) ne sont pas référencées selon les mêmes normes. Une compilation de certaines des sources primaires les plus utilisées (lettres et articles) aurait peut-être pu être proposée en fin d’ouvrage.

Il existe de nombreuses sources primaires de bonne facture disponibles en ligne, et administrées par les Osages eux-mêmes (comme le site officiel de la nation mais aussi d’ailleurs le site qui donne en direct des nouvelles de la gestion de la nation osage aujourd’hui), qui laissent la parole aux intellectuels osages et proposent des blogs animés par des membres éminents de la communauté. Ces bases de données offrent des pistes de recherche complémentaires fiables et faciles d’accès. Puisque la tradition orale repose sur la circulation des mots, et la fin de l’ouvrage s’intitulant « Quel XXIe siècle ? », il aurait pu être intéressant en effet d’explorer cette autre « voix » indienne qu’est la voix numérique.

Si l’on en revient au projet même de l’ouvrage, qui est de faire connaître et de faire entendre, il n’y a pas de doute que l’entreprise est réussie. Cet ouvrage offre dans son ensemble une très belle et très riche exploration du parcours résilient de cette nation, de ses stratégies de résistance au pouvoir blanc, de ses efforts constants pour préserver sa culture malgré un accès assez brutal à la richesse grâce au pétrole et plus récemment aux casinos. À cet égard, la huitième partie est passionnante et la conclusion, qui se veut plus réaliste qu’optimiste sur les aspects liés à la renaissance culturelle osage, souligne la volonté des Osages de sauver leur langue à tout prix et donne au lecteur le désir ardent de poursuivre ses investigations.

 

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