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Théorie de la relation interlocutive

Sens, signe, réplication

 

Catherine Douay et Daniel Roulland

 

Limoges : Lambert-Lucas, 2014

Broché. 364 p. ISBN 978-2359350920. 36 €

 

Recension de Laurence Vincent-Durroux

Université Grenoble Alpes

 

 

L’objectif de cet ouvrage de 364 pages est de « démontrer que la fonction première du langage est la communication » [9] et d’en tirer les conséquences théoriques et pratiques lorsque tout son rôle est donné à l’interlocuteur. Un nouveau modèle théorique est ainsi proposé. Il s’agit en effet de « passer d’une grammaire de l’énonciation à une grammaire de l’interlocution […], d’une grammaire de l’énoncé à une grammaire du texte, plus exactement de l’échange interlocutif auxquels participe(nt) un ou plusieurs énoncés » [200].

Le livre comporte neuf chapitres : les cinq premiers mettent en place les paramètres de la théorie de la relation interlocutive (TRI) ; les quatre chapitres suivants traitent de points grammaticaux du français et de l’anglais analysés selon cette approche théorique.

Les deux premiers chapitres se donnent pour objectif « un réexamen de certaines conceptions » [16] du langage : le « monologisme » et le « référentialisme ». Ce réexamen découle logiquement de l’attribution d’une place centrale à l’interlocuteur.

Contrairement aux théories qui analysent l’interaction et la co-énonciation au niveau du discours et de l’usage, la théorie proposée par les auteurs intègre ces deux dimensions dans le système de la langue. Le système est fondé sur une problématique différentielle dans laquelle émetteur et récepteur ont le même poids. Le langage ne peut donc pas être analysé comme un monologue. Par ailleurs, contrairement aux théories qui postulent que la référence s’établit par relation avec l’extralinguistique, le sens est vu ici comme un phénomène d’ordre privé : le signe prend sens par l’activation de signifiés similaires chez les interlocuteurs.

Les trois chapitres qui suivent s’attachent à caractériser le système qui produit le langage, en s’intéressant plus particulièrement aux conséquences de l’intégration au système du dialogisme et du caractère privé du sens. Puisque la réception prime, la nature communicative inter-personnelle structure le système, soumis à des déterminations internes, qui l’auto-organisent. Il s’agit donc d’un système complexe que les auteurs analysent avec les critères de la théorie générale de la systémique, en faisant des comparaisons avec la cybernétique notamment.Le caractère privé du sens quant à lui implique le principe de « double contingence » : chaque interlocuteur ignore à la fois la portée de ses propres choix et celle des choix de son interlocuteur. Le système comporte donc en fait deux systèmes, que les auteurs analysent en termes de « couplage systémique », en se référant principalement à N. Luhmann et E. Morin. Les auteurs rappellent aussi que G. Guillaume posait la notion de « système de systèmes » pour décrire la langue, mais ils s’en démarquent, car si pour Guillaume, le centre du fonctionnement du système est la représentation du monde ou de la pensée, pour eux, il s’agit de la réplication. L’inter-relation entre les deux termes du système est en effet une forme de réplication, à l’image de la réplication de l’ADN que les auteurs utilisent comme modèle explicatif.

Le système peut se trouver dans un état stable (le rapport interlocutif direct), dans un état oppositionnel où la confrontation entre les interlocuteurs est marquée explicitement, ou encore dans un état de continuité et de double réplication qui ferme le système du côté récepteur. Chaque état correspond à une « configuration » du système, dénommée respectivement configuration zéro (CØ), configuration 1 (C1) ou configuration 2 (C2). Ces trois configurations font l’objet du chapitre 5.

Les chapitres 6 à 9 peuvent être vus comme une seconde partie de l’ouvrage avec l’étude de cas spécifiques du français et de l’anglais envisagés par le prisme de la théorie de la relation interlocutive. Sont ainsi examinés : le mode subjonctif, les temps de l’indicatif en français, les temps et les aspects de l’anglais, la complémentation verbale de l’anglais (cas de V -ING et TO + V).  Le subjonctif est porteur d’une contestation et de différentiations de nature diverse en discours et il s’inscrit donc dans la configuration 1. Le contraste peut provenir d’une sélection qui en exclut toute autre, aussi bien que d’une assertion non partagée.L’analyse des temps de l’indicatif du français permet aux auteurs de revoir la définition de T0 : il s’agit du « moment d’activation du système » et il « englobe toutes les relations temporelles » [219]. Par l’analyse d’extraits littéraires de dix à quinze lignes chacun, les auteurs montrent que le passé simple et le futur simple relèvent de la configuration C2, alors que le présent et l’imparfait relèvent de la configuration C1.Les différents emplois des deux temps de l’anglais (le présent et le passé) sont ensuite examinés (impératif, proverbe, narration, passé non temporel, modaux) et mis en rapport avec les différentes configurations du système. Quant à l’aspect, la forme -ING marque un différentiel interlocutif que les auteurs illustrent de manière convaincante. Pour ce qui est de la complémentation verbale en V -ING et TO + V, le choix dépend du cadrage interlocutif, avec la sélection de V -ING (C1) lorsqu’il s’agit de créer une sur-distinction et de TO + V pour marquer une continuité (C2).

Les cadres théoriques dont les auteurs s’inspirent ou qu’ils critiquent dans l’ouvrage sont répertoriés sous la forme de références bibliographiques nombreuses (14 pages) et d’un index des auteurs cités.

 

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