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Émergence d’une identité caribéenne canadienne anglophone

 

Rodolphe Solbiac

 

Paris : L’Harmattan, 2015

Broché. 162 p. ISBN 9782343058719. 16,50 €

 

Recension d’Alexandra Roch,

Université des Antilles, Martinique

 

 

Rodolphe Solbiac est l’auteur de l’ouvrage Émergence d’une identité caribéenne canadienne anglophone, publié en juin 2015 aux éditions l’Harmattan. Cet ouvrage compte 162 pages et constitue une véritable exploration de l’inscription de la mémoire indo-caribéenne et afro-caribéenne dans l’identité canadienne. L’auteur présente le contexte et les données littéraires indispensables à l’écriture de la mémoire au Canada à une période où l’identité et la culture nationales font l’objet de nombreux débats. Il s’agit dans cet ouvrage d’étudier la relation entre la mémoire et l’écriture littéraire chez quatre auteurs caribéens qui ont émigré au Canada : Austin Clarke (afro-barbadien), Ramabai Espinet (indo-trindadienne), David Chariandy (indo-trinidadien né au Canada) et Dionne Brand (afro-trinidadienne). Rodolphe Solbiac analyse cinq romans The Polished Hoe et More de l’écrivain Austin Clarke,  The Swinging Bridge de Ramabai Espinet, Soucouyant de David Chariandy et What We All Long For de Dionne Brand.

L’ouvrage est organisé en quatre parties aux titres significatifs informant clairement le lecteur sur l’intention de l’auteur :

-Mémoire canadienne, culture nationale et littérature

-De la mémoire recomposée à une conscience historique : vers une identité caribéenne canadienne

-Écriture caribéenne canadienne des années 2000 et statut des mémoires extraterritoriales dans le débat sociétal canadien

-Programmation culturelle, entreprise mémorielle et réception de l’introduction  dans le canon canadien

La bibliographie, très riche et très récente fait de ce livre une étude bien documentée. Cette bibliographie est suivie d’un index renvoyant aux différentes notions, aux concepts et aux auteurs mentionnés dans la réflexion. La mémoire, concept majeur de l’étude de Rodolphe Solbiac, est présentée dans toutes ses déclinaisons à savoir seize champs – entre autres la mémoire caribéenne et la mémoire caribéenne canadienne.

C’est dans une introduction claire et précise que l’auteur pose l’état des lieux de la recherche sur la mémoire dans la sphère culturelle américano-caribéenne. Il y présente les différents champs théoriques, anthropologiques et culturels qui servent de soubassement à la réflexion et permettent de comprendre le comportement des protagonistes. Toutefois, l’originalité de la réflexion de Rodolphe Solbiac se situe dans la  recomposition ou la reterritorialisation de la culture caribéenne – qu’elle soit barbadienne, trinidadienne ou jamaïcaine. Il soulève également la problématique de la transmission culturelle caribéenne entre les Caribéens-canadiens de première et deuxième générations. Car la mémoire caribéenne « n’est pas considérée comme une mémoire à transmettre, mais comme le souvenir des douleurs, des souffrances, de la misère d’un pays que l’on a quitté pour s’émanciper » [70].

La première partie, telle que l’a conçue Rodolphe Solbiac, a le mérite d’exposer le contexte culturel, social et politique au Canada, particulièrement les effets de la mondialisation sur la politique canadienne (le multiculturalisme), la  mémoire canadienne officielle et la mémoire caribéenne.

Après avoir exposé la politique multiculturaliste du Canada qui favorise l’accès des « nouveaux Canadiens » au courant dominant de la culture nationale, le chercheur se recentre dans la deuxième partie sur les enjeux de la mémoire dans les romans du corpus.  Il identifie la recomposition de la mémoire dans les textes littéraires à travers la rêverie, l’introspection, la réminiscence ou encore les situations de « re-mémoire », expression qu’il emprunte à Toni Morrison. L’analyse démontre que l’écriture de la mémoire ne correspond nullement à un sentiment de nostalgie du lieu natal ; elle contribue à « l’exorcisme d’une blès »1 engendrée par le colonialisme qui enferme les protagonistes dans une errance ou une marginalité.

La troisième partie, la plus courte de l’étude, examine les effets de la mémoire caribéennes sur la problématique de la définition mémoire nationale canadienne. Le concept de citoyenneté culturelle devient pour ces écrivains caribéens un droit «  de communiquer à propos de la différence culturelle et de la représenter » (Miller2 : 57).

Enfin, la dernière partie se focalise sur la remise en cause du canon littéraire canadien et des transformations du polysystème littéraire canadien générés par les romans caribéens. Ici, Rodolphe Solbiac présente l’évolution de la littérature canadienne avant et après le multiculturalisme. Par ailleurs, l’auteur souligne que la réception et la diffusion des romans récompensés par des prix prestigieux participent à la formation d’une identité nationale canadienne.

Émergence d’une identité caribéenne canadienne anglophone intervient juste après l’ouvrage Filiation, émergence et diaspora : Aspects de l’écriture caribéenne anglophone  des années 1980 et 1990, dans lequel Rodolphe Solbiac mène une réflexion sur les notions d’appartenance et de nationalisme. Ce travail théorique sur la mémoire caribéenne est aussi mené dans les articles intitulés : « Mémoire indienne dans The Swinging Bridge de Ramabai Espinet »,  « Enjeux et perspectives de la représentation d’une mémoire dans le roman caribéen-canadien anglophone des années 2000 », et l'essai « Migration et multiculturalisme dans l’œuvre de Neil Bissoondath » « Enjeux et perspectives de la représentation d’une mémoire dans le roman caribéen-canadien anglophone des années 2000 », textes dans lesquels le chercheur établit les bases d’une large analyse qui lui permet de conclure à la naissance d’une  identité caribéenne canadienne anglophone dans ce livre.

Cet ouvrage se caractérise par un texte très clair et concis qui ne laissera pas le lecteur non spécialiste dans une certaine opacité. Rodolphe Solbiac opte pour une approche et une stylistique non absconses afin que son analyse socio-littéraire soit à la portée de tous. Pourtant, le critique s’appuie sur des théories et des concepts complexes qu’il prend soin d’expliciter de façon succincte : les concepts et les notions utiles à la réflexion sont spécifiés et définis brièvement. Une gestion remarquable des notes de bas de page est à souligner, elles sont au nombre de dix, renvoyant essentiellement au texte source. Ainsi, Émergence d’une identité caribéenne canadienne anglophone intéresse toutes les personnes soucieuses de :

-La posture de l’écrivain caribéen canadien

-La mémoire, l'appartenance, le multiculturalisme

-L’identité caribéenne canadienne anglophone

-La littérature et la poétique de la mémoire

-La mémoire collective caribéenne canadienne, identité et mémoire canadienne

Émergence d’une identité caribéenne canadienne anglophone constitue une contribution importante à la pensée caribéenne et canadienne.

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1 Expression empruntée à la chercheuse martiniquaise Patricia Donatien-Yssa

2 Miller,Toby. ‘Cultural Citizenship’. MATRIZes (São Paulo, Brasil) 4-2 (jan./jun. 2011) : 57-74.

 

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