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Edith Wharton, Terence Davies : The House of Mirth

Les Limites du jeu / The Limits of the Game

 

Sous la direction d’Isabelle Boof-Vermesse, Bruno Monfort,

Anne-Marie Paquet-Deyris et Anne Ullmo

 

Collection Intercalaires : agrégation d’anglais

Nanterre : Presses Universitaires de Paris Ouest, 2014

Broché. 144 pages, ISBN 978-2840161943. 12 €

 

Recension de Laurent Mellet

Université Toulouse Jean-Jaurès

 

 

Cette nouvelle publication sur le roman de Wharton et le film de Davies, qui figurent au programme de l’agrégation d’anglais depuis la session de 2013, comporte dix articles (huit en français, deux en anglais), dont six sur le roman et quatre sur l’adaptation filmique. Ainsi que l’indique la quatrième de couverture, cette collection se propose d’offrir aux préparateurs et aux candidats « un complément aux cours qui se veut une ouverture sur les questions abordées par la recherche contemporaine ». On ne peut que saluer une telle initiative, qui confère à l’ouvrage une perspective particulière et consolide les passerelles entre enseignement et recherche. Comme le sous-titre le laisse entendre, les articles sont ici réunis autour d’une problématique clairement définie, ce qui permet également au livre d’apporter un éclairage précis et complémentaire sur le double corpus retenu. Les articles sont présentés dans une introduction signée par les quatre coordinateurs [9-13], qui s’attachent à justifier la problématique du jeu en évoquant « jeux de rôle », « jeux de dupes » et « mascarade sociale » [9] à l’œuvre chez Wharton. Cette brève introduction est plus laconique sur les limites du jeu dans le film de Davies, et l’on peut également regretter l’absence de bibliographie en fin de chapitre ainsi qu’en fin d’ouvrage. Dans les pages de présentation des auteurs [141-143], de nombreuses coquilles subsistent.

Dans le premier chapitre, « Intuitions littéraires : Le trauma dans The House of Mirth d’Edith Wharton » [15-24], Marc Amfreville met au jour « une véritable poétique du trauma dans le roman » [15] qu’il repère à travers les figures de la répétition, de la disqualification et du frayage. Il convoque les notions de pulsion de mort et de mélancolie collective pour proposer une interprétation de la surprenante paralipse du récit qui passe sous silence l’enfance de Lily. Après quelques rappels et mises en garde bienvenus sur toute approche psychologique ou psychanalytique du texte, M. Amfreville cite Freud et Ferenczi (sur la disqualification des affects) et met en avant la notion de frayage. La structure narrative du roman s’apparente soit à cette relecture possible d’un premier événement traumatique une fois un deuxième choc survenu, soit à un autre modèle du trauma, cumulatif, qui repose sur une suite de drames jamais totalement intégrés par le sujet. Ici comme dans l’ouvrage qu’il a consacré à The House of Mirth, M. Amfreville s’interroge sur le travail du narratif, et sur les effets littéraires et stylistiques de ces agencements psychiques à l’œuvre dans l’écriture. Ainsi, ce chapitre permet de faire la lumière sur les combinaisons particulières du récit de Wharton, et d’ancrer celui-ci dans « une littérature qui conjugue l’extrême individualité, et donc la vérité unique de chaque être, à son inscription dans un faisceau de sens contemporains et collectifs » [24]. Le chapitre suivant, dont l’auteur est Richard Anker, a pour objet « L’étrangeté du Heim dans The House of Mirth » [25-39]. R. Anker démontre que le texte repose sur un dédoublement, ou plutôt un écart entre deux économies : l’intérieur et l’étranger. À partir d’une phrase-phénomène tirée du roman, il analyse les jeux propres à la perception et évoque le stade du miroir lacanien pour comprendre les liens qui unissent l’échec de la représentation et l’économie narrative du roman, et affirmer que c’est la mère de Lily que l’on doit lire/voir dans le personnage de Rosedale. Par leur attention au texte et leur ouverture sur un domaine de recherche précis, ces deux premiers chapitres répondent assurément aux objectifs de la collection Intercalaires tels que rappelés précédemment.

Bruno Monfort interroge ensuite les modalités mais aussi l’échec de la métaphore dans « L’ingénieux corset des métaphores : Figures, méta-figures et anti-figures dans The House of Mirth » [41-51]. Sa thèse est que Lily, souvent en décalage avec ses perceptions, ne saurait maîtriser cette figure de style. On lira ici une démonstration stylistique pertinente et fort utile aux candidats. Dans « Les Belles-Lettres ou la relève du courrier » [53-64], Agnès Derail-Imbert relève à son tour les occurrences les plus signifiantes dans le roman de l’écrit et de la lettre, et propose un grand nombre d’interprétations du texte autour des limites du jeu. « Force est pourtant de constater que la clarification du courrier sonne le glas de l’écriture romanesque » [64] : ce chapitre très complet a toujours à cœur de mettre en exergue le rôle central, dans l’économie générale du roman, de l’écriture mise en abyme. Dans le chapitre suivant, « ‘Incommunicable grace’ : Le don occulte de la grâce dans The House of Mirth d’Edith Wharton » [65-73], Michel Imbert revient sur les stratégies de l’indicible et de l’incommunicable dans le texte. Distinguant la grâce de ce qui relève du charme, il démontre que Lily passe progressivement de la grâce physique à une grâce davantage spirituelle. Ce chapitre repose sur des repérages nombreux et, là encore, très utiles pour les candidats. La dernière contribution portant sur le roman est celle d’Amélie Ducroux : « (W)ri(gh)ting Lily : The House of Mirth or the impossible spelling out of the sign » [75-83]. Les erreurs de lecture, les lectures de travers, les confusions entre le message et une simple logique de sign-posting sont ici l’objet de l’étude, approche presque métanarrative des limites, et des revers, du jeu linguistique et herméneutique.

Les quatre derniers chapitres, qui portent sur le film de Davies, forment une contribution d’ensemble cohérente et très stimulante. Spécialiste reconnue du cinéaste, Wendy Everett, dans « The House of Mirth and the multiple dialogues of adaptation » [85-97] fonde son travail sur le concept de conversation entre les œuvres, convoque l’hypertextualité de Genette (à l’instar de nombreux spécialistes de l’adaptation, tel Robert Stam) et montre que ce que le réalisateur apporte au texte permet de nouvelles interprétations de celui-ci. Comme la plupart des auteurs ici réunis, elle analyse la scène du tableau vivant qu’elle lit comme étant, déjà, essentiellement cinématographique dans le roman. On trouvera également quelques pages sur l’utilisation de la musique. À la fois général sur l’adaptation et très précis dans ses remarques sur Davies, ce chapitre saura rassurer ceux que l’étude croisée inquiète encore. La contribution de Gilles Menegaldo, « Lily Bart, de la femme objet à la femme perdue : La difficile inscription du sujet, au prisme du mélodrame hollywoodien » [99-117], repose sur le triple statut de Lily, objet du regard, puis femme déchue, bien que sujet autonome enfin. Les nombreuses références à d’autres films (d’autres mélodrames) enrichissent considérablement le propos et la lecture de l’adaptation par Davies. G. Menegaldo propose en outre des analyses de scènes très éclairantes, dans un chapitre qu’on ne saurait trop conseiller à tout candidat. Dans « ‘Why do we always play this elaborate game?’ Variations sur le jeu dans The House of Mirth de Terence Davies » [119-130], Emmanuelle Delanoë-Brun analyse le « marivaudage cinématographique » [125] au cœur du film et apporte de nouvelles réflexions sur l’intime dans The House of Mirth. Ce chapitre contient de nombreuses hypothèses sur les limites du jeu propres au film de Davies. Enfin, Jean-François Baillon revient à son tour sur la dimension mélodramatique du film dans « Loi du genre et règle du jeu : The House of Mirth au prisme du mélodrame » [131-140], et livre une réflexion très étayée sur les jeux, leurs codes, mais aussi la liberté accordée à Lily comme au spectateur. Ses analyses du rythme en général, puis des battements entre good et bad timing, et enfin des rythmes plastiques à l’écran, écrivent de nouvelles limites du jeu limpides et originales.

Les articles ici réunis forment donc un ouvrage tout à fait cohérent, dont l’apport pédagogique et scientifique est indéniable. Adoptant des points de vue et des ancrages méthodologiques variés et complémentaires, il sera d’une grande utilité dans le cadre de la préparation à l’agrégation, mais aussi à qui s’intéresse à la littérature américaine, au cinéma britannique, à l’adaptation. Tout au plus peut-on regretter que la problématique générale, celle des limites du jeu, ne soit pas toujours suivie et n’apparaisse parfois presque pas. La majorité des chapitres allient clarté pédagogique et exigences de recherche. Les contributions sur le film de Davies sont, dans cet ouvrage, d’une grande qualité. Nul doute que la lecture des Limites du jeu saura stimuler de nombreuses réflexions sur ce double corpus, et peut-être faire naître des vocations de chercheur dans les divers champs qu’il couvre.

 

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