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Écrire sur l’esclavage

 

Sous la direction de Claire Parfait et Marie-Jeanne Rossignol

 

Revue du Philanthrope n°5

Publications de l'Université de Rouen et du Havre, 2014

Broché. 199 pages. ISBN 979-1024001814. 15€

 

Recension de Nathalie Dessens

Université de Toulouse-Jean Jaurès

 

 

Si le récit d’esclave en tant que source historique est, depuis le milieu du XXe siècle, l’objet de débats nourris parmi les historiens états-uniens, il était, jusqu’à très récemment, peu considéré dans la communauté universitaire française. Ce beau numéro de la Revue du Philanthrope vient combler ce silence.  Le but de ce numéro est bien de porter à la connaissance d’un large public le genre encore méconnu du récit d’ancien esclave. Mais ce n’est pas sa seule valeur. Il ouvre la perspective vers d’autres sociétés d’esclavage du continent américain et propose d’autres pistes de lectures que celles développées d’ordinaire.

L’ouvrage, constitué à partir de contributions au colloque qui s’est déroulé au Havre en 2013 (inscrit dans un programme de recherche CNRS havrais et dans le projet scientifique Sorbonne-Paris-Cité portant sur l’écriture de l’histoire depuis les marges), offre une belle unité thématique et méthodologique jusqu’à la recension, en fin d’ouvrage, de la traduction française parue en 2013 de l’ouvrage de Marcus Rediker À bord du négrier : Une histoire atlantique de la traite. L’ensemble est de belle facture, bien mis en forme, accompagné d’une liste des abstracts et d’une présentation bio-bibliographique des auteurs.

Les treize articles, tous de qualité, offrent tout à la fois des points de vue originaux sur les récits, des relectures pointues de certains récits et une ouverture transaméricaine intéressante. En ce qui concerne les points du vue originaux, l’on trouve dans ce numéro une étude historiographique (de Claire Parfait) qui retrace l’utilisation des récits d’anciens esclaves et présente l’originalité de couvrir des périodes anciennes et de considérer des historiens afro-américains peu connus. L’on y trouve aussi un article (de Michaël Roy) sur le sujet rarement abordé des dispositifs éditoriaux qui établit une typologie de ces dispositifs dans le but de saisir mieux la portée des récits. Les récits sont aussi habillement analysés (par Lucia Bergamasco) comme des contre-récits du code de l’honneur sudiste.

Certains récits sont relus et interprétés selon des pistes de lecture nouvelles. C’est le cas de celui de Sojourner Truth (relu par Marie-Jeanne Rossignol et Claudine Raunaud), celui des époux Craft (réinterprété par Ada Savin) et celui de Solomon Northrup à la faveur d’une réédition récente (relu par Matthieu Renault). À cela, on ajoutera deux articles passionnants quoique un peu en décalage par rapport au reste de l’ouvrage, un article sur trois ouvrages récents qui sont des métamorphoses contemporaines des récits d’esclaves (Françoise Palleau-Papin) et une réflexion passionnante sur Marie ou l’esclavage aux États-Unis  de Gustave de Beaumont, ouvrage hybride, en partie roman sentimental en partie traité de sociologie, dont une réédition récente a permis de réhabiliter l’originalité et l’utilité historique (Laurence Cossu-Beaumont). Si ces deux articles sont, en quelque sorte, des pas de côté parce qu’ils portent sur des sources qui, si elles sont thématiquement connectées aux récits d’esclaves, sont d’un autre type, le lecteur remercie les responsables du numéro de les avoir inclus par l’intérêt intrinsèque qu’ils présentent et la façon dont ils complètent la perspective.

Une partie de l’ouvrage, enfin, ouvre la réflexion au reste des Amériques, bien que les récits d’esclaves y soient excessivement rares. Nous suivons Mary Prince et James Williams en Jamaïque, même si l’auteur de l’article conclut que ces deux récits sont différents des habituels récits de fuite et propose de leur substituer d’autres sources, les annonces d’esclaves fugitifs (Jean-Pierre Le Glaunec) ; nous suivons aussi Thomas Smallwood au Canada (Sandrine Ferré-Rode), Juan Francisco Mazano à Cuba (Rahma Jerad) et même Osifekunde-Joachim-Joseph d’Afrique au Brésil, puis en France d’où il retourne au Brésil comme homme libre (Aderivaldo Ramos de Santana). Certes, l’ouverture transaméricaine ne peut être qu’anecdotique dans le cadre des récits d’esclaves, puisque l’on sait que c’est une tradition essentiellement anglo-saxonne et plus particulièrement états-unienne. Le cas de l’esclave brésilien n’est d’ailleurs pas fondé sur un récit d’esclave mais sur diverses sources qui permettent de reconstruire l’itinéraire très atlantique (triplement transatlantique et qui aurait pu être triangulaire si Osifekunde avait accepté le retour vers l’Afrique que lui proposait l’ethnologue français Armand Davezac). Son aventure n’a pas produit un récit d’esclave mais son témoignage a servi de source à la première étude ethnologique du pays et de la langue des Yorubas par Davezac.

On le voit, si certains articles sont en léger décalage par rapport à l’ensemble, leur lecture permet de compléter utilement et agréablement ce panorama sur les récits d’esclaves. Ce que nous apporte l’ouvrage, au-delà de la traduction de longs extraits des récits étudiés qui permet à un lecteur francophone un meilleur accès à ces sources, c’est une vision très diversifiée de ces récits que l’on a souvent amalgamés à tort en un tout homogène. Il aide aussi à appréhender mieux ce que l’historien peut apprendre de ce type de source originale longtemps décriée par la communauté historienne. Ce que nous enseignent, enfin, les articles portant sur d’autres aires géographiques que les États-Unis, c’est que certaines sources autres que les récits d’esclaves, les annonces d’esclaves en fuite, par exemple, pour lesquelles est proposée une méthodologie d’étude, peuvent servir à pallier l’absence de ces derniers en-dehors des États-Unis.

 

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