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Louise Erdrich

Métissage et écriture, histoires d'Amérique

 

Élisabeth Bouzonviller

 

Collection « Les Scripturales »

Saint-Étienne : Publications de l'Université de Saint-Étienne, 2014

Broché. 280 p. ISBN 978-2862726663. 35€

 

Recension d’Anne Garrait-Bourrier

Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand)

 

 

Le livre d’Élisabeth Bouzonviller, Louise Erdrich : Métissage et écriture, histoires d’Amériques, est sorti en décembre 2014 dans la collection Scripturales, collection littéraire de la maison d’édition de l’université de Saint-Etienne. Il se compose de 260 pages d’analyses et d’une bibliographie très bien construite. Le plan en trois mouvements en est simple et convaincant. Le choix de l’auteur est de se positionner en exégète de l’œuvre littéraire de Louise Erdrich et non pas uniquement en indianiste, experte en culture des minorités ethniques. Ainsi, si l’histoire américaine et l’histoire culturelle liées aux Indiens d’Amérique sont parfaitement maîtrisées, elles ne constituent pas le projet de cet ouvrage mais juste un nécessaire ancrage.

Le respect qu’a l’auteur pour son sujet est évident dans le ton et la stratégie utilisés, qui consistent à donner la parole à Erdrich en la citant abondamment, et en la laissant par exemple conclure chacune des parties ou presque par le biais d’une citation. Cette modestie et cette distance subtile par rapport à une certaine forme d’académisme universitaire sont l’un des traits dominants de l’écriture de Mme Bouzonviller : jamais l’auteur ne tente de se dissimuler derrière de la théorie littéraire ou une hyper technicité structuraliste étouffante. Elle laisse parler le texte et le replace harmonieusement dans le contexte de sa démonstration. Afin d’offrir un contrepoint critique à la notion de « métissage » qui est au cœur de cet ouvrage, l’auteur utilise avec parcimonie et toujours à bon escient les apports de Deleuze sur l’écriture mineure et les processus de minoration du texte. Erdrich étant métissée, de culture européenne et ojibwée, et revendiquant à chaque page cette « part indienne » dont elle nourrit toute son œuvre, le passage appuyé par cette dimension-là de son écriture est le point d’orgue de cet ouvrage. L’auteur travaille donc à élucider la fascination des origines qui est à l’œuvre dans le texte erdrichien et à la replacer dans un pays qui, lui, tend à les occulter. La notion d’altérité, autre versant du métissage, est donc centrale à l’approche de Mme Bouzonviller, qui glisse ainsi de la partie 1, consacrée à la « conteuse métisse », à cette « autre Amérique » qu’elle dessine dans son texte, pour conclure sur le fruit du métissage dans le domaine littéraire qu’est l’hybridation des voix (partie « polyphonie »).

Les échos avec d’autres grandes figures de la littérature amérindienne ayant également travaillé sur l’hybridité et le métissage, comme N.S. Momaday, pilier de la renaissance de la littérature amérindienne et chantre de l’ « entre-deux » culturel, sont très nombreux. Momaday est d’ailleurs évoqué en début d’ouvrage par l’auteur. Un rappel à son analyse de ce qu’est l’ « humour défensif » aurait tout aussi bien être fait dans l’excellent passage sur l’humour indien, et le traitement de l’humour « de survie » utilisé par Erdrich qui est proposé à la page 133.

L’aspect le plus original de cette monographie, celui qui ouvre une voie pleine de promesses, est la dimension « gender studies » à laquelle aboutit Élisabeth Bouzonviller à partir de son analyse du trickster (partie 3). Nous plongeons alors avec elle dans le « gender trouble » de Judith Butler et la part féminine – voire féministe – de l’écriture d’Erdrich est subtilement approchée grâce à l’utilisation très pertinente de Beauvoir. Ce livre offre donc une ouverture nouvelle dans le champ des études littéraires féminines américaines, qui est celui de l’écriture ethnique féminine, déjà explorée par les auteurs femmes afro-américaines, à l’instar de Toni Morrison, mais trop peu étudiée dans son versant amérindien. Il propose par ailleurs une lecture rafraîchissante et respectueuse du texte d’Erdrich et donne réellement l’envie de relire cette écrivaine rare et originale.

 

 

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