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À droite de la droite

Droites radicales en France et en Grande-Bretagne au XXe siècle

 

Dirigé par Philippe Vervaecke

 

Collection Espaces politiques

Lille : Presses Universitaires du Septentrion, 2012

Broché. 564 pages. ISBN 978-2757403693. 28 €

 

Recension de Clarisse Berthezène

Université Paris-Diderot

 

 

L’histoire politique en France n’a pas toujours eu bonne presse et la parution d’un ouvrage d’histoire politique, enrichi par tout ce que la ‘new political history’ britannique a apporté ces dernières années – en particulier l’histoire sociale et culturelle du politique – a quelque chose de réjouissant pour le lecteur. L’histoire des droites en France a beaucoup à gagner des apports de la ‘new political history’ ainsi que de la comparaison, même si Philippe Vervaecke se défend dans son introduction de proposer une histoire comparée, si difficile à écrire et saturée d’écueils.

Cet ouvrage de plus de 500 pages est le fruit d’un colloque intitulé ‘Droites radicales en France et en Grande-Bretagne au XXe siècle : comparaisons, transferts, regards croisés’ qui s’est tenu en mars 2009 à Lille. Donner de la cohérence à un ensemble d’articles issus d’un colloque n’a rien d’évident, mais le pari semble, dans l’ensemble, gagné. L’introduction explique de manière très claire les partis-pris de l’ouvrage et pose plusieurs questions importantes. Vervaecke insiste, tout d’abord, sur la diversité idéologique des nébuleuses de droite et sur l’importance du pluriel : il s’agit bien d’analyser « les droites radicales ». Les droites radicales sont définies comme l’ensemble des droites « contestataires » ou extrêmes. Dans cette perspective, les fascismes en seraient une manifestation, un phénomène proche mais distinct. De même, les droites radicales se distinguent des droites classiques par leur attachement à ce qu’elles considèrent être les principes premiers de la droite, les racines de la droite, ce que suggère l’étymologie du terme « radical », comme l’explique Magali Della Sudda. Quels sont ces principes premiers ? Quatre caractéristiques sont mises en avant : l’organicisme, l’anti-communisme, la critique de la modernité libérale et la contestation de l’ordre géo-politique existant. Le concept de « droites radicales », calqué de l’anglais ‘radical right’, est justifié par le fait que cette notion permet « d’aborder comme un continuum la diversité des mouvements et des acteurs » [18], les termes « fasciste » ou « extrême » minimisant les convergences réelles entre les diverses formes de droite contestataire dans les deux pays. Le choix d’un tandem franco-britannique est d’autant plus pertinent que les droites radicales françaises puisent dans le réservoir contre-révolutionnaire britannique et que de nombreuses convergences entre les deux contextes nationaux existent.

L’ouvrage est découpé en quatre parties thématiques qui abordent chacune des séries de problématiques spécifiques. La première partie sur les cultures politiques des droites radicales interroge le rapport au nationalisme, à la ruralité, eux empires coloniaux et au racisme pour montrer qu’une critique de la modernité libérale domine les idéologies portées par les droites radicales. Bertrand Joly et Kevin Passmore soulignent l’anglophobie générale de la droite nationaliste française, malgré l’anglophilie de certains de ses membres (notamment Paul Déroulède). Passmore déjoue les stéréotypes de l’un et l’autre pays et montre que la façon de comprendre l’Angleterre au sein de la droite et de l’extrême droite en France est liée à leur manière de penser les clivages régionaux à l’intérieur de la France et de la Grande-Bretagne. S’appuyant sur les théories de Michel Espagne, il explique comment certains labels régionaux sont reformulés dans d’autres contextes à des fins sociales, culturelles ou politiques, les clivages Nord/Sud tout au long du XXe siècle pour justifier des catégorisations raciales. L’histoire comparée de l’emprise rurale dans les deux pays (Dan Stone) montre que l’écart entre la France et la Grande-Bretagne repose sur la réalité socioculturelle des deux pays dans l’entre-deux-guerres. En comparant deux intellectuels ruralistes, Drieu La Rochelle et Rolf Gardiner, Stone révèle les nuances des versions française et britannique du ruralisme et l’article de David Bensoussan met en lumière la radicalisation des droites en milieu rural français. L’article de Pascale Sempéré sur l’ouvrage d’Oswald Mosley, Greater Britain, peut apporter des points de comparaison à l’article d’Olivier Dard sur les droites radicales françaises et l’empire colonial.

La deuxième partie de l’ouvrage porte sur la manière dont les droites radicales et les droites modérées ont coexisté tout au long du XXe siècle. La polémique ancienne autour du Parti social français que Jean-Paul Thomas expose avec virulence place le débat dans un tout autre contexte, celui des historiens dits « anglo-saxons » (terme racial s’il en est) de la France face aux historiens français de la France. Ces vieilles querelles semblent obscurcir le débat plus qu’elles ne l’éclairent. L’article d’Antoine Capet sur Churchill montre à la fois l’intérêt porté par Churchill au fascisme italien, mais aussi le profond mépris qu’il ressentait pour Mosley et la BUF. Dans la période d’après-guerre, les nuances des positions conservatrices en Grande-Bretagne sont particulièrement bien illustrées par le cas d’Enoch Powell, devenu marginal au sein du Parti conservateur après son discours des rivières de sang en 1968, courtisé par le National Front pour ses positions sur l’immigration, mais refusant d’y adhérer à cause des postulats racistes du National Front et de son nationalisme économique et antilibéral (article de Stéphane Porion). 

La troisième partie comprend trois chapitres sur le fascisme et le militantisme féminin. Myriam Boussahba-Bravard retrace certains itinéraires de militantes du suffragisme au fascisme. Julie Gottlieb compare les formes de mobilisation féminine mises en œuvre par le parti conservateur et par la British Union of Fascists et dévoile les liens qui existaient entre les deux. Elle plaide de manière très convaincante pour une lecture « genrée » de la période afin que l’importance de l’opinion féminine dans les différentes controverses – notamment autour de Munich et de l’appeasement – soit démontrée. Magali Della Sudda présente le cas très passionnant de la Ligue féminine d’action catholique. Malgré les récents travaux dans ce domaine, les trois articles pointent le manque de recherche existant encore et le besoin de mieux comprendre le militantisme féminin de droite.

La dernière partie porte sur les échanges et la circulation des idées entre droites radicales françaises et britanniques. Les articles de Keith Dixon et de Richard Griffiths placent la question des emprunts et des modèles dans un cadre européen. Valérie Auda-André s’intéresse à un groupe de réflexion dissident dans les années 1960-70, le Monday Club, et à son intérêt pour la pensée de Charles Maurras. L’impact de la pensée d’Alain de Benoist et de la « nouvelle droite » sur le British National Party est examiné ainsi que les effets du modèle dit thatchérien sur le front ultralibéral en France dans les années 1980 (Nigel Copsey et Philippe Secondy).

À droite de la droite est un ouvrage très stimulant sur les mécanismes d’échange et de transmission des idées entre les droites radicales britanniques et françaises. Même s'il reste des coquilles dans certains articles, l'ensemble est agréable à lire et le plus souvent très passionnant.  Présenter de nouvelles approches de l’histoire des droites et par cela même décloisonner les historiographies nationales est fondamental et on ne peut qu’espérer que ce type d’ouvrage encouragera le dialogue entre les historiographies européennes.

 

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