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Pour l’amour du ciel

La mort, le péché et l’au-delà dans les écrits de Thomas More

 

Marie-Claire Phélippeau

 

Bouzigues : Moreana Éditions, 2012

Broché. 422 pp. ISBN 978-2904309021. 27 €

 

Recension d’Isabelle Bore

Université de Picardie – Jules Verne (Amiens)

 

 

Cet ouvrage, tiré de la thèse de doctorat de Marie-Claire Phélippeau, est le fruit de six années de recherches qui ont porté sur La mort et le péché dans les écrits de Sir Thomas More. Ce travail présente un double intérêt. D’une part, l’auteur ne se contente pas de scruter les textes où More évoque les concepts de mort et de péché. Elle évalue les positions de More à l’aune de l’histoire des mentalités, ce qui donne à sa perspective plus de profondeur et enrichit la connaissance que nous avons du personnage en mettant en exergue la part de tradition qu’il hérite du moyen-âge et les traces de modernité reflétées par ses écrits. D’autre part, ce travail minutieux d’analyse permet de s’interroger sur ce qui anima Thomas More et justifia son action tout au long de sa vie et de poser la question audacieuse de la construction consciente d’une image de sainteté par le choix du martyre.

Le parcours que propose Marie-Claire Phélippeau est parfaitement résumé dans le sous-titre donné à l’ouvrage et commence par une réflexion sur la mort. La section consacrée à la mort s’ouvre sur la prise de conscience de la finitude humaine et de l’élaboration progressive de l’immortalité de l’âme. L’auteur montre que Thomas More n’échappe pas à cette réflexion philosophico-théologique. Il la place même au cœur de sa méditation faisant de la mort physique un passage obligé pour gagner la vie éternelle. Mais c’est un passage particulièrement étroit auquel il convient de se préparer soigneusement en gardant à l’esprit le peu de prix de la mort physique face à la damnation de l’âme et en se gardant du péché et de toute conduite déraisonnable qui mettent en péril la survie de l’âme.

Dans cette perspective, il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la deuxième partie du livre traite de la question du péché mortifère. C’est une question de poids car, Marie-Claire Phélippeau le démontre de façon très pertinente, au XVIe siècle, le péché est synonyme de damnation, le salut étant réservé au petit nombre d’élus qui a fait le choix de la sainteté. De ce point de vue, Thomas More est bien l’homme de son temps lorsqu’il invoque le mal causé par le péché quelle que soit la nature des sujets qu’il envisage. Sa réflexion se nourrit de deux legs de l’histoire religieuse. Héritier de la tradition médiévale des péchés capitaux, il fait de l’orgueil la faute primordiale d’où découlent tous les autres péchés. Son originalité ne provient donc pas de sa façon d’aborder les péchés capitaux mais du lien qu’il noue entre le nécessaire apprivoisement de la mort et la réflexion sur les péchés capitaux. Il se place également dans la lignée de saint Paul et saint Augustin et rejette la responsabilité du péché sur l’homme, qu’il n’hésite pas à écraser sous le poids de la culpabilité, nourrissant ainsi une angoisse très forte quant à l’éventualité du salut.

Cet héritage ouvre la porte à l’univers des peines qui font l’objet de la troisième section de cet ouvrage. Thomas More aborde les trois peines enseignées par la tradition catholique : le Jugement, l’Enfer et le Purgatoire. Lorsqu’il évoque le Jugement, il l’oppose systématiquement au Destin, esquissant ainsi l’idée d’une Providence qui gouverne les actions des hommes et les événements du monde. Moins terrifiant que rassurant, le Jugement est alors compris comme une action réparatrice susceptible de mettre fin au chaos du monde et d’en restaurer l’harmonie. More reste très évasif sur l’Enfer, qui ne donne pas lieu à des descriptions très détaillées. Il évoque simplement la présence du diable et donne du monde infernal l’image d’un monde instable et chaotique où les valeurs morales sont inversées. Même s’il est favorable à la méditation sur l’Enfer, il ne fait pas référence aux peines qui y attendent le pécheur. Loin d’être aussi pittoresque que dans sa représentation de la Mort, il se contente de suivre l’enseignement de l’Église sur la morsure du feu éternel. Inimaginable, l’Enfer se révèle ainsi d’autant plus menaçant. More est, en revanche, beaucoup plus disert sur le Purgatoire, auquel il consacre tout un ouvrage, la Supplique des Âmes. Il s’agit d’un lieu de torture, peuplé de démons grimaçants et rusés qui entretiennent le feu purificateur. Mais, à la différence de l’Enfer d’où nul ne peut sortir, le Purgatoire est un lieu de passage. L’enjeu est donc de raccourcir au maximum le séjour des âmes dans ce lieu de souffrance. Étant donné qu’il est impossible de savoir de quoi la Miséricorde de Dieu est capable, More considère qu’il est du ressort de chacun d’assurer son salut en faisant le choix de la sainteté.

Partant de la classification eschatologique proposée par André Vauchez, Marie-Claire Phélippeau montre que Thomas More possède les attributs des différents modèles de saints, du martyr au pourfendeur d’injustice en passant par l’ascète et le chef éclairé. En s’appuyant sur les témoignages de l’entourage de More, l’auteur met l’accent sur le désir de perfection dont il a fait preuve tout au long de sa vie et suggère que son martyre est une forme d’apothéose qui le fait passer du statut de l’humaniste accompli à celui du saint, l’héroïsme de sa mort venant parachever l’exemplarité de sa vie. Ce changement de statut s’accompagne d’une inflexion dans le ton de ses œuvres, où la peur de la damnation laisse peu à peu la place à l’espérance du paradis. Cette espérance va de pair avec un rejet du monde qui s’apparente de plus en plus à la misère morale. Dépassant la vision béatifique prêchée par saint Bernard, Thomas More fait du paradis « un état d’amour fusionnel […], l’aboutissement des espérances humaines les plus intimes, parfois pressenties sur terre, mais toujours imparfaites » [354], ce qui le rend infiniment désirable. Ce désir ardent du paradis est très certainement ce qui a permis à Thomas More de résister à la pression politique et de dominer la peur de la mort. Il peut également expliquer ce qui ressemble à une recherche consciente et délibérée de sainteté tout au long de son existence.

L’ouvrage de Marie-Claire Phélippeau présente donc l’intérêt d’aborder la personnalité de Thomas More sous un angle jusqu’alors inexploité. Outre l’originalité de la thèse défendue, cet ouvrage s’appuie sur une documentation de grande qualité agrémentée d’illustrations riches et variées, ce qui témoigne du soin accordé à l’édition de ce travail universitaire et en rend la lecture particulièrement stimulante.

 

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