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Eudora Welty et la photographie

Naissance d’une vision

 

Géraldine Chouard

 

Paris : Michel Houdiard, 2012

Broché, 178 p. ISBN 978-2356920676. 25,00 €

 

Recension de Nathalie Dessens

Université de Toulouse-Le Mirail

 

Si l’œuvre littéraire d’Eudora Welty est bien connue et a fait l’objet de recherches en France, son œuvre photographique est restée plus discrète dans le monde scientifique français. Cet oubli est superbement réparé par l’ouvrage de Géraldine Chouard. Si, à première vue, l’ouvrage peut sembler faussement simple, peut-être du fait de son format même, qui ne lui donne pas l’apparence d’une publication universitaire, et du fait qu’il est largement illustré, il s’agit bien d’un véritable ouvrage de recherche.

C’est un travail d’érudit, qui démontre la connaissance intime qu’a son auteur de la carrière et de l’œuvre d’Eudora Welty, mais aussi sa parfaite maîtrise de l’arrière-plan historiographique et théorique, en France comme aux États-Unis, une parfaite compréhension du contexte de production de l’œuvre photographique, tant le contexte large de la Grande Dépression aux États-Unis que le contexte étroit du Sud ségrégationniste de l’époque, et surtout un contact étroit avec la photographie américaine.

Géraldine Chouard est tout d’abord une spécialiste incontestée de l’œuvre littéraire d’Eudora Welty et chaque chapitre de ce livre en est la preuve. Il est parsemé de fines analyses littéraires de certaines créations de Welty. Mais Géraldine Chouard est aussi une spécialiste du Sud et ses exposés contextuels sont extrêmement précis et concis, toujours parfaitement pertinents. Et elle est, enfin, une des quelques spécialistes français de la photographie américaine, comme en témoignent ses très fines analyses des photographies de Welty et sa connaissance étendue des ouvrages théoriques sur la photographie et de la production, française comme états-unienne, d’ouvrages scientifiques sur la photographie aux États-Unis. Souvent, allant au-delà du domaine de la photographie, elle inscrit même les productions de Welty plus largement dans la tradition picturale américaine, qu’elle maîtrise aussi parfaitement.

Chaque détail compte dans cet ouvrage. L’appareil critique est impeccable, le style est soutenu mais enlevé, empruntant largement au lexique érudit de la critique littéraire et photographique mais toujours agréable à lire, les titres des chapitres sont à la fois précis et créatifs. L’objectif est clair dès le début, l’ensemble est construit avec soin, les chapitres s’enchaînent avec beaucoup de fluidité, conduisant le lecteur d’une inscription de l’œuvre de Welty dans la tradition photographique états-unienne et dans le corpus de photographies produites dans le cadre de la FSA (« L’œil et la plume »), à un regard porté sur cette œuvre dans le contexte sudiste (« Welty, Mississippi : Objectif Sud »), à un magistral examen de l’inscription de la photographie dans l’œuvre littéraire de Welty (« L’image au pied de la lettre »), à une étude de l’œuvre photographique de Welty, dans le but de définir sa « vision », objet de l’ouvrage (« Retour sur images »), pour finir sur les écrits de Welty sur d’autres photographes, Kertész, Cartier-Bresson, Riefenstahl et Eggleston, ainsi que sur les commentaires qu’elle a produits sur ses propres photographies de monuments funéraires (« Tombeaux photographiques »).

Le lecteur de l’ouvrage de Géraldine Chouard apprend donc beaucoup, sur Welty, sur la photographie américaine, sur les États-Unis de la Grande Dépression et le Sud de la ségrégation. La sélection de photographie de Welty reproduites ici est extrêmement réfléchie. Les photos choisies sont saisissantes, elles illustrent les analyses les plus centrales, elles sont à la fois uniques et représentatives de l’œuvre de Welty.

Certes, on pourra exprimer quelques regrets mineurs. Une bibliographie difficilement lisible, du fait de sa présentation en deux colonnes, quelques coquilles ou mots manquants, une concentration des photographies en trois endroits différents qui rend un peu fastidieux les allers-retours fréquents entre le texte et les photographies, et surtout un permanent sentiment de frustration à la lecture d’analyses de photographies qui n’ont pu figurer dans l’ouvrage. Mais ces petits défauts, sans nul doute liés à des contraintes éditoriales, ne sauraient enlever à la grande qualité de l’ouvrage de Géraldine Chouard et au plaisir que le lecteur tire de sa lecture.

Ce qui frappe surtout, et fait peut-être la plus grande originalité de l’ouvrage, est la capacité qu’a son auteur à tisser intimement les différents aspects de son analyse, la façon dont elle fait toujours résonner l’image, le texte, le contexte, déclenchant, en chemin, des échos intratextuels et intertextuels. Dans l’écriture de Géraldine Chouard, il n’y a jamais de longs développements théoriques ou contextuels. Elle tisse étroitement tous les détails de sa réflexion, convoquant juste ce qu’il faut de théorie, juste ce qu’il faut de contexte, juste ce qu’il faut d’analyse littéraire, pour asseoir ses analyses de l’œuvre photographique de Welty. Barthes, Freud, Éliade, Lacan, Proust, Nabokov, ainsi que tel ou tel spécialiste de photographie, de l’œuvre ou bien de la vie de Welty, viennent brièvement, juste à point nommé, affermir une lecture personnelle d’un passage littéraire, d’un essai ou d’une photographie de Welty. Ce que Géraldine Chouard a su faire, c’est un très beau patchwork, genre qu’elle affectionne tout particulièrement et dont elle est par ailleurs spécialiste, résultat saisissant de cet art de prendre des morceaux d’étoffe différents pour produire un tout homogène et, surtout, original.

 

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