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Psycholinguistique et didactique des langues étrangères

 

Travaux du GEPED en hommage à Danielle Bailly

 

Sous la direction de Danielle Chini et Pascale Goutéraux

 

Paris : Ophrys (Cahiers de recherche en linguistique anglaise), 2008

Broché. vi+268 p. ISBN 978-2-7080-1210-3. 24€

 

Recension de Vincent Hugou

Université Paris 3, Sorbonne-Nouvelle

 

 

Ce volume collectif en hommage à D. Bailly réunit dix-neuf articles regroupés en six chapitres. Tous sont issus de journées d’études du Groupe d’études en psycholinguistique et didactique (GEPED), composante de l’équipe LLCAA (Langues, littératures et civilisations de l’Arc Atlantique, Université de Pau et des Pays de l'Adour). La présence du coordonnant « et », dès le titre de l’ouvrage, modèle explicitement le lien entre la didactique des langues et la psycholinguistique, qui doivent être perçues comme deux disciplines solidaires. Tout naturellement, chaque contribution légitime cette association en soulignant, sous un angle qui lui est propre, la nécessité d’intégrer aux pratiques langagières une démarche réflexive d’ordre métalinguistique et métacognitif, démarche d’autant plus indispensable que l’apprentissage d’une langue étrangère se fait dans un cadre institutionnel, « hors immersion » et que toute communication en classe ne peut être que simulative.

On sera sensible à l’organisation en six chapitres qui répondent à un enchaînement logique et thématique : le premier chapitre consiste principalement en un examen du Cadre Européen Commun de Référence. Sont répertoriés, à grands traits, ses apports et ses faiblesses : si la perspective visée est de type actionnel en ce qu’elle considère l’apprenant comme un acteur social ayant à accomplir des tâches, ce qui est séduisant, la démarche conceptualisatrice, pourtant indispensable, semble désormais passée sous silence. Ces premiers constats trouvent un écho dans le deuxième chapitre où sont présentés, de manière originale, des concepts fondamentaux, tels que la transposition didactique, les processus mémoriels, les activités épilinguistiques et métalinguistiques de l’apprenant. Le troisième chapitre se situe davantage du côté du praticien : des pratiques de terrain innovantes illustrent les concepts posés et définis dans le chapitre précédent. Le quatrième chapitre fait retour sur des enjeux théoriques importants : les recherches cognitives et didactiques gagnent à tenir compte également des facteurs culturels. Le cinquième chapitre examine la démarche réflexive sous un autre angle : cette fois-ci, c’est un ensemble d’éléments de diverse nature sémiologique (documents iconographiques et audio-visuels notamment) qui fait l’objet de la recherche. Le sixième chapitre, qui clôture l’ensemble de cet ouvrage, est consacré à un seul article, au souffle puissant, rédigé par plusieurs membres du groupe GEPED, dont D. Bailly. Les auteurs rappellent les conditions dans lesquelles ce groupe de recherche, plus ou moins informel d’abord puis institutionnel, a pu voir le jour et rassembler un bon nombre de chercheurs en didactique se situant dans le courant conceptualisateur et énonciativiste de la didactique des langues.

Les principes d’organisation de cet ouvrage ne sauraient toutefois cacher le choix d’une approche ouverte et diversifiée : son intérêt réside précisément dans la confrontation de considérations théoriques, de réflexions pédagogiques et de situations d’enseignement diverses. L’anglais reste largement prépondérant mais quelques contributions portent aussi sur la langue allemande. Par ailleurs, malgré la dimension cognitive manifeste de l’ouvrage, les différents articles ne répugnent pas à explorer également les confins de la discipline en faisant appel aux contributions de la pragmatique, la lexicologie, les analyses de discours, l’anthropologie, etc. En plusieurs endroits de ce livre, de grandes signatures nous le rappellent : A. Culioli, J.P. Bronckart, L. Vygotski, J. Guillemin-Flescher, R. Galisson, G. Zarate, entre autres.

Nous avons apprécié le premier article rédigé par D. Chini, qui soumet à un examen attentif, à la fois didactique et distancié, le Cadre Européen Commun de Référence et la méthodologie communicative à visée actionnelle qui a, comme on le sait, le vent (actuel) en poupe. Sans prétendre à l’exhaustivité, l’auteur esquisse, sur son versant scientifique, les enjeux de ce cadre : on entre par les tâches et l’élève est désormais aussi un « acteur social » qui agit sur l’autre et avec l’autre. Les perspectives sont séduisantes, mais l’auteur déplore l’absence ou l’occultation de la composante métalinguistique qui fait prendre conscience aux élèves du fonctionnement langagier. Or, quoi qu’on veuille en dire, l’enseignement d’une langue étrangère en classe ne se fait pas dans un milieu naturel où la composante pragmatique se développe en même temps que les connaissances phonétiques, syntaxiques et lexicales et dès lors il est important de conjoindre pratique langagière et démarche réflexive.

L’article deux, de P. Goutéraux, s’inscrit clairement dans la mouvance des théories des opérations énonciatives d’A. Culioli. Dans une première section, on nous rappelle que l’écart important entre le niveau de développement atteint par la recherche ainsi que l’enseignement universitaire que reçoit le futur enseignant et son exploitation dans le cadre d’une pédagogie de langue nécessite que l’on opère l’indispensable transposition didactique. Dans une seconde section et en guise d’illustration, l’auteur livre les fructueuses discussions qui sont nées d’un travail collectif entre enseignants à partir d’extraits du livre de N. Hornby, About a Boy (1998) : la réflexion de l’enseignant doit se mener en plusieurs temps dont d’abord une analyse linguistique éclairée puis un travail de planification didactique qui permet de dégager les potentialités du document, ses difficultés et points d’appui prévisibles et enfin la constitution d’un projet qui permettra aux élèves de tirer le meilleur parti du document retenu par l’enseignant.

Le premier article du chapitre deux émane de B. Viselthier, Maître de Conférences en allemand à l’IUFM de Paris. Il reprend à son compte le concept de « langage intérieur » développé par L. Vygotski et se donne pour tâche d’observer la variabilité des comportements cognitifs des apprenants en classe. L’objet d’étude devient en quelque sorte l’esprit humain envisagé comme un système de connaissances, le système cognitif. L’originalité de la démarche, exposée dans la suite de l’article, est qu’elle s’intéresse à « l’après-cours » : l’élève est amené, par l’entremise de l’enseignant médiateur-révélateur, à verbaliser son cheminement, en faisant un retour en arrière sur sa production.

L’article suivant, de J. Walski, rappelle que c’est au contact de la langue que l’élève récupère des éléments stables et récurrents ou encore des contre-exemples ; c’est ainsi qu’il peut se forger son propre système, système qu’il doit évidemment réajuster en permanence. Ce travail de découverte et de construction doit être effectué avec le guidage de l’enseignant, un guidage qui se veut à la fois informatif et stratégique. L’enseignant, c’est une de ses missions, n’a de cesse d’élargir les réemplois des structures ou des mots qu’il enseigne et doit aussi exposer ses élèves à une pluralité de discours. J. Walski propose également des paliers qui permettent à l’apprenant de se situer dans son parcours : le « niveau blanc » est le niveau pré-opérationnel et le « niveau rouge », le plus élevé, est celui de « la langue économique ».

C’est à nouveau D. Chini qui revisite sous un jour inattendu les processus de mémorisation des savoir-faire : dans la pédagogie d’hier, on pensait que les savoirs procéduraux étaient acquis dès lors que les savoirs déclaratifs étaient enseignés et assimilés. Ne pourrait-on pas désormais, tout en conservant l’interdépendance entre savoirs et savoir-faire, remettre en cause ces certitudes en inversant la hiérarchie ? Pour illustrer son propos, l’auteur développe plusieurs exemples, dont celui du lexique : il s’agit de faire prendre conscience de l’utilité de construire des stratégies d’inférence, des champs lexicaux et champs sémantiques. Ainsi, en se construisant un savoir-faire général, transférable à de multiples situations, l’élève devrait parvenir à s’approprier des savoirs, lexicaux dans le cas qui nous intéresse, à un moindre coût.

M. Moulin juge et jauge la pertinence des manuels utilisés dans les années 1980 et 1990 : le principal reproche porte sur leur fonction instrumentale, c’est-à-dire celle qui met en œuvre des méthodes d’apprentissage et des activités. Dans ces manuels, la nature et la visibilité des aides à la mémorisation ont souvent fait défaut. Mais le manuel ne peut pas tout et on sait que de nombreux concepteurs doivent obéir, encore aujourd’hui, à des injonctions diverses, notamment d’ordre éditorial. Il importe donc que l’enseignant considère le « livre » avant tout comme une interface qui a parfois besoin d’être modulée en fonction des situations d’apprentissage. Nous supposons, pour notre part, que la complémentarité entre l’imprimé et les ressources numériques pourra peut-être pallier certaines de ces insuffisances à l’avenir. L’article suivant, du même auteur, se concentre sur la notion d’activité qui est, hélas, trop souvent perçue par certains enseignants comme une fin, une tâche dont on souhaite s’acquitter et non comme un moyen. Or une activité sert aussi à faire réfléchir et à solliciter les intelligences.

Le dernier article de ce chapitre, écrit par P. Goutéraux, rappelle que la situation pédagogique est une organisation complexe au sens étymologique de l’adjectif. Il ne s’agit point de dispenser des savoirs en miettes, de représenter l’information d’une manière séquentielle, mais plutôt d’envisager l’enseignement et la construction d’un savoir comme un ensemble d’éléments qui s’interdéfinissent et interagissent en permanence. C’est ce que prônent les approches systémiques en général.

Ainsi que nous l’avons précisé, le chapitre trois se tourne plus particulièrement vers des descriptions de pratiques de classe : l’article neuf de M.H. Archimbaud repose, à nos yeux, sur l’idée que l’on ne communique bien que ce que l’on a vécu. L’auteur nous fait part de sa méthode d’enseignante, dans un collège de ZEP. On a plaisir à voir qu’elle fait feu de tout bois afin de favoriser l’accès au langage : tongue twisters pour introduire des réflexes grammaticaux, travail sur des emballages de produits pour travailler le passif (« made in China »), etc. L’article est intéressant en ce qu’il ne nous donne pas des kits qu’il suffirait d’appliquer. Il est là pour stimuler la réflexion et montre que l’enseignement d’une langue peut se mener dans une atmosphère ludique et au gré des circonstances. Ce point de vue nous paraît tout à fait sain.

Dans la contribution suivante, M.F. Mailhos souligne l’importance d’installer les échanges en classe dans une plausibilité énonciative et situationnelle. Le travail contre-productif d’un professeur stagiaire illustre le propos : les intentions étaient louables mais le questionnement frontal et la ré-orientation permanente des réponses des élèves en fonction d’une trame « attendue » l’étaient beaucoup moins. Il ne faut donc pas craindre les mises en contexte fantaisistes, les idées saugrenues des élèves et l’imprévu en classe de langue : l’élève y fait preuve de beaucoup plus d’imagination et d’initiative et participe alors à une véritable interaction. Dans l’article suivant, F. Trichet expose sa grammaire anglaise pour non-spécialistes qui, grâce à sa présentation sous forme de tableaux et de schémas, conduit l’étudiant à réfléchir sur la langue, son fonctionnement et son organisation.

L’article numéro douze, de M.C. Deyrich, s’inscrit dans la lignée des articles neuf et dix. Les activités qui donnent les meilleurs fruits sont celles où l’élève se pose en investigateur pour résoudre un problème, de quelque ordre que ce soit. Plus loin dans l’article, le concept de « transposition didactique », dont l’auteur revendique la paternité, fait l’objet d’un développement : on apprend que les savoirs savants doivent passer par une chaîne de transformations, dont les deux principales phases sont la « décantation » des savoirs et l’« adaptation » des savoirs.

L. Audin explique que l’enseignement de l’anglais en primaire n’est pas toujours pleinement satisfaisant, puisque les professeurs des écoles ont tendance à gommer toute réflexion sur la langue et enseignent trop souvent des savoirs atomisés (blocs lexicalisés, « mots pédagogiques »…). Elle évoque ensuite un travail mené dans une 6e de ZEP, dans une optique culiolienne, mutatis mutandis. Ainsi, dans une approche qui rappelle les modèles onomasiologiques, qui partent de la notion et qui vont vers le signe linguistique, des élèves d’un quartier difficile sont encouragés chaque fois à former une image mentale de la réalité qu’ils souhaitent exprimer pour redescendre vers les constituants de la langue qu’ils ont à leur disposition.

Le chapitre suivant rappelle qu’il est impossible d’isoler la langue de la culture et qu’un document, quand il est authentique, peut et doit être exploité dans toute sa richesse, linguistique et culturelle notamment.Trois études complémentaires sont proposées : l’article d’A. Cain se scinde en deux parties écrites avec dix ans d’écart. L’auteur nous livre une méthodologie qui permet aux élèves de comprendre comment se forment les représentations culturelles. On voit à travers des exemples de discours politiques et d’entretiens d’étudiants ayant passé un an à l’étranger comment un examen approfondi des modalités, des marqueurs aspectuo-temporels ou encore des connecteurs argumentatifs permet de déceler les zones sensibles de formation des représentations.

De son côté, A. Besançon confère un sens fort au concept de culture en s’appuyant surtout sur les thèses de G. Zarate. Une fois de plus, on comprend que culture, pragmatique et linguistique s’entremêlent (et ont tout intérêt à s’entremêler pour faire sens) : les études sur le tutoiement, la gestuelle, la gestion des tours de parole sont là pour le prouver. Les mots ne prennent leur sens qu’en fonction du contexte culturel où ils vivent et se développent. Mais cette culture a parfois besoin d’être exhumée des textes où elle n’apparaît qu’en filigrane : ce sont tous les problèmes afférents au traitement de l’implicite culturel, du non-dit.

Pour clore le chapitre quatre, J. Aden choisit de sortir légèrement du cadre scolaire classique puisqu’elle s’intéresse, à partir d’une analyse d’entretiens, aux représentations du culturel et de l’interculturel dans le milieu professionnel. Des conflits et des décalages peuvent naître lors d’échanges commerciaux. Plusieurs stratégies adaptatives peuvent alors être adoptées, par exemple celle d’informer les « apprenants » des différences et de favoriser la mise en perspective (par comparaison, opposition, rapprochement…) de la culture-cible et de la culture-source.

Le premier article du chapitre cinq est l’œuvre de D. Bailly, C. Caillot et R. Ibañez. Dans une contribution remarquablement documentée, les auteurs expliquent le renouveau méthodologique et l’attrait motivationnel de la vidéo en classe de langue. Sont examinés les aspects pyscholinguistique, langagier, pédagogique et didactique. Diverses modalités d’utilisation sont également fournies. Les auteurs nous avertissent : le professeur doit entraîner ses élèves à devenir des télespectateurs actifs en raison de l’écart entre la réalité de l’image et la réalité extra-linguistique ou de l’action modificatrice du cadrage, par exemple. L’article a quelque peu vieilli (il a été écrit en 1994) mais les nombreuses pistes de recherches sont très certainement transposables aux nouvelles technologies uilisées en classe de langue (multimédia, podcasts, Internet...). Voilà qui constitue la source de réflexions à prolonger. Enfin, l’article de C. Caillot et R. Ibañez explore les exploitations pédagogiques du document iconographique : l’analyse d’une image complexe et très souvent polysémique permet également d’engager une réflexion sur les éléments visuels signifiants et sur la négociation du sens. Là encore, l’enseignant doit se poser en véritable médiateur.

Chaque contributeur a apporté son éclairage, ce qui conduit à une synthèse, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, mais qui ne peut qu’engager les enseignants et didacticiens à considérer plus sérieusement l’intégration d’une démarche réflexive dans la pratique de la langue en classe. Les activités de conceptualisation ont leur large place dans l’enseignement des langues—leur juste place aussi—mais elles ne peuvent vivre qu’à la mesure de leur utilité. L’illustration de cette attitude est inscrite au long de l’ouvrage.        

Tout le monde y trouve son compte : le spécialiste en quête de synthèses critiques, l’enseignant en poste désireux d’approfondir sa réflexion ou encore l’enseignant novice qui se trouve souvent confondu par le nombre et la variété des cas de figure sur le terrain et qui souhaiterait porter un « méta-regard » son son enseignement et sur celui des autres. C’est un ouvrage d’accès facile sans pour autant abandonner une information très solide. C’est également un ouvrage honnête en ce que les auteurs ne craignent pas d’exposer les limites et les difficultés de leur entreprise. Un autre de ses points forts est qu’il comporte du nouveau et du fécond mais qui ne fait pas fond sur le principe de tabula rasa.

Pour terminer, prévenons une objection—que le lecteur qui trouverait quelques redites d’un article à l’autre garde présent à l’esprit que c’est justement là tout l’intérêt d’un ouvrage sur la didactique qui est lui-même à l’image de l’approche qu’il préconise et qu’il décrit : un parcours aventureux, une approche diversifiée, progressive et en spirale, où chaque article, sans craindre de revenir plusieurs fois sur un concept, éclaire les réflexions d’une lumière différente.

 

 

 

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