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James Joyce : Dubliners, A Portrait of the Artist as a Young Man

 

Lorie-Anne Duech

 

Paris : Ophrys, « Des auteurs et des œuvres », 2007,184 p. ISBN 2-7080-1115-4. 11 euros

 

Recension de Frédérique Amselle

Université de Valenciennes

 

James Joyce : Dubliners, A Portrait of the Artist as a Young Man a pour objectif premier de présenter ces deux textes de Joyce à un public d'étudiants ou de tout autre lecteur  « néophyte ou lecteur aguerri  ». Première difficulté qui consiste dans le même ouvrage à vouloir s'adresser à des publics dont les attentes et les connaissances semblent difficilement conciliables.

L'ouvrage de 184 pages, rédigé en français avec citations en anglais, est composé d'une introduction, d'une section intitulée  « Perspectives  »  divisée en six chapitres qui associent analyse et références aux textes joyciens. Suivent deux autres sections : « Lectures détaillées » qui présente des explications de textes en anglais, puis « Repères » , constitué d'un glossaire, d'une bibliographie annotée et d'un index des œuvres citées. Nous avons lu l'ouvrage en nous efforçant de garder à l'esprit qu'il était avant tout destiné à un public d'étudiants et nous avons toujours cherché à questionner la clarté et la pertinence des analyses : dans quelle mesure le livre est-il accessible et fournit-il les outils pour mieux comprendre l'œuvre de Joyce?

L'introduction ne répond pas aux critères sus-mentionnés. Sans doute Lorie-Anne Duech, auteur d'une thèse sur James Joyce, a-t-elle été trop prisonnière de sa connaissance et de sa maîtrise du corpus pour réussir à faire simple. L'introduction est divisée en trois sous-parties : la première évoque l'exil de Joyce et son attachement à Dublin ; la seconde montre comment chaque texte enrichit l'autre et favorise le brouillage des frontières textuelles. La troisième sous-partie situe Dubliners et A Portrait par rapport à Ulysses tout en précisant que si ces textes « font partie de ce que l'on appelle le early Joyce [...], cela ne fait pas de ces textes du easy Joyce pour autant » [12]. On aurait donc aimé voir certaines difficultés déminées dès l'introduction, quelque peu confuse pour qui lirait l'ouvrage comme une initiation à l'œuvre de l'auteur irlandais. Le propos, pourtant intéressant, est sinueux et manque de clarté dans une introduction qui aurait peut-être dû poser des jalons pour aider le lecteur (en situant les textes de Joyce, en faisant davantage référence au contexte historique et à la création artistique contemporaine).

On retrouve dans le développement les mêmes défauts que dans l'introduction : alors que l'auteur prend en compte la difficulté des textes étudiés, parti pris louable compte tenu du public visé, il n'y a pas un réel effort pour être accessible. Ce paradoxe se vérifie particulièrement dans les premières lignes de chaque section de la première partie. Dans la mesure où cette réserve s'applique essentiellement au début de l'ouvrage et absolument pas à la suite, on peut penser que l'auteur a eu quelques difficultés à trouver le ton et à doser entre éclairage et analyse plus poussée, oubliant que son lectorat n'a pas nécessairement le bagage joycien  – ou universitaire – nécessaire.

On aurait également souhaité davantage de clarté dans la structure même des parties. En effet il y a presque un souci « éditorial » dans certains chapitres (1, 2 et 4) où le titre ne correspond pas au contenu. On a parfois l'impression que le titre et une brève introduction ont été ajoutés au développement qui, lui, est cohérent. Avec Lorie-Anne Duech, on revient toujours à la question des corps et il est peut être dommage de ne pas l'avoir affiché plus clairement : la lecture n'en aurait été que plus efficace. À l'exception des chapitres 4 et 6 que nous traiterons donc à part, l'ouvrage s'efforce de toujours lire conjointement Dubliners et A Portrait puisque les chapitres 1, 2, 3 et 5 associent les deux œuvres de Joyce.

« Paysage irlandais de Joyce : de l'historique au mythique »  et son introduction laissent entendre que ce premier chapitre portera sur la ville puisqu'il s'agit du « choix topographique de la capitale »  irlandaise, de « Dublin comme ville archétypale » [15]. On s'attend donc à une analyse centrée sur la ville alors que l'on se rend très vite compte qu'il s'agit en réalité de la question du corps et de sa perception (sans qu'il soit posé comme un territoire ou un corps-paysage). 

Lorie-Anne Duech, qui a écrit une thèse sur le corps dans Dubliners, a du mal à aborder simplement la question : référence à la notion d'épiphanie sans qu'elle soit expliquée dans le développement, ponts jetés entre biographie et fiction qui risquent d'entraîner la confusion (« Bien que morte, la mère de Joyce revit dans Dubliners à travers d'autres personnages. Envahissante, elle s'insinue partout [...] » [21]) ou encore des procédés d'analyse qui, parce qu'ils ne sont pas expliqués ou justifiés, paraissent hasardeux (« il suffirait de transformer l'adjectif possessif 'his' en 'her' »  [21] pour parler non plus de la mort du prêtre mais de la mère). C'est d'autant plus dommage que, après s'être arrêtée sur la bouche et autres orifices du visage, l'auteur s'intéresse dans 'An Encounter'  et 'Araby'  à la menace de l'engloutissement (belle analyse du rapport aux mots et au caractère ogresque de l'homme), au regard et à l'odeur dans des pages aux analyses pertinentes qui n'oublient jamais de citer le texte.

Dans le chapitre 2, les deux sous-parties sont convaincantes mais ne correspondent pas au titre du chapitre, « Les quatre âges », puisqu'au contraire l'auteur parvient à nous convaincre qu'une telle grille de lecture est trop restrictive. Son propos est de montrer le brouillage, la confusion entre les âges et l'instabilité qui s'ensuit. Ainsi dans les nouvelles de l'enfance, ce sont les vieux qui sont omniprésents quand les personnages des nouvelles dites de la maturité sont flous (Maria, Chandler).

Les chapitres suivants sont inspirés et inspirants, comme si l'auteur avait trouvé le ton. On a particulièrement apprécié les analyses limpides et fouillées de ‘The Boarding House’ dans le chapitre 3 [50], centrées sur Mrs Mooney et sa fille, sans écarter pour autant les figures masculines : noms, étymologies, références mythologiques, ambiguïté – un bel exemple pour les étudiants. L'analyse de ‘The Dead’ est plus succincte (trois pages) et se concentre là encore essentiellement sur la question du corps.

Le chapitre 5 porte sur « la spiritualité et l'animalité » . Au delà des analogies entre l'homme et la bête, Lorie-Anne Duech montre comment la part animale s'inscrit dans les corps, les attitudes ou les propos, générant ainsi une friction avec l'éducation religieuse et la morale. La tension entre « l'inhumain et le surhumain »  est bien montrée, en particulier à travers l'étude de personnages tels que Duffy [90-99] ou Tom Kernan [83-85].

Si l'ensemble de l'ouvrage mêle les lectures de Dubliners et A Portrait, deux chapitres sont consacrés exclusivement à l'un et l'autre : ‘A Portrait of the Artist as a Young Man : le labyrinthe textuel’ , chapitre 4, et ‘Symptômes du désordre dans Dubliners’, chapitre 6.

Le chapitre 4, contrairement à ce que le titre peut laisser entendre, développe à peine la question de la structure et de la composition de l'œuvre. Au contraire, comme l'auteur l'écrit dès la page 62, « les pages suivantes proposent d'explorer à travers le roman l'un des nombreux motifs annoncés dès l'ouverture, à savoir l'opposition thermique froid/chaud » . En effet, la suite est divisée en sept sous-parties regroupées sous le sous-titre « fluctuations thermiques ». En dépit de ce souci récurrent qui confirme un problème d'édition ou de structure, la lecture du texte par le biais des oppositions binaires a toute sa place. A travers quelques scènes (de la fièvre, de la punition, de la prostituée, etc.) on mesure tout le travail autour du motif de la température et du toucher. Ce fil se déroule des premières scènes avec le jeune Stephen (‘When you wet the bed first it is warm then it gets cold’ [64]) à « l'échauffement général du corps » ou « la température émotionnelle grandissante de Stephen »  par la force de la création artistique [71].

Le chapitre 6, consacré à Dubliners, montre comment la figure du dérèglement (des corps en particulier) articule – ou désarticule – l'ensemble de l'œuvre, des gestes au langage (dans ‘Eveline’), de l'organique à la machine (dans ‘After the Race’ et ‘Counterparts’).

La deuxième partie de l'ouvrage remplit un objectif pédagogique précis dans la mesure où elle fournit des aides critiques et méthodologiques pour une meilleure compréhension, mais aussi et surtout pour que le lecteur puisse à son tour s'emparer du texte avec les outils nécessaires. La partie « Lectures » comporte trois explications de textes en anglais. Ces commentaires composés sont clairs, bien problématisés et l'argumentation, s'appuyant entre autre sur l'analyse narratologique, s'avère précieuse pour les étudiants qui voudraient acquérir un savoir-faire en la matière.

Enfin, le livre de Lorie-Anne Duech comporte un glossaire de noms propres et un lexique d'analyse fort utiles dans la mesure où se trouvent explicitées dans ces pages des notions auxquelles l'auteur avait fait référence dans la partie « Perspectives ». Il est toutefois regrettable que ces termes (chiasme, épiphanie, etc.) n'aient pas été accompagnés dans le développement d'une référence au glossaire : cela aurait grandement facilité la lecture et été bien plus profitable au lecteur s'il avait pu trouver les références aux pages du glossaire dans le corps du texte ou en note de bas de page. On peut également regretter que les définitions des figures de style (hypotypose, métonymie, anadiplose) ne soient pas accompagnées d'exemples tirés des textes de Joyce. La bibliographie annotée sera utile au lecteur qui veut approfondir son étude de l'œuvre joycienne. Elle comprend des adresses de sites internet dont quelques uns sont particulièrement sérieux et recommandables aux étudiants.

En dépit des réserves qui demeurent avant tout liées à la forme et la structure, ont semblé particulièrement appréciables dans ce livre les références à la critique, à d'autres textes du corpus joycien, notamment la correspondance qui permet d'appuyer des explications sur le processus créatif. Certaines pages fournissent de beaux exemples de lectures de texte, citations à l'appui, conduisant le lecteur d'une idée à une autre avec finesse. Les références à d'autres auteurs, dont Shakespeare, Flaubert et Proust, permettent de faire résonner les textes, ce qui ne peut manquer d'inspirer les étudiants.

 

 

 

 

 

 

 

 

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