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De Drake à Chatwin : Rhétoriques de la découverte

 

Sous la direction de Frédéric Regard

 

Lyon : ENS Éditions, 2007 

21€, 240 pages, ISBN 978-2-84788-107-3  

 

Recension de Claire Gallien

Université Denis-Diderot, Paris VII

 

L'ouvrage collectif De Drake à Chatwin : Rhétoriques de la découverte publié sous la direction de Frédéric Regard propose une étude diachronique – du XVIe au XXe siècle – et transversale – Asie, Afrique, Amériques, pôles – des récits de voyage anglais. Plus spécifiquement, les auteurs qui ont collaboré à la réalisation de ce volume analysent les modalités de description des premières rencontres entre les explorateurs anglais et leurs Autres, tour à tour étrangers, alter-ego, primitifs, barbares et bons sauvages, dans un espace qu’ils qualifient, en référence à Mary Louise Pratt, de “zone de contacts”.

L’ouvrage est composé de neuf contributions précédées d’une introduction qui donne un cadre épistémologique précis à l’ensemble et suivies d’une notice biographique sur chacun des explorateurs étudiés, d’une bibliographie, d’un index de noms de personnes et de lieux, et d’un index thématique. Il reprend le contenu de journées d’études organisées par le groupe de recherche SEMA (ENS-LSH Lyon). De Drake à Chatwin : Rhétoriques de la découverte n’est pas une anthologie supplémentaire de récits de voyage. Il ne se présente pas non plus comme une nouvelle étude des rapports antagonistes entre colonisateurs et colonisés. Si Frédéric Regard reconnaît en introduction l’importance de l’œuvre d’Edward Said, plus particulièrement de Orientalism, il s’en démarque assez vite.

L’originalité du travail de la SEMA tient en ce qu’elle s’est moins intéressée à des récits d’aventures qu’à des récits de premières rencontres, reconnaissant ainsi la possibilité d’une expérience non encore entièrement déterminée par le discours. Relevant les limites de la thèse de Said dans Orientalism, Frédéric Regard écrit :

À vouloir percer le secret de la ‘mise en tableau’, inévitablement liée à la violence colonisatrice, on en oublie l’événement incertain de la scène de rencontre et on perpétue en bonne conscience cet ‘allochronisme’ qui caractérisait le projet impérialiste. [13]

Frédéric Regard propose alors un autre schéma d’interprétation en associant sémiotique des récits, analysés comme des “mises en scène” [17],  et praxis de la rencontre. Pour ce faire, les auteurs utilisent les champs de la sémantique cognitive et de la pragmatique. Le champ de la sémantique cognitive est très vaste et l’on pourrait regretter qu’il ne soit pas mieux défini en introduction. Les auteurs considèrent en fait les récits de voyage comme en partie déterminés par les capacités conceptuelles et imaginaires de l'esprit humain et estiment qu’ils ont moins un intérêt référentiel que sémiologique, qu’ils nous disent moins de choses sur le réel en tant que tel que sur la manière dont il est construit. D’autre part le terme de “pragmatique” rappelle à l’attention du lecteur la présence du vécu dans les textes analysés. Les auteurs de ces essais démontrent que certains éléments de ces récits de voyage ne peuvent être compris sans faire référence au contexte même du voyage ou de la rencontre.

Ainsi, sans tomber dans le piège tendu par les récits d’exploration, dits “pris sur le vif” ou encore “objectifs”, les auteurs souhaitent à la fois reconnaître l'existence d’un cadre conceptuel, rendre compte de ses évolutions dans le temps et souligner la particularité des moments de rencontres entre explorateurs et étrangers qui résistent à une entière détermination idéologique. En d’autres termes, ces premières rencontres se situent précisément à la limite entre doxa et praxis, lorsque la rencontre n’est pas seulement conceptualisée, imaginée ou fantasmée mais plus simplement vécue, laissant place à la surprise et à l’émerveillement. Frédéric Regard précise en introduction :

on admet pour hypothèse fondamentale que tout récit de première exploration s’écrit à la jonction d’une culture [...] et d’un événement cognitif ou herméneutique inédit venant soudain ‘recontextualiser’ l'exercice du savoir / pouvoir. [18]

L’explorateur peut choisir de faire place à l’expérience, à la parole individuelle, pour questionner le langage commun. Ici, Frédéric Regard reconnait le rôle fondamental du travail de l’anthropologue Johannes Fabian. En effet, dans Time and the Other (1983), Fabian a élaboré une critique de l'anthropologie culturelle, en tant que fondée sur une double mise à distance, spatiale et temporelle, de son objet d’étude. À ce “déni d’intersubjectivité”, Fabian répond par un savoir anthropologique produit en contexte dans un temps partagé (coevalness). Au face à face de l’anthropologie traditionnelle, Fabian préfère discuter les phénomènes “d’interlocution” et de “polyphonie” à l'œuvre dans la constitution du savoir anthropologique. La connaissance de l’autre implique alors une réflexion sur le moi. L’anthropologie ne constitue plus un discours reflet du réel (a reflection) mais bien un positionnement réflexif (a reflexive stance) qui implique à la fois une interrogation de l’anthropologue sur ses propres pratiques et une réflexion sur le moi alors même qu’il part à la rencontre de l’autre. De même, les auteurs repèrent dans les récits d’exploration les traces non plus seulement d’échanges entre le moi et l’autre, mais d’interchangeabilité, les marqueurs de l’interlocution et de l’intertexte et les signes d’un retour sur le même, de la construction d’une identité individuelle et nationale en creux. Exploration et autobiographie sont liées.

Le premier article de l’ouvrage est consacré à la relation de la première circumnavigation anglaise effectuée en 1580 par Sir Francis Drake et publiée en 1628 par son neveu sous le titre de The World Encompassed. Sophie Lemercier-Goddard s’intéresse aux multiples renversements et paradoxes de ce récit, qui n’est plus, comme elle le précise, un récit de découverte, la majorité des terres visitées par Drake ayant déjà été cartographiées par les Espagnols et les Portugais. L’auteur de l’essai souligne les effets de ré-écriture au niveau des échanges qui ont lieu entre Anglais et indigènes. Le don des peuples dits “primitifs” est perçu comme un dû, et le contre-don, qui aurait dû selon l’analyse de Marcel Mauss, dépasser la valeur du don, lui est largement inférieur. Ce renversement des modalités de l’échange s’explique dans la manière dont les explorateurs envisagent leur présence sur ces terres inexploitées. Ils estiment apporter la plus-value de la civilisation et considèrent le don des productions naturelles de ces terres comme leur appartenant de droit.

Sophie Lermercier-Goddard note un second effet de réécriture à l’œuvre dans cette compilation : celle de la rencontre entre catholiques et indigènes. Il s’agit pour les explorateurs anglicans de justifier leur présence non plus seulement vis-à-vis des autochtones mais aussi vis-à-vis de la présence tierce des Portugais et Espagnols. Leurs récits de voyage prennent alors des allures de croisade en insistant sur l’exploitation des indigènes par les catholiques. L’ultime renversement idéologique consiste ici à faire porter le costume du barbare non plus aux Indiens d’Amérique mais aux catholiques d’Europe. Cet antagonisme s’inscrit dans une redistribution du pouvoir à l’échelle européenne, lorsque l’Angleterre d’Élisabeth Ière s’impose comme puissance maritime.

Line Cottegnies présente le récit de Sir Walter Raleigh, The Discovery of Guiana (1596), comme le prototype du récit d’exploration à la Renaissance. Raleigh, tombé en disgrâce auprès de la reine, entreprend ce voyage à ses frais et souhaite regagner les faveurs d’Élisabeth Ière en lui rapportant l’or de la cité mythique inca de Manoa, l’El Dorado des Espagnols. L’expédition est un échec, mais le récit que Raleigh en rapporte attire l’attention de nombreux critiques aujourd’hui. Line Cottegnies reprend l’analyse de Neil Whitehead, qui présente ce récit comme un texte “d’anthropologie implicite”. Partant de ce constat, Line Cottegnies analyse les stratégies narratives utilisées par Raleigh par lesquelles il rapproche les Indiens de la cause anglaise et les oppose aux Espagnols. Raleigh “met ainsi en travail la notion de barbare” [55] et l’applique aux Espagnols, qu’il place sur le même plan que les cannibales.

Dans un second temps, Line Cottegnies s’intéresse à trois rencontres culturelles” –  le mythe de l’Eldorado, le cas des Amazones et celui des Acéphales – et expose la manière dont “la science des rêves”, pour reprendre l’expression de Michel de Certeau à propos de Léry et de son ouvrage sur l’exploration du Brésil (1578), s’articule à la description de la réalité vécue par Raleigh dans la “zone de contact”. Cette expérience provoque en retour un questionnement des mythes. Line Cottegnies note également que l’analogie produite par la critique contemporaine entre exploration et rapport sexuel ne tient pas dans le récit de Raleigh. Ce dernier décontruit le stéréotype impérial et produit une figure du héros national comme chaste et maître de soi.

Nathalie Zimpfer présente quant à elle une étude du récit de la seconde expédition du capitaine James Cook en Mer du Sud. L’intérêt scientifique de cette exploration de Tahiti et de la Nouvelle-Zélande et la valeur épistémologique du récit qu’il en retire sont reconnus par les membres de la Royal Society qui la soutiennent. Nathalie Zimpfer choisit d’étudier The Voyage of the Resolution and Adventure, 1772-1775 car il lui semble contenir des enjeux multiples qui n’apparaissent pas forcément dans le récit de la première expédition. S’il s’inscrit d’abord dans “l’ère du voyage scientique”, The Voyage est un lieu exemplaire d’enchevêtrement de production d’un savoir scientifique et d’un savoir de soi” [85]. En effet, si les descriptions de la faune, de la flore et des peuples sont incontestablement marquées du sceau de l’épistémologie empiriste et de la méthode inductive, se tisse en filigrane un discours axiologique, beaucoup plus subjectif. Nathalie Zimpfer note également la mise en place d’une rhétorique impériale au coeur du discours de Cook et qui implique l’assignation de places bien définies entre colonisateur et colonisé.

Dans le même temps, la rhétorique coloniale est à l’origine d’une “opération de cosmétisation” par laquelle les tensions entre le projet cookien et la rencontre avec les peuples autochtones sont gommés. Nathalie Zimpfer rattache cette tentative à ce que Mary Louise Pratt définit dans Imperial Eyes comme “l’anti-conquête”, soit les “stratégies de représentation par lesquelles les sujets bourgeois européens s’efforcent de garantir leur innocence au moment même où ils mettent en place l’hégémonie européenne” [95]. Ainsi, selon Nathalie Zimpfer, l’autre est “instrumentalisé” en vue de parvenir à la construction d’une identité nationale et impériale :

La mise en tableau taxinomique de l’Autre n’est donc ni plus ni moins que l’une des modalités de l’impérialisme britannique, permettant d’affirmer la singularité, et surtout la supériorité des Anglais sur les autres ‘races’. Mais, mutatis mutandis, l’Autre devient dés lors indispensable à la consolidation d’une identité fragile parce que peu homogène. [105]

Pourtant, il faut bien reconnaître que ce discours visant à l’instrumentalisation de l’étranger n’est pas le seul valable au XVIIIe siècle. À la même époque, George Keate écrit An Account of the Pelew Islands (1788), d’après le récit du naufrage d’Henry Wilson sur un récif près de Koros, dans les Palaos. Après le récit sulfureux et effrayant rédigé par John Hawkesworth de la première expédition de Cook, le public anglais est, comme le note Lacy Rumsey, auteur de cet essai, rassuré et “ravi de découvrir que les contacts entre Anglais et Océaniens pouvaient être d’une autre nature” [108]. En effet, Keate efface d’abord les motifs économiques du voyage de Wilson jusqu’en Micronésie, pourtant parti pour le compte de la East India Company. De plus, Keate atténue la violence de l’expédition par un récit riche en descriptions fouillées de la vie de Palaosiens et émaillé de métaphores à visée moralisatrices. Ces dernières servent de “marqueurs d’une dérive morale” et “d’invitations à la rêverie moralisatrice” [109].

En réalité, le récit de Keate est organisé autour de schémas interprétatifs, dont le plus important est celui de la divine Providence. Ainsi, chaque événement, chaque rencontre, est perçu comme l’intervention de celle-ci. Les rapports entre Anglais et indigènes sont quant à eux placés sous le signe de la “sympathie naturelle”. Ici, le récit de voyage emprunte à la rhétorique du roman sentimental et les hommes participent à “un festin de bonnes intentions” [112]. Les possibilités de malentendus entre Anglais et Palaosiens sont donc quasiment exclues du texte de Keate, qui privilégie les marques de bienveillance. Lacy Rumsey note que l’auteur a finalement très peu recours à la métaphore, privilégiant vraisemblance et transparence, comme si le discours sur l’autre allait de soi. Il ajoute que l’auteur utilise néamoins des déplacements analogiques lorsqu’il décrit des situations de conflits ou signale des moments de peur. Les métaphores servent alors à signaler des conflits passagers et leur éclipse marque le retour à la norme.

Comme le note Frédéric Regard en introduction, la crise de la rencontre avec l’autre devient paradoxalement de plus en plus aiguë au XIXe siècle, alors même que la gloire impériale de la Grande-Bretagne est à son comble. Les récits de premières rencontres occupent donc une place à part dans l’ensemble des textes à portée anthropologique en circulation à l’époque, au sens où ils peuvent remettre en cause de manière radicale le discours triomphaliste de l’impérialisme et de la supériorité des civilisés sur les indigènes. Le récit de John Franklin, A Narrative to the Shores of the Polar Sea (1823), étudié par Catherine Lanone, en est l’exemple type. L’expédition, menée dans le but de dépasser les Russes dans la découverte du passage du Nord-Ouest tourne au drame puisque l’équipage, perdu sur les étendues glacées du Grand Nord, frôle la mort. Le récit de cette expédition, qui s’inscrit dans l’imaginaire romantique de l’époque, prend alors des accents tragiques.

Dès lors, John Franklin, érigé en héros national, transforme un récit de découverte censé accumuler des connaissances en un récit de la perte. Le référentiel s’amenuise pour être remplacé par le métatextuel “car l’écriture, comme le note Catherine Lanone, se fait plus précieuse que la vie” [124]. Ainsi, la capacité de l’explorateur à décrire l’autre, au départ tenue pour acquise et quitte à réduire l’autre à de simples clichés, est totalement remise en question. Les frontières entre le même et l’autre sont finalement brouillées. “Ce sont les Indiens qui ramènent ces sauvages émaciés à la civilisation”, ajoute Catherine Lanone, avant de conclure : “l’Autre, exilé en territoire qu’il ne comprend pas et qui lui reste hostile, c’est désormais l’Anglais, et non plus l’indigène” [134-35].

Anne-Pascale Bruneau, dans son étude du récit de la seconde expédition en Afrique de Clapperton (1825-1827), nous rappelle que cette crise du schéma des représentations n’est pas systématique. En effet, la relation des rencontres anglo-africaines dans le journal de Clapperton reste régie par des codes d’échange préexistants. Les indigènes se conforment vis-à-vis du diplomate Clapperton aux cadres mis en place avec les Européens déjà présents dans la région. Néanmoins, Anne Pascale Bruneau montre que cette tentative de structurer la rencontre aux moyens de cadres préétablis et selon des “modalités récurrentes” n’épuise pas le récit de ces rencontres. Comme l’explique l’auteur de cet essai : “Une dimension ‘magique’peut être à l’œuvre dans ces scènes de première rencontre, non seulement parce que l’on attribue parfois à Clapperton des pouvoirs spécifiques, mais aussi parce que la rencontre met en jeu, de part et d’autre, le déploiement d’effets dont le but est d’impressionner et de séduire” [145]. Par ailleurs, l’échange est, comme le remarque Anne Pascale Bruneau, fondamentalement inégalitaire. L’explorateur, au service de la Couronne britannique, maintient les chefs de tribu avec lesquels il s’entretient et noue des liens dans un rapport de force tournant à son avantage. À de multiples endroits du récit, Clapperton joue de la différence que des signifiants comme “serviteur” ou “amitié”  peuvent avoir dans un environnement cognitif différent de l’Angleterre et tire profit des erreurs d’interprétation de son interlocuteur africain.

La figure de Darwin représente un tournant dans ces récits d’exploration. En effet, l’explorateur ne peut plus après Darwin se placer à l’extérieur de ce qu’il décrit. Il se situe à l’intérieur d’une histoire universelle, au même titre que les peuples qu’il présente. En d’autres termes, l’autre devient figure du même ou double, pris à un autre stade de l’évolution des espèces. À travers une étude des récits d’Edward Tylor, Anahuac (1861), et de Richard Burton sur les lieux saints de l’Islam (1853), Frédéric Regard propose d’étudier “deux postures de l’ethnologue victorien, c’est-à-dire deux fictions de l’anthropologie culturelle” [156]. Ces fictions reposent sur la constitution d’identités imaginaires par la création de chimères ou l’utilisation de métissages fantasmatiques. Chez Tylor, l’opposition entre l’Européen et l’Amérindien selon le paradigme du civilisé et du barbare est mise à mal par l’interposition d’un troisième terme, l’Espagnol, qui bien qu’Européen, est rangé du côté des primitifs. Cette “chimère catholique” produite sous la plume d’un protestant conduit à un rapprochement entre Espagnols et Amérindiens, “voire l’interchangeabilité paradoxale de l’Indien et de l’Espagnol, du primitif païen et du civilisé catholique, comme si les deux cultures appartenaient à un état pré-civilisé proche d’une animalité excessive” [161]. Quant à Richard Burton, il esquisse dans les ouvrages savants qu’il rapporte de son séjour en Inde “les grands traits du principal personnage de ses récits-romans, cette figure fantasmée de l’hybridation, Mirza Abdullah the Bushiri, ‘infiltrant’ les communautés indigènes, mais se laissant lui-même ‘infiltrer’ par la couleur locale” [24]. Cette porosité entre le même et l’autre perturbe le descriptif ethnographique, qui se transforme alors en “délire autobiographique”.

Christine Reynier perçoit dans les pages du récit de Whymper, Scrambles among the Alps (1871), ce qu’elle définit comme une écriture de la réticence, entre ascèse et désir. Même si Whymper rétablit avec fermeté les frontières entre le moi et l’autre et revendique une écriture scientifique et nue, il n’en reste pas moins qu’arrivé au sommet des montagnes son écriture et son usage des métaphores deviennent beaucoup plus sensuelles. Whymper passe alors d’une “rhétorique de la conquête” à une “rhétorique du sublime” [197]. Son discours prend des allures d’épiphanie et son écriture est marquée par une hantise de la mort.

L’étude de Catherine Bernard qui clôt cet ouvrage collectif est centrée sur le récit de Bruce Chatwin intitulé In Patagonia (1977). Ici, le voyageur part moins à la découverte de terres et de peuples nouveaux qu’il ne se préoccupe des récits qui ont précédé le sien et déterminent son parcours. Comme l’écrit Catherine Bernard :

Bruce Chatwin ne fut pas un découvreur, un inventeur de territoires. Bien qu’il fût un romancier grand voyageur, il s’attacha plus à revisiter des espaces déjà cartographiés qu’à tracer de nouveaux horizons géographiques. Sans doute était-ce symétriquement pour mieux signifier qu’il n’y a point de découverte qui ne soit une redécouverte. [201]

Bruce Chatwin part donc à la recherche non pas d’espaces mais de fantasmes déjà projetés sur les lieux. L’auteur substitute à l’exploration géographique et à l’entreprise anthropologique une recherche de l’intertexte pour dévoiler les structures sous-jacentes de la représentation. Il éclaire également les difficultés rencontrées par le langage pour décrire l’altérité radicale ou l’impossibilité pour l’entendement d’atteindre à une conceptualisation parfaitement adéquate du réel. L’hybridation rêvée des auteurs du XIXe siècle a laissé place au différend sur lequel achoppe la pensée post-moderne.

 

 

 

 

 

 

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