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1916 : La Grande-Bretagne en guerre

 

Henry Daniels et Nathalie Collé-Bak (dir.)

 

Nancy : Presses Universitaires de Nancy, 2007.

34€, 412 pages, ISBN 978-2-86480-749-0.

 

Recension de Philippe Vervaecke

Université Charles-de-Gaulle (Lille III)

 

Publié à l’occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire de la bataille de la Somme en 2006, cet ouvrage collectif regroupe dix-huit articles traitant de cette année charnière, qui fut marquée par des pertes colossales chez tous les belligérants, en particulier sur la Somme et à Verdun, par le soulèvement de Pâques à Dublin, par l’entrée en vigueur de la conscription en Grande-Bretagne et enfin par l’arrivée de Lloyd George au poste de Premier ministre en décembre. Le livre inclut des contributions d’historiens britanniques et français, de civilisationnistes britannistes et irlandisants, mais aussi de spécialistes de littérature britannique et américaine.

Le projet procède d’une démarche pluridisciplinaire, l’année 1916 étant abordée sous divers angles, incluant les démarches et objets propres à l'histoire politique, militaire, diplomatique, littéraire, culturelle et sociale du conflit. L’introduction met l’accent sur la nature « hétérogène et multidimensionnelle » [11] de l’ouvrage ; l’ensemble n’est toutefois pas dépourvu de cohérence chronologique et thématique et la variété des sujets abordés au fil des articles permet de couvrir la plupart des faits marquants de cette année. Il manque toutefois à l’ensemble un chapitre sur le contexte politique, en particulier sur  les circonstances qui menèrent à l’éviction d'Asquith du poste de Premier ministre et à son remplacement par Lloyd George, et il aurait sans doute été judicieux d’inclure davantage d’études consacrées au Home Front, ce qui aurait permis de mettre en lumière les effets de l’introduction de la conscription, la part accrue prise par les femmes à l’effort de guerre ou encore le cas des objecteurs de conscience (1). Certains des articles, comme l’excellent travail de Daniel Toudic sur le profil socioprofessionnel des engagés volontaires de la région de Bolton ou celui de Claude Maisonnat sur le récit d’Arthur Machen, The Bowmen, paru en 1914 et relatant la manière dont les troupes britanniques auraient été sauvées du désastre à la bataille de Mons grâce à des forces surnaturelles, sont moins centrés sur l’année 1916 en elle-même que sur les premières années de la Grande Guerre, mais cela ne nuit en aucun cas à la qualité de ces contributions et à la cohérence de l’ensemble du projet.

L’ouvrage est doté de deux index très complet, un index rerum [379-389] et un index nominum [390-412], ce qui est rare dans le cas des ouvrages collectifs, mais qui s’avère très utile pour le lecteur. En annexe sont reproduites tout un ensemble d’illustrations (cartes du front, œuvres picturales), en particulier de fascinantes photographies des fresques murales d’Irlande du Nord commémorant la Bataille de la Somme [339-362]. Le travail éditorial a été accompli avec soin et souci de clarté. On regrette juste la manière dont les articles sont regroupés en chapitres (Chapitre 1 : Histoire politique et militaire [15-61] ; Chapitre 2 : Récits et points de vue [65-112] ; Chapitre 3 : L’Irlande [115-158] ; Chapitre 4 : Littérature [161-244] ; Chapitre 5 : Sociologie [247-295] ; Chapitre 6 : Terrains [299-336]), car si un tel choix éditorial atteste d’une volonté d’équilibrer le propos général entre histoire sociale, militaire, culturelle et diplomatique, cela ne paraît pas toujours justifiée d’un point de vue thématique. Ainsi, dans la section Récits et points de vue, l’article de Jacqueline Cousin-Desjobert sur les récits d’évasion et celui d’Antoine Capet sur la brève participation de Churchill aux opérations sur le front, auraient l’un et l’autre pu être intégrés à un chapitre Histoire militaire où auraient figuré d’une part les deux dernières contributions sur la topographie de la Bataille de la Somme, d’autre part les propos de cadrage de Jay Winter et Neil Faulkner sur le débat historiographique sur le bien-fondé et l’inévitabilité de la Bataille de la Somme et la part de cette hécatombe dans la victoire finale des forces alliées. De même, il aurait sans doute été préférable de regrouper les contributions ayant trait à la dimension internationale et diplomatique du conflit, à savoir, dans le chapitre sur l'Irlande, les deux articles sur le soulèvement de Pâques, l’article d’Elli Lemonidou sur les relations entre la Grèce et la Grande-Bretagne, qui apparaît dans le premier chapitre, et la contribution de Monica Girard sur les relations anglo-roumaines, qui figure dans le chapitre Récits et point de vue.

L’ouvrage présente un vaste panorama de cette tumultueuse année permettant au lecteur d’en saisir l’importance dans le déroulement du conflit. Dans les deux premiers chapitres, Jay Winter et Neil Faulkner s’interrogent sur les divergences d’interprétation entre historiens à propos de la bataille de la Somme, les deux auteurs s’accordant pour contester l’idée selon laquelle cette bataille s’est avérée nécessaire et qu’elle a constitué une étape cruciale menant à la victoire ultime. Mais le front de l’Ouest n’est pas le seul élément étudié dans l’ouvrage : la série d’articles consacrés à l’Irlande et aux relations diplomatiques de la Grande-Bretagne avec la Grèce et la Roumanie permettent d’apprécier la dimension internationale du conflit.

Les chapitres consacrés aux questions militaires évoquent des aspects méconnus du conflit. Antoine Capet relate le bref passage de Churchill à la tête d’un bataillon des Royal Scots Fusiliers, au cours duquel, à la stupeur des hommes de troupe, Churchill trouva le temps de planter son chevalet aux abords du champ de bataille. Jacqueline Cousin-Desjobert s’intéresse aux récits d’évasion, genre littéraire très populaire après-guerre, dont le plus célèbre exemple est The Escaping Club d’Alfred John Evans, paru en 1921.Les deux derniers articles, écrits par Peter Chasseaud pour le premier, et par le même auteur et Henry Daniels pour le second, abordent les progrès effectués dans le travail cartographique des Field Survey Companies pour le premier et la toponymie des tranchées pour le second. Le second de ces deux articles est accompagné d’une annexe [329-33] proposant une typologie des noms de tranchées qui nous montre l’inventivité des tommies et leur souci de donner des noms familiers (Bovril Trench, John O’Gaunt Street, Elephant and Castle) au dédale d’ouvrages défensifs parcourant le front.

Parmi les articles consacrés à la littérature, on retient en particulier les réflexions de David Ten Teyck  sur In Parenthesis de David Jones, poème épique paru en 1937 relatant la bataille de la Somme perçue par un soldat ordinaire, John Ball. Cette œuvre, moins connue, sans doute en raison de son hermétisme, que les œuvres de Sigfried Sassoon et de Wilfred Owen, doit selon David Ten Teyck être redécouverte et son importance dans le courant moderniste devrait être davantage appréciée.

Dans le chapitre Sociologie, Jeremy Tranmer s’interroge sur l’absence de réaction du mouvement ouvrier face à la bataille de la Somme, qu’il attribue au patriotisme et à la modération des milieux ouvriers. À partir du cas de la ville textile et minière de Bolton, Daniel Toudic présente une étude originale et détaillée qui permet de connaître le profil social des volontaires de 1914 et celui des morts au combat lors de la bataille de la Somme. Toudic passe en revue les facteurs économiques (les 21 shillings de solde par semaine promis aux recrues, la récession dans le secteur textile), sociaux (les pressions exercées par les syndicats sur leurs adhérents) et psychologiques (l’émulation entre ouvriers habitant le même quartier) expliquant le relatif succès du recrutement sur la base du volontariat, qui à Bolton comme ailleurs dans le pays concerna entre 25 et 30% de la population masculine en âge de combattre. En conclusion, Toudic souligne la sur-représentation des populations ouvrières, en particulier les catégories les plus précaires, parmi les volontaires de 1914 et parmi les victimes de 1916. Les tableaux et cartes reproduits en annexe de l’article [276-78] mettent en valeur le remarquable et patient travail de recherche effectué par Toudic, qui est parvenu à rassembler ces données en s’appuyant sur la presse locale (le Bolton Journal a été systématiquement dépouillé pour la période de mai à juillet 1916 afin d'identifier le profil socioprofessionnel de pas moins de 202 tués au combat). Le dernier article de cette section est consacré à la musique populaire en Grande-Bretagne en 1916. John Mullen y analyse les succès du music-hall de cette année-là et montre combien c’est d’abord et avant tout le patriotisme et le sens du sacrifice qui caractérisent ce type de création artistique, puisque très peu de chansons anti-guerre ont pu être identifiées dans le corpus de quarante-deux chansons composées cette année-là qu’étudie J. Mullen. En bibliographie figurent deux recueils de chansons de la Grande Guerre récemment ré-édités en Grande-Bretagne sous format CD, ce qui rend aisément accessible un matériau original et fascinant pour les historiens de la Première guerre mondiale.

L’importance de la Somme dans la mémoire collective est discutée dans l'article de Jean Guiffan et d’Alain Miossec sur la bataille de la Somme sur les murals d’Irlande du Nord. Leur article est accompagné en annexe, comme on l’a signalé précédemment, de nombreuses photographies permettant de visualiser ces fresques murales ornant maints bâtiments d’Ulster. J. Guiffan et A. Miossec ont dénombré pas moins de soixante fresques murales ayant trait à la participation des troupes d’Ulster aux combats. Ce travail de recherche permet de saisir toute la place de cette bataille dans la mythologie unioniste. Cette singulière et monumentale commémoration de la part prise par la 36e division d’Ulster dans les combats de 1916 doit beaucoup au contexte politique nord-irlandais et procède, comme le signalent les auteurs, « moins d'un devoir de mémoire envers des victimes de la Première guerre mondiale que d’une récupération politique [de la bataille] de la part d’une organisation paramilitaire loyaliste, l’Ulster Volunteer Force » [153].

L’ouvrage donne dans l’ensemble aux spécialistes de la Première guerre mondiale un très utile panorama de la contribution britannique à l’effort de guerre en 1916.

 

(1) Sur la question des objecteurs de conscience, à signaler la publication  récente de l’ouvrage de Will Ellsworth-Jones, We Will Not Fight… : The Untold Story of World War One’s Conscientious Objectors, London : Aurun Press, 2008. Plus généralement, à propos du Home Front, à noter l’ouvrage de Steve Humphries et Richard van Emden, All Quiet on the Home Front : An Oral History of Life in Britain during the First World War, Londres : Headline, 2004. Sur le rôle des femmes dans le conflit, voir le travail sur les femmes écrivains et leur rapport à la Grande Guerre publié par Debra Rae Cohen, Remapping the Home Front: Locating Citizenship in British Women’s Great War Fiction, Boston : Northeastern U.P., 2002.

 

 

 

 

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