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Paris, New York : Des migrants italiens, années 1880 - années 1930

Judith Rainhorn

 

Paris, CNRS Editions, 2005
25 euros, 233 pages, ISBN : 2-271-06330-2.

 

Recensé par Marie-Christine Michaud

 

 

À l’instar de Samuel Baily (Immigrants in the Land of Promise, Italians in Buenos Aires and New York City, 1870-1914, 1999) ou de Nancy Green (Du sentier à la 7ème avenue, 1998) , Judith Rainhorn présente une étude comparative de la migration des migrants italiens dans deux villes d’immigration, ou plutôt deux quartiers, à savoir La Villette à Paris et East Harlem à New York. En même temps, l’auteur s’attache à identifier les répercussions de l’implantation des Italiens dans le paysage social et ethnique urbain. En fait, tout au long de son étude issue de sa thèse de doctorat, Judith Rainhorn s’efforce d’expliquer les processus de sédentarisation, de stabilité et de mobilité des migrants italiens et la période de l’entre-deux-guerres, sur laquelle se concentre cette étude, est une période d’adaptation en ce qui concerne ces éléments. Ainsi l’objet de cet ouvrage est de voir comment les frontières des Petite Italie à La Villette et dans l’East Harlem s’édifient, se définissent ou se dissolvent pendant cette période, même s’il est, évidemment, fait constamment référence aux débuts de la vague migratoire massive des années 1880.

L’auteur justifie tout d’abord l’intérêt des études comparatives dans le sens où ce genre de démarche permet de saisir la combinaison des facteurs qui entrent en jeu et la spécificité des cas envisagés. Ainsi, l’atout de cette étude tient dans le portrait précis des Italiens dans ces deux quartiers. Leurs expériences peuvent converger ou diverger suivant les rythmes d’intégration conditionnés à des facteurs exogènes, telle que la guerre, ou les caractéristiques démographiques, culturelles ou sociales des vagues migratoires. L’auteur se penche d’abord l’enjeu de la formation des quartiers ethniques et le rôle des réseaux familiaux dans l’organisation de l’implantation des migrants. À l’aide de cartes, de statistiques et de diagrammes, qui témoignent de la spécificité de l’expérience dans chacun des deux quartiers, l’auteur rend compte des éléments démographiques, la famille et le mariage entre autres, mais également géographiques que comprend l’implantation des Italiens à la Villette et dans l’East Harlem.

Les deux premiers chapitres s’attachent à montrer comment entre sédentarisation et « nomadisme au coin de la rue » [71], les migrants se sont approprié ces quartiers et comment les Petite Italie se sont développées.
Ensuite, l’étude se concentre sur les modes d’insertion, l’emploi, « le nerf de l’aventure migratoire » [83] et sur les procédés de socialisation à l’intérieur des communautés, autour des associations, de l’église ou des loisirs. On note toutefois que l’auteur accorde un poids beaucoup plus important à l’emploi qu’aux pratiques sociales et culturelles pour expliquer la spécificité de l’expérience des Italiens dans les deux quartiers envisagés. La cohésion de la communauté dépend des réseaux de socialisation des individus, du maintien des traditions autant que du respect des règles sociales et culturelles. C’est le rôle de l’église de veiller à l’atténuation du déracinement des paroissiens comme c’est celui des associations de procurer aux membres de la communauté des liens de solidarité, des sentiments d’expérience commune. La place des loisirs dans l’organisation des Petite Italie est aussi prise en compte même si cet aspect de la socialisation aurait pu être traité de façon plus détaillée.

Quoi qu’il en soit, l’analyse de Judith Rainhorn montre de façon précise les divergences entre les conditions de socialisation à La Villette et dans l’East Harlem, divergences qui émanent des différences environnementales. En fait, et là est la carte maîtresse de cet ouvrage, les situations, les éléments et leurs conséquences sont tour à tour étudiés et comparés afin de montrer la spécificité de l’expérience dans chacun des deux quartiers mis en parallèle.

Le portrait professionnel des Italiens à La Villette et à East Harlem est dressé de telle façon qu’il souligne l’évolution des activités professionnelles, et qu’il dégage les similitudes ou divergences entre l’expérience dans les deux quartiers. Les divers emplois que les migrants exercent sont répertoriés et replacés dans leur contexte historique, d’une part afin de définir précisément le groupe en question et d’autre part de mettre en exergue l’évolution de ces emplois. La qualification des ouvriers dans certains secteurs, comme la construction et la confection, ou leur manque de spécialisation autant que la concurrence s’avèrent être des facteurs de sédentarisation et en même temps d’une certaine mobilité géographique et économique. En fait, l’auteur montre de façon efficace comment l’immigration va de pair avec la prolétarisation des Italiens et aussi des Italiennes. En effet, le cas des femmes est pris en compte car on ne saurait négliger l’influence de leur présence dans les processus de socialisation. Par contre, on peut regretter que celui des secondes générations ne soit pas développé plus amplement. En effet, la période étudiée par l’auteur aurait peut-être permis de dresser un portrait plus détaillé de l’insertion des jeunes générations dans le monde du travail parisien et new-yorkais. En outre, même si les migrants italiens restent concentrés dans les emplois industriels, les différences entre les domaines d’activités à La Villette, facteurs de stabilité, et ceux d’East Harlem, moteurs de mobilité et d’ascension économique attestent l’impact des opportunités et des marchés locaux.

Dans le même chapitre qui porte sur l’impact des liens sociaux dans le mode de socialisation et d’implantation des migrants, l’auteur choisit de s’intéresser aux activités politiques des migrants pour décrire le processus d’intégration. Leur engagement dans la vie politique nationale du pays d’immigration ainsi que leur activisme syndical puis leurs réactions face à la montée du fascisme sont des éléments primordiaux dans leur expérience à Paris comme à New York.

L’arrivée d’ouvriers syndicalistes, d’exilés anarchistes, et d’anti-fascistes donnent aux communautés italiennes de La Villette et d’East Harlem une image négative. Mais en fait, pour mieux comprendre les enjeux ainsi que l’expérience des Italiens, l’auteur remonte au contexte politique de la fin du 19ème siècle. Avant la guerre, la politisation des Italiens à La Villette reste marginale. Malgré un certain degré de syndicalisation, les activités de ces migrants n’affectent pas la vie politique parisienne ; à East Harlem, les Italiens sont tenus à l’écart des syndicats déjà établis et ont en fait une influence limitée dans les conflits de lutte sociale. Cependant, puisqu’il est plus facile de s’insérer dans la scène politique américaine grâce aux acteurs législatifs et institutionnels, ils commencent à jouer un rôle politique non négligeable plus rapidement qu’à Paris. Mais, c’est après la Première Guerre mondiale surtout que les Italiens, dont l’activisme politique est impulsé par la montée du fascisme à La Villette comme à East Harlem, s’affirment politiquement.

En ce sens, l’entre-deux-guerres est une période charnière. En même temps, et ce grâce aux progrès du processus d’intégration, qu’il soit d’ordre économique, social ou politique, les Italiens, se dispersent au delà des quartiers envisagés. L’adoption des lois sur les quotas et l’arrêt de l’immigration massive aux Etats-Unis, l’arrivée en France d’Italiens qui ne peuvent plus immigrer outre-atlantique ainsi que la dégradation générale des conditions de vie dans les années 1930 remettent en cause l’organisation des quartiers de migrants de La Villette et de East Harlem. En effet, dans le dernier chapitre, l’auteur se penche sur la transformation des Petite Italie qui due à l’émergence des jeunes générations et la fuite des Italiens « hors des murs » des communautés [165]. En effet, poussés à l’extérieur de leurs quartiers par de nouveaux arrivants, des Maghrébins dans un cas, des Noirs et des Hispaniques dans l’autre, les Italiens connaissent un exode urbain centrifuge.

Après une comparaison des conséquences de l’arrivée d’une nouvelle vague de migrants à La Villette avec celles de la fin de l’immigration massive à East Harlem, l’auteur conclue sur les divergences des deux situations. Les Italiens de La Villette quittent le quartier pour se retrouver dans des banlieues au nord-est de Paris où différents groupes des classes populaires doivent co-exister, tandis que ceux de East Harlem, les plus aisés puisque déménager est une preuve d’ascension économique, s’installent dans les autres boroughs de New York. Même si la nature du déplacement est différente dans ces deux cas, il s’avère que les Italiens, toujours en quête de reconnaissance, ont tenté de saisir les opportunités qui s’offraient à eux et de s’insérer dans le paysage urbain. Sans s’arrêter véritablement sur les questions de discrimination pour expliciter les modes d’implantation, l’auteur a montré l’importance des facteurs circonstanciels pour décrire les phénomènes de sédentarisation et/ou de mobilité des migrants italiens.

En somme, cette histoire comparative, à mi-chemin entre histoire urbaine et histoire des migrations, présente surtout l’expérience des primo-migrants pendant l’entre-deux-guerres, et ce de façon très argumentée, documentée et convaincante.

 

 

 

 

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