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Lectures et Ecritures du Mythe
Sophie Marret & Pascale Renaud-Grosbras dir.

Collection Interférences
Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2006.
18 €, 324 pp., ISBN 2-7535-O210-2.

Recensé par Claude Maisonnat

 

Cet ouvrage collectif regroupe 18 études proposées par les chercheurs affiliés au laboratoire « Lectures et Langages Critiques » de l’équipe « Anglophonie Communauté et Ecritures » de l’Université de Rennes II. Cet épais volume est précédé par une introduction minimaliste qui ne peut que laisser le lecteur sur sa faim. Eu égard à l’importance de la question du mythe au regard de l’écriture littéraire, il aurait certainement été profitable au lecteur de disposer de quelques pistes, de fils conducteurs, d’axes de réflexion, propres à dynamiser la lecture d’un ouvrage dense mais touffu et victime d’une fragmentation qui est certes inhérente au corpus, mais dont les effets contre-productifs auraient pu ainsi être neutralisés. L’ouvrage se divise en trois grandes parties successivement intitulées : La Production des Mythes, Mythologies, et, l’Ecriture Littéraire et le Mythe. Chacune de ces trois parties est à son tour divisée en deux sous-parties de poids inégal. Ainsi la première partie s’ouvre sur trois articles consacrés à Frankenstein et à l’émergence d’un mythe tandis que la seconde sous partie ne comprend qu’un seul article consacré à Roméo et Juliette. Quant au deuxième chapitre Mythologie, il comprend une première partie intitulée Mythes, Discours, Idéologies regroupant 3 articles tandis que la deuxième partie se compose de 2 articles traitant d’Anaïs Nin et de Patrick White. Le troisième chapitre, le plus long, traite dans un premier temps des usages littéraires du mythe et dans un deuxième temps de la ré-écriture du mythe.

Le recueil s’ouvre judicieusement par une réflexion sur le mythe moderne de Frankenstein en suivant une progression théorique cohérente et éclairante. Dans un premier temps Pascale Renaud-Grosbras commence par l’abord classique du mythe relié à un désir de savoir et une recherche du secret qui l’inscrivent dans une problématique oedipienne, en suggérant que la mort de « l’enfant-du-père » structure le cœur du roman. Sophie Marret poursuit dans une perspective lacanienne rigoureuse, en étudiant les transformations du mythe de Prométhée à Frankenstein pour montrer que si le mythe véhicule un savoir inconscient, il s’agit d’un savoir sur le sujet qui s’oppose au discours de la science, dont on sait qu’il est une idéologie de la négation du sujet, mais dans cette perspective cela suppose que le mythe exige le maintien en la croyance de l’existence de l’Autre. Enfin Anne-Laure Fortin-Tournès enchaîne en s’appuyant sur le concept d’événement tel que le conçoit Badiou, et explore ce mythe en tant que mythe de la création pour aboutir à la conclusion qu’il propose une « matrice représentationnelle de la théorie du sujet » [45].
On aurait aimé que le reste du recueil témoigne de la même rigueur architecturale et théorique. Ce n’est, semble-t-il pas toujours le cas, car la prolifération de références théoriques, qui ne sont pas nécessairement compatibles entre elles, pose des problèmes méthodologiques qui auraient mérité des tentatives de synthèse ou à tout le moins d’articulation, qui sont indispensables à qui s’intéresse au mythe dans une perspective littéraire aujourd’hui. Convoquer les pensées de Lévi-Strauss, Lacan, Jung, Ricœur, Paul Veynes, Jean-Pierre Vernant, Northtop Frye, Mircea Eliade, Freud, Otto Rank, Bachelard, Meletinski, Marcel Détienne, Gilbert Durand, etc. est certes légitime, et souvent pertinent, mais tend quelque peu à obscurcir le paysage critique. Ce regret, qui tient davantage à la forme même de l’exercice, qui consiste à regrouper une série d’articles, qu’aux choix thématiques opérés par les auteurs, étant exprimé, il n’en reste pas moins que la grande majorité des articles individuels proposés au lecteur sont d’un intérêt certain et que de surcroît ils proposent un échantillonnage de sujets allant de l’étude de la façon dont les textes d’Anaïs Nin ayant trait à l’inceste paternel tentent délibérément de contredire l’interdit mis en lumière par Freud, à la lecture de Jung que privilégie Rosamond Lehman en passant par l’usage littéraire du mythe dans A Midsummer Night’s Dream.

S’il n’est pas possible de résumer ici toutes les contributions qui font la richesse du volume, on insistera sur quelques études qui nous semblent les plus originales et les plus novatrices, à commencer par celle de Nicole Cloarec sur le rapport des mythes avec la fiction documentaire. Le corpus analysé comprend The Falls, un film de Peter Greenaway et Forgotten Silver du néo-zélandais Peter Jackson. Dans les deux cas, il s’agit de montrer que cette forme très particulière de fiction que constitue le documentaire, se fonde sur la tension entre une pluralité de discours et de croyances qui, paradoxalement, permet de réactiver les mythes tout en les déconstruisant. Afin de mieux faire ressortir ces mécanismes l’auteur s’appuie sur deux faux documentaires mêlant réalité et fiction, faisant apparaître l’existence d’un mythe sous-jacent encore plus archaïque, celui de la mimésis du réel qui permettrait « l’enregistrement et la restitution im-médiate de la réalité » [119].
Autre illustration de la qualité des analyses proposées : l’article d’Anne-Claire Le Reste sur les rapports entre le réalisme et le mythe chez Henry James. Son propos n’est pas de rechercher d’éventuelles traces intertextuelles laissées par les références aux mythes dans le récit Jamesien, mais en s’appuyant sur des références à Roland Barthes, de montrer quelles sont les stratégies narratives mise en place par James pour déconstruire le mythe constitutif du réalisme lui-même. L’auteur montre que c’est dans  The Princess Casamassina que James « affronte les implications de sa propre textualité » le plus frontalement, ce qui n’a jamais empêché ses lecteurs de continuer à la lire de façon réaliste.
On signalera également l’article de Claudia Desblaches intitulé : « Recréation et récréation mythique : du mythe au mytheux dans  Hungry Girls and Other Stories de Patricia Eakins », dans lequel en référence à la théorie de F. Max Müller sur le mythe comme maladie du langage, elle se livre à une analyse intertextuelle des mythèmes importés dans les quelque quatorze nouvelles du recueil. Elle montre comment l’esthétique du scandaleux caractérisée par une indétermination et une dislocation systématique de la grammaire et du récit, ainsi que le renvoi à une écriture dont la poéticité provient de son oralité reconstituée, peuvent être vus comme un hommage aux discours du passé et des origines, une tentative de retour aux fondements mêmes des mythes créateurs par le moyen du rythme et de la voix.
Ce n’est là qu’un trop bref aperçu des richesses du volume, mais Sophie Marret nous avait avertis dans son propos introductif, en citant Mircea Éliade : proposer une définition synthétique du mythe reste de l’ordre de la gageure, de la tâche impossible, tout en sachant qu’à cet impossible tout chercheur est tenu, faute de quoi il devrait se contenter de recenser, de répéter, de compiler. Ce qui fait tout l’intérêt du volume c’est que chacun des auteurs s’est confronté à cet impossible avec ses propres outils. Au total donc, au-delà de ses limites, les Presses Universitaires de Rennes  nous proposent un ouvrage éminemment propre à stimuler la réflexion, et à nous rappeler que sans sous bassement théorique de quelque nature qu’il soit, il n’y a pas de  recherche qui vaille.

 

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