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Lincoln’s Speeches Reconsidered
John Channing Briggs

Baltimore & London : The Johns Hopkins University Press, 2005.
£15,51. 384 pp. ISBN 10 0801881064 / ISBN 13 978-0801881060

Reviewed by Marie-Jeanne Rossignol

 

John Channing Briggs, qui enseigne au sein du département d’Anglais de l’Université de Californie à Riverside, a entrepris d’étudier les discours de Lincoln dans une noble intention, « réintroduire dans le champ des Etudes anglaises l’amour des grandes œuvres de prose hors fiction » [ix]. Si elle mérite l’intérêt, cette tentative n’est pas isolée : les littéraires s’emparent par exemple bien volontiers, en France comme en Amérique, des œuvres des historiens du XIXe siècle, tels Michelet ou Mercy Otis Warren, d’ailleurs  parfois délaissés par les historiens contemporains. En s’attaquant aux discours de Lincoln, Briggs s’engage également dans un sillon bien tracé : mais il n’ouvre pourtant pas son livre par un passage en revue exhaustif de la littérature sur le sujet ; les notes sont réduites au minimum tandis qu’il n’y a pas non plus de bibliographie commentée.

L’objectif de Briggs est avant tout d’analyser l’art oratoire de Lincoln, et pour cela, il définit sa méthode dès l’introduction : il s’agit de faire un commentaire linéaire d’une sélection de discours (sans qu’il justifie vraiment ses choix) qui vont de sa jeunesse à sa mort, et de laisser la lecture précise guider une compréhension intime, sans préjugés, de la pensée politique de Lincoln. L’analyse littéraire doit apporter un complément à l’analyse historique et l’ancrer dans l’épaisseur du texte de Lincoln [2-3] ; elle permet de traquer la pensée de Lincoln par-delà les artifices rhétoriques qui lui permettent de faire passer ses idées profondes  auprès du public.

Briggs est cependant conscient qu’une telle lecture ligne à ligne peut apparaître comme un manque de méthode [10], et, dans l’introduction, il dit compter l’accompagner d’une préoccupation constante pour l’intertextualité des discours de Lincoln (les sources possibles, telles Shakespeare et la Bible, et les discours auxquels Lincoln répond ou dont il s’inspire). Chez le lecteur, cette approche, destinée à faire surgir le sens d’une étude de la rhétorique de Lincoln, suscite un certain malaise méthodologique : des moments de paraphrase alternent avec de véritables éclairages, surtout quand Briggs importe des informations historiques (en général, le contexte immédiat dans sa complexité). La voie étroite choisie par Briggs ne parvient pas à nous faire pénétrer dans l’univers intellectuel du président américain dans toute sa richesse (peut-on connaître la pensée de Lincoln en allant simplement de discours en discours ?), et restreint le public réel d’un tel ouvrage aux spécialistes de la rhétorique de Lincoln.

Même si l’on a parfois l’impression dérangeante de lire une série de commentaires de texte rassemblés en un ouvrage, le livre de Briggs recèle cependant de nombreux bons moments où le regard du littéraire offre une perspective inhabituelle sur les textes politiques de Lincoln. Briggs rappelle que le terme « literature » avait dans la première partie du XIXe siècle une acception bien plus large qu’aujourd’hui, qu’il recouvrait non seulement les discours, mais également les écrits scientifiques. L’art oratoire n’était pas seulement pratiqué en politique, mais également dans les nombreuses conférences, sur les sciences, sur les arts, qui animaient la vie culturelle de la frontière. Imprimés dans les journaux, les discours étaient lus et relus dans une société passionnée par la politique.

De l’âge de 29 ans, en 1838, à sa mort, Lincoln va élaborer sa réflexion politique autour de deux thèmes liés, l’esclavage et le gouvernement de l’Amérique. En 1838, il dénonce les « mobs » antiabolitionnistes parce qu’il faut éviter que ces foules en colère ne mettent en péril le bon gouvernement républicain des Etats-Unis, et, en 1842, c’est en prônant la tempérance que Lincoln cherche à nouveau à écarter toute menace envers le droit et le gouvernement constitutionnel [74]. Quand, en 1852, Lincoln prononce l’éloge funèbre du grand Whig Henry Clay, il n’hésite pas, à la différence de ses contemporains, à placer l’opposition à l’esclavage au cœur du portrait d’un homme dont l’action politique avait pourtant largement servi à maintenir les intenables compromis de la nation américaine. Avec la montée des périls et la guerre, se développe le thème providentialiste, qui incarne, selon Briggs, la religion politique, ou philosophie de l’homme, à laquelle Lincoln est parvenue lors de sa présidence.

L’ouvrage a donc le mérite d’embrasser la production oratoire de toute la vie de Lincoln et d’en montrer continuités et évolution. Mais comme le signale un autre « reviewer »,  Glen E. Thurow de l’Université de Dallas dans The Claremont Review of Books* Briggs démontre que la rhétorique de Lincoln allait bien au-delà d’une simple technique, elle finit par « refléter sa compréhension profonde de la relation de l’homme au tout ».

 

* http://www.claremont.org/publications/crb/id.856/article_detail.asp, consulté le 28 novembre 2007.

 

 

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