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La Traduction
Marie-Françoise Cachin

Paris : Électre – Éditions du Cercle de la Librairie, 2007
24€; ISBN : 978-2-7654-0947-2


Recensé par Fabrice Antoine

 

 

Marie-Françoise Cachin, universitaire et traductrice qui est intervenue pendant de nombreuses années dans le DESS de Traduction littéraire de l’Université de Paris VII (maintenant Master de Traduction littéraire), signe aux Éditions du Cercle de la Librairie un ouvrage de 144 pages (128 pages de texte, suivies d’annexes et d’un index), dont le titre, La Traduction, peut être trompeur s’il n’est pas lu en complément de celui de la collection dans laquelle il s’insère, qui est « Pratiques éditoriales ».

Il n’est donc pas question ici d’un nouvel ouvrage sur l’activité de traduction, ses méthodes, théories, pièges, etc., mais, ainsi qu’il apparaît dès le sommaire, extrêmement détaillé [5-8], d’un ouvrage qui s’attache à brosser, à l’intention des étudiants qui se forment ou souhaitent se former à la traduction littéraire et aussi des « éditeurs tentés par la publication de traductions » [14], un portrait détaillé des acteurs de la traduction, au sens large, puisque ceux-ci vont des traducteurs littéraires aux éditeurs, en passant par les directeurs de collection, agents littéraires, préparateurs de copie et autres relecteurs. Ce faisant, l’auteur veut répondre à la question posée en introduction : « Quelle est la situation de la traduction dans les pratiques éditoriales en France au début du XXIe  siècle ? » [13] et dresse en réalité un état des lieux de la profession de traducteur littéraire et de ses relations avec les éditeurs.

Ce panorama s’organise en cinq chapitres d’égale longueur, dont les deux premiers sont consacrés au traducteur littéraire œuvrant dans le domaine de l’intraduction (traduction vers le français), le suivant, aux éditeurs et à la place qu’ils accordent à la traduction, le quatrième, aux relations entre traducteurs et éditeurs et le dernier, aux étapes de la publication d’une traduction. Les annexes qui suivent, au nombre de six, dont l’index, complètent utilement l’ensemble, en particulier en reproduisant le « Code des usages pour la traduction d’une œuvre de littérature générale » [131-36], dont l’historique est donné au chapitre 4, ou en fournissant la liste des associations françaises de traduction [137], auxquelles il est abondamment fait référence tout au long du volume, ou encore une liste de formations à la traduction pour l’édition [138-39].

Le premier chapitre, comme l’annonce clairement son titre, « Profession traducteur », vise à (dé)montrer que la traduction littéraire est un métier, à temps plein pour 47% des traducteurs interrogés pour une enquête publiée en 2000 dans TransLittérature, un métier dont l’accès se fait de deux façons principales, illustrées par de nombreux exemples, le hasard ou l’improvisation, et la formation spécifique. L’auteur présente les formations de l’ESIT et de l’ISIT, sans fournir guère plus de détails, semble-t-il, que ceux qui figurent dans les plaquettes de ces écoles ; elle développe davantage son propos lorsqu’elle aborde le DESS/Master de Traduction littéraire de Paris 7, en particulier en ce qui concerne ses modes de formation, ses méthodes et ses intervenants. Concluant que ces formations sont de toute façon généralistes, elle pose ensuite la question de la spécialisation des traducteurs, illustrée par la liste impressionnante de domaines ou genres particuliers recensés dans le répertoire de l’Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF) (dont beaucoup semblent être en fait des champs techniques [24-25]). Il apparaît que la nécessité de se préoccuper d’avoir une activité — et donc des revenus réguliers — entraîne le traducteur à ne pas se laisser enfermer dans une hyper-spécialisation, sans toutefois se résoudre à être un traducteur « tout terrain » (formule du traducteur William Desmond, [26]).

La seconde partie du chapitre s’intéresse au traducteur au travail, à sa discipline, ses méthodes et ses stratégies, ses outils et ses contraintes. Ainsi est rappelée la nécessité de trouver son rythme, de s’organiser, de s’astreindre à une discipline de travail rigoureuse, sans laquelle le traducteur ne sera pas à même de tenir ses engagements contractuels. Parmi les aspects de l’organisation du travail sont aussi envisagés la traduction à deux, les relations avec l’auteur du texte à traduire ou le choix d’une stratégie de traduction (dépaysement ou assimilation ; problèmes divers d’ajustements culturels). L’indispensable recherche documentaire et les outils du traducteur (dictionnaires et autres ouvrages, Internet) sont ensuite évoqués, de même que les ressources à disposition du traducteur, comme les bibliothèques spécialisées, les personnes ressource, essentielles dans tout travail de traduction qui se veut fiable, ou le forum de l’ATLF, autant de précieuses aides au traducteur dans son travail de détective en quête du mot, de la formule, de la phrase, justes.

Le deuxième chapitre est plus technique et se penche sur le « Statut et [l’]environnement professionnel du traducteur », en partant d’une comparaison avec un dossier de la Société française des traducteurs (SFT) de 1997 qui déplorait l’absence de réel statut du traducteur (la mention de son nom sur l’ouvrage publié fait partie de ce statut, de sa visibilité, bien sûr !). La situation a évolué, même si des progrès restent à faire. L’auteur examine ici les questions de protection sociale, de droits, de fiscalité ou de retraite des traducteurs et fournit des informations précises dans ces domaines. Elle passe ensuite en revue les associations professionnelles qui regroupent les traducteurs, ATLF, SFT, CEATL (Conseil européen des associations de traducteurs littéraires), avant de consacrer une large place à ATLAS (Assises de la traduction littéraire en Arles), puis aux manifestations autour de la traduction et aux résidences de traducteurs qui se sont développées ces dernières années.

La perspective du chapitre 3, « La traduction chez les éditeurs », est totalement différente, puisqu’il y est question d’examiner les multiples choix qui s’offrent aux éditeurs désireux de publier des traductions — curieusement, on ne dispose pas de chiffres permettant d’évaluer la proportion de traductions parmi les livres publiés en un an en France [59] ! Les éditeurs peuvent choisir de se spécialiser dans une aire géographique, ce qui entraînera bien sûr des choix de langues (même si la traduction de l’anglais domine, suivie de la traduction du… japonais) ; ils peuvent encore se spécialiser dans un genre spécifique, dont ce chapitre passe en revue un certain nombre (polars, SF, mangas, littérature pour jeunesse, théâtre, etc.), avec ses particularités ou problèmes propres. Les conditions du choix des œuvres sont ensuite évoquées, avec le rôle des agents littéraires et sous-agents dans la cession des droits, le rôle éventuel d’apporteurs de textes joué par les traducteurs (le chapitre suivant précise cependant que cette pratique est limitée, souvent aux langues de plus faible diffusion, et rencontre des réticences de la part des éditeurs). Enfin, avant quelques paragraphes sur les éditions bilingues, l’option de la retraduction est envisagée, avec une analyse des diverses motivations qui peuvent entraîner l‘éditeur vers ce choix (vieillissement de la traduction, lacunes, parti pris, changements de mode, regain d’intérêt pour l’auteur, etc.).

Les principaux acteurs étant définis, M.-F. Cachin décrit alors « Les relations traducteurs/éditeurs » dans le chapitre suivant. Elle évoque d’abord le recrutement des traducteurs et souligne que la plupart des maisons d’édition se constituent, au fil du temps, des « écuries » de traducteurs, composées de professionnels dont elles ont mesuré les qualités (clarté et efficacité en étant les premières) et à qui elles font faire un essai avant signature de contrat. Cependant, le répertoire de l’ATLF permet aussi aux éditeurs d’orienter leurs recherches lorsque leurs traducteurs « attitrés » ne sont pas en mesure de répondre à leurs besoins.

L’essentiel des relations entre éditeurs et traducteurs est régi par le contrat signé entre eux pour chaque traduction, qui suit, idéalement, et de plus en plus fréquemment, semble-t-il, le canevas du « Code des usages » déjà cité (rédigé en 1984, révisé en 1993, reproduit en annexe). M.-F. Cachin passe en revue un certain nombre d’éléments du contrat, qui nécessitent bonne compréhension et vigilance, en particulier d’abord pour ce qui concerne la cession des droits et l’exploitation de la traduction par l’éditeur, puis pour la définition des délais de livraison : un conseil est de bien calibrer le travail, d’où la nécessité d’une évaluation prudente de son ampleur, ses difficultés et la longueur de la recherche documentaire qu’il nécessitera, avant de discuter des délais. Viennent ensuite les questions liées à la rémunération du traducteur, dont la base est le feuillet, soit une page de 1 500 signes, soit 25 lignes de 60 signes, ponctuation et espaces compris (la planche étant la base pour la BD et les mangas), compte tenu du fait que tout feuillet commencé est dû et que le comptage informatique (suivi d’une division par 1 500) est proscrit, car pénalisant pour les traducteurs, en particulier de dialogues, mais tentant car avantageux pour l’éditeur. Sont indiquées [92-93] des fourchettes de prix au feuillet, variables selon les langues, et établies par enquête auprès de membres de l’ATLF, puisqu’il apparaît qu’il n’existe pas de tarifs « conventionnés ».

M.-F. Cachin souligne que la rémunération peut/devrait [93] varier selon les difficultés du texte à traduire ; elle insiste également sur l’obligation pour l’éditeur de rendre des comptes annuellement au traducteur, qui peut ainsi « suivre » les droits générés par son travail. Elle signale les problèmes qui peuvent exister concernant la lenteur de paiement ou le flou dans la reddition des comptes, ce qui nuit aux bonnes relations traducteur/éditeur et atteste malheureusement du statut quelque peu précaire des traducteurs.

Le contrat ne s’éteint pas à la livraison de la traduction, dont, d’ailleurs, à ce moment-là, l’éditeur peut demander la révision (si la langue ou la lisibilité ne lui paraissent pas adéquates, d’où l’intérêt de joindre éventuellement à une traduction livrée une note explicative de choix de traduction, en particulier pour ce qui concerne les niveaux de langue, les répétitions, la longueur ou la brièveté des phrases). La traduction chemine ensuite, de la relecture éditoriale (interventions du préparateur de copie et du correcteur) à la relecture des épreuves par le traducteur jusqu’au « bon à tirer » signé par celui-ci. La relecture des épreuves doit être extrêmement soigneuse, car c’est à ce moment-là que le traducteur peut découvrir des corrections effectuées à son insu, qui peuvent modifier profondément son travail, son style ou même le sens : l’auteur se fait l’écho des reproches souvent faits aux correcteurs [101], concluant que le dialogue éditeur/traducteur peut encore être amélioré, en donnant par exemple la possibilité au traducteur de justifier/défendre ses choix de traduction.

Enfin, la traduction parvient au stade de la publication, et surgit alors la question de la mention du nom du traducteur et de son emplacement. M.-F. Cachin déplore, comme de très nombreux traducteurs, la difficulté à faire paraître le nom du traducteur sur la couverture de l’ouvrage, de même que le silence de bien des éditeurs et de nombreux critiques sur le travail et sur le nom même du traducteur d’une œuvre littéraire publiée.

Le dernier chapitre, « La publication des traductions », revient sur le parcours d’une traduction [107], en se concluant d’ailleurs sur le silence des critiques évoqué ci-dessus, souvent agrémenté de commentaires sur le « style » ou « l’écriture » de l’auteur, dont on se demande s’il s’agit dans l’esprit du critique de ceux de l’auteur de langue étrangère ou du traducteur. M.-F. Cachin se penche aussi sur le coût d’une traduction, en envisageant les coûts des droits de cession mais aussi les aides à l’édition qui existent (en particulier du Centre national du livre, CNL, avec beaucoup de détails sur les procédures d’attribution de ces aides), puis elle examine les éléments externes à la traduction : paratexte (dont le titre : le traducteur propose, l’éditeur dispose), la couverture, les préfaces, avant-propos et postface, glossaires et notes (leur utilité, faisabilité, etc.), et enfin la promotion et la réception de ces textes traduits, qui souvent ne sont pas présentés ni accueillis comme traductions, ce qui ne va pas dans le sens d’une reconnaissance de la traduction et des traducteurs.

 

De cette synthèse assez longue, on aura compris le foisonnement de cet ouvrage pourtant ramassé : il rassemble des données éparses, que l’on pourra trouver en particulier dans TransLittératures (abondamment citée) ou Traduire (publiée par la SFT), ou sur des sites Web spécialisés, et il les complète de renseignements recueillis auprès de praticiens et validés aussi par l’expérience de l’auteur. Tout cela fait de cet ouvrage un livre utile et précieux pour ceux qui souhaitent exercer le métier de traducteur littéraire : ils n’y trouveront pas le vade-mecum du (futur) traducteur mais de précieux conseils et recommandations, nourris du militantisme de l’auteur, qui plaide – à  juste titre – pour la pleine reconnaissance de la traduction et du métier de traducteur.

Quelques petits regrets cependant à la lecture de l’ouvrage : si les formations au métier de traducteur sont indiquées, aucune donnée sur l’insertion professionnelle des diplômés ne figure ici, qui pourrait permettre de jauger l’adéquation des formations au marché et/ou l’ouverture des éditeurs à ces formations. La présentation du traducteur au travail (chapitre 1) passe en revue un certain nombre de difficultés de traduction et d’étapes nécessaires à la traduction : on aurait aimé trouver ici aussi des renvois à des travaux « pratiques » sur les sujets évoqués (ajustements culturels, etc.) ou une bibliographie sommaire sur ces sujets, bref, des pistes complémentaires pour nourrir la réflexion. Les paragraphes sur la recherche documentaire et les outils du traducteur (les réflexions sur l’argot et la langue familière de la page 32 sont un peu hâtives et même curieuses : une confusion entre lexique et langue fausse le jugement sur l’argot) me semblent un peu trop rapides : il s’agit des éléments clés de la formation des traducteurs, et l’absolue nécessité de valider les informations recueillies avant de s’en servir en traduction n’est malheureusement pas mentionnée ici ; elle doit pourtant être martelée, tout comme le recours à la personne ressource, qui aurait pu être davantage mis en relief — ce sont là deux aspects de l’activité de détective qui fait partie intégrante du métier de traducteur.

Enfin, si M.-F. Cachin évoque à plusieurs reprises les possibles conflits entre éditeurs et traducteurs, par exemple à propos des délais de livraison [90], de la négociation de la rémunération ou de la reddition des comptes [91-96], des corrections intempestives apportées à la traduction [101-02] ou de la mention du nom du traducteur [103-04], elle ne mentionne pas ce qu’il faut bien appeler les « traductions scandaleuses », celles qui, par leur mauvaise qualité, nuisent à l’image de la traduction et à la reconnaissance du métier de traducteur, celles qui sont publiées alors même qu’elles sont parsemées, voire truffées, de contresens majeurs, d’omissions ou d’effacements, de calques ou d’approximations stylistiques qui dénaturent et trahissent le texte d’origine — les causes sont multiples : il peut être question d’avoir omis de mettre le temps, ou le prix, qu’il convient de mettre pour faire traduire tel ou tel texte, de s’assurer de la compétence du traducteur, ou du correcteur, bref de se donner les moyens de publier une traduction cohérente, qui ne transmette pas une image erronée de l’original et ne fournisse pas des bâtons pour battre l’ensemble des traducteurs qui font leur métier avec rigueur, honnêteté et humilité. On comprend, bien sûr, que c’est là un sujet qui fâche, ou peut fâcher, mais former de futurs traducteurs implique aussi de se servir de mauvais exemples.

Ce qui précède n’enlève naturellement rien à cet ouvrage – et l’on comprend la nécessité d’équilibrer les chapitres – dont je recommande vivement et bien volontiers la lecture à tout étudiant entrant dans un Master de traduction ou désireux d’y entrer.

 

 

 

 

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