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Versus : La Version réfléchie — Des signes au texte,
Michel Ballard

Paris, Ophrys, 2004
22€, 356 pages, ISBN 2-7080-1088-3

 

Recensé par Denis Jamet


Selon les vœux de l’auteur exprimés en quatrième de couverture, Versus : La Version réfléchie — Des signes au texte se décrit comme la suite logique du tome I, qui a déjà fait l’objet d’une recension pour Cercles : http://www.cercles.com/review/r24/ballard.htm.
Les nombreux renvois au volume 1 prouvent que les deux volumes sont complémentaires, cette interdépendance étant mentionnée par l’auteur dans l’avant-propos [7-10]. La terminologie est une fois de plus systématiquement expliquée dans une langue claire, et exemplifiée lorsqu’elle est rencontrée dans les divers chapitres ; ainsi, la lecture de cet ouvrage peut-elle s’effectuer par chapitres, voire par thèmes, donnant à ce recueil une dimension d’ouvrage de référence – ce qui est d’ailleurs grandement facilité par l’index en fin de livre. Le but annoncé dans l’avant-propos est « de présenter, par l’observation et la réflexion, les problèmes de la traduction
 – et en particulier de l’anglais vers le français – pour en faciliter la perception et la résolution » [7], c’est-à-dire l’étude des problèmes traductologiques propres à la version.

Le deuxième tome de l’ouvrage de Michel Ballard est, à l’image du premier, composé de douze chapitres numérotés de 13 à 24, suivis de conseils de lecture. À ces conseils s’ajoutent une bibliographie conséquente en fin d’ouvrage, divisée en ouvrages généraux et ouvrages de nature traductologique, et comprenant également les références du corpus — dont on ne peut que noter la richesse —, puis finalement un index qui se révèle des plus utile si l’on utilise le livre comme ouvrage de référence.

Michel Ballard commence par rappeler que la traduction n’est pas un exercice mécanique car, si elle relève de méthodes de traduction, beaucoup d’autres critères entrent en ligne de compte, comme le prouve le phénomène de rétro-traduction : « la traduction n’est pas, dans une assez large proportion, un phénomène réversible parce qu’en fin de compte elle doit intégrer les équivalences parcellaires dans l’écriture d’un tout textuel » [9]. Ce second volume traite particulièrement  des « problèmes de génération d’équivalences, d’écriture et de réécriture en vue de constituer le texte d’arrivée » [9].

Chapitre 13, « Les catégories et la catégorisation » : ce premier chapitre effectue un rappel des diverses catégories, lexicales et grammaticales, libres et liées. Est ensuite abordé le phénomène de recatégorisation intralinguistique (un autre terme pour la conversion), puis de recatégorisation interlinguistique, c’est-à-dire ce que l’on appelle parfois la transposition (passage d’une catégorie grammaticale à une autre lors du passage interlangues). Les différentes recatégorisations interlinguistiques sont abordées, ainsi que leur nature plus ou moins obligatoire. Suit une classification des diverses recatégorisations, étayée de nombreux exemples. On remarque néanmoins une erreur de terminologie sur ce que l’auteur nomme les « participes présents », [19].
Tout d’abord, la recatégorisation simple, dans laquelle l’élément recatégorisé conserve la même fonction dans la phrase, puis la recatégorisation avec changement de paradigme, où la recatégorisation s’accompagne d’un changement de fonction. Cette recatégorisation avec changement de paradigme est soit limitée à un élément, soit étendue à deux éléments, phénomène plus connu sous le nom de chassé-croisé (et qui ne correspond pas forcément à la double recatégorisation).
Les divers types de chassé-croisé sont ensuite présentés, ainsi que la différence entre la recatégorisation (changement de classe grammaticale) et la commutation (par exemple, le changement de détermination, du singulier au pluriel). Ceci conduit au phénomène de concentration qui peut se diviser en « réduction » (de got a glimpse à aperçus) et « développement » (de convincingly à de façon convaincante).
Les diverses catégories sont ensuite illustrées : la commutation de déterminants, la commutation à l’intérieur de la catégorie du nombre (changement singulier — pluriel), la dépronominalisation (ou explicitation du référent), ainsi que la commutation à l’intérieur d’un paradigme de fonction (circonstant et expansion du SN). Ceci revient à opérer une différence entre axe syntagmatique et axe paradigmatique, et à mettre au jour les « commutations » possibles sur ces deux axes.
Michel Ballard conclut ce chapitre en mettant en garde contre une vision trop simpliste, trop mécanique des phénomènes de recatégorisation.

Chapitre 14, « La différence de concentration » : le chapitre part de l’observation qu’un texte traduit ne va pas forcément faire la même taille dans les deux langues, et qu’il est souvent plus long en français. Deux grandes parties le structurent : développement et réduction, et étoffement et effacement. Le développement est défini comme « le passage d’une lexie (unité lexicale) simple à une lexie complexe ou à une périphrase ayant le même sens » [41], tandis que la réduction consiste au « passage d’une lexie complexe ou d’une périphrase à une lexie simple ayant le même sens » [42]. Le développement et la réduction peuvent être soit morphématiques ( éléments de la base transformés en morphèmes) ou sémiques (les éléments de la base sont transformés en sèmes). Ces développements et réductions sont soit validés par l’usage et appartiennent à la langue (et par conséquent ils sont généralement consignés dans les dictionnaires), soit relèvent du discours (et interviennent à cause du choix créateur du traducteur). Le développement morphématique s’observe essentiellement à partir de la suffixation nominale (de whaler à pêcheur de baleines, de tongue-twister à mot ou phrase difficile à prononcer) et adjectivale (de ferny à tapissé / ombragé de fougères) ou à cause des « trous lexicaux » dans l’une des deux langues, ces « trous » étant dus soit à l’arbitraire onomasiologique, soit à l’utilisation différente des modes de formation des lexèmes (on parlera de « trou dérivationnel »), soit finalement à la culture (on parlera de « trou lexical d’origine culturelle », comme pour les néologismes). L’effacement (ou « suppression » vs. « oubli » qui est une erreur de traduction) et l’étoffement (ou « insertion », vs. « ajout » qui est une erreur de traduction) consistent à « retrancher ou à ajouter des éléments par rapport à une traduction littérale ou calquée du TD » [53]. Ce phénomène d’étoffement est bien connu lors de la traduction des prépositions en anglais, souvent rendues par une relative ou une participiale en français. Les étoffements exhibent un caractère facultatif ou nécessaire selon le génie de chaque langue. Ces retranchements ou ajouts sont dus à des raisons d’ordre morphosyntaxique, sémantique, stylistique, ou idiomatique.
Michel Ballard conclut en notant que la différence de concentration se joue donc autour de deux pôles : le sémiotique et le textuel.

Chapitre 15, « Modalités, temps et aspects » : après une première partie consacrée à un rappel des divers types de modalités (modalités d’énonciation et modalités d’énoncé), les deux parties suivantes traitent plus précisément des problèmes de temps et d’aspect (ce qu’il est courant d’appeler l’« aspect grammatical », marqué par des marqueurs particuliers) et les autres aspects de l’aspect (ce que l’on nomme traditionnellement l’« aspect lexical », contenu dans le sémantisme même du verbe). Michel Ballard propose une rapide typologie de la traduction des modaux, en fonction de leurs différentes valeurs ( à l’instar de would), comme la commutation avec une tournure impersonnelle ( il se peut que…), ou une recatégorisation en adverbe ou adjectif. Il passe ensuite en revue les temps et les aspects : le présent anglais, pas toujours rendu par un présent en français (cf. le futur dans une subordonnée temporelle) ; le prétérite anglais, et la multiplicité de traductions possibles face aux nombreux temps du passé en français : passé composé, passé simple, imparfait, plus-que-parfait, etc., avec un rappel des diverses valeurs que peuvent revêtir les V—ED et BE—ED+V-ING en anglais et les temps correspondants en français. Suivent le present perfect et le past perfect, selon le même schéma d’étude. Le chapitre se conclut avec les « autres aspects de l’aspect », à savoir l’aspect inchoatif, tolératif et factitif. Nous pouvons nous interroger sur l’opportunité du choix de ces trois aspects-là, qui laisse quelque peu le lecteur sur sa faim, mais est-il possible de traiter la traduction des aspects et de la modalité en un seul chapitre de vingt-cinq pages ?

Chapitre 16, « Le paradigme de désignation [1] Aspects linguistiques » : ce chapitre s’intéresse à « l’ensemble des modes de représentation possibles d’un référent dans le discours » [89], et plus particulièrement aux reformulations interlinguistiques qu’il implique parfois lors de la traduction. Le chapitre 16 s’intéresse essentiellement à l’aspect linguistique, alors que le suivant traite de l’aspect rhétorique, avec une étude des figures de style. Plusieurs catégories sont abordées : implicite <-> explicite : l’explicitation peut se faire soit par étoffement, soit par l’utilisation d’un terme plus précis ; quant à l’implicitation, elle est fréquente lors de la traduction des verbes à particules.
La partie sur les signes réduits <-> signes complets aborde la troncation, l’abréviation, le sigle, l’acronyme, et finalement l’amalgame, et toutes les façons qu’il existe pour les rendre en français.
La représentation linguistique pleine <-> représentation par substitut étudie les phénomènes de dépronominalisation (s’il existe un risque d’ambiguïté) et de pronominalisation (pour éviter la répétition), la relation hypero-hyponymique qui est soit un phénomène pré-établi (absence de choix réel), soit un phénomène ouvert (choix plus important de la part du traducteur, d’où un rôle primordial joué par le contexte). Michel Ballard note justement que l’hyponymisation est plus fréquente que l’hyperonymisation en version, à cause des collocations contraignantes fréquentes, et de la tendance française à éviter les répétitions, et conclut en soulignant que cette relation hypero-hyponymique est très utilisée en traduction, bien qu’elle soit souvent soumise à la subjectivité du traducteur, comme le prouvent les différentes traductions d’un même texte.
Quant au nom propre, auquel Michel Ballard a consacré un ouvrage, il est très généralement conservé, sauf dans les cas où la conservation ne permet pas de véhiculer le sens voulu.
Sont finalement abordées la relation définition ou proposition <-> terme, ainsi que la paraphrase antonymique, souvent connue sous le terme de « négation du contraire », où l’on note une préférence du français pour les tournures négatives contrairement à l’anglais et ce, dans plusieurs catégories grammaticales et lexicales.

Chapitre 17, « Le paradigme de désignation [1] Ses aspects rhétoriques » : le chapitre débute par des considérations sur la traduction des figures, qu’elles soient de réelles figures de style ou des catachrèses, avec comparaison intra- et interlangue. Trois figures sont plus spécifiquement passées en revue : la synecdoque, la métonymie et la métaphore.
La synecdoque est une figure consistant à signifier la partie par le tout (et vice-versa). La traduction est soit régulière (c’est-à-dire consignée dans les dictionnaires, car il existe un équivalent reconnu : the stage <-> les planches) ou occasionnelle / contextuelle (c’est-à-dire une traduction non répertoriée dans les dictionnaires). Quelques tendances dans les deux langues sont notées, comme la préférence du français pour l’animé humain, et celle de l’anglais pour la partie du corps (ex : être content de voir partir quelqu’un <-> be glad to see the back of someone), avec les trois phénomènes discursifs que sont la redondance, la focalisation et la répartition du contenu du sujet complexe. Michel Ballard conclut en notant la productivité de la synecdoque comme processus de traduction que l’on peut généraliser selon que l’on décide de prédiquer à partir d’un élément ou à partir du tout.
Les différentes sortes de métonymies sont ensuite étudiées à partir de la notion d’aspect, d’espace, de temps, de contenant (en anglais) - contenu (en français), de la source au procès ou au contenu et finalement d’une partie pour une autre partie, toutes ces modulations étant le résultat d’une variation dans la représentation des éléments du discours. Chaque catégorie est largement illustrée grâce à des exemples authentiques et de leurs traductions commerciales.
La métaphore est finalement étudiée, après que l’auteur a rappelé les différences entre comparaison et métaphore, les différents types de métaphores par rapport au degré de créativité que ces dernières mettent en œuvre (catachrèses, métaphores figées, métaphores vives), et leur étendue (simple ou étendue). Suit un classement des diverses façons de traduire les métaphores : par une autre métaphore (identique ou différente), par une comparaison, ou bien par le phénomène de démétaphorisation, c’est-à-dire par un équivalent littéral soit figé, généralement consigné dans les dictionnaires, soit par un équivalent littéral non figé, ce qui permet à l’auteur de conclure sur les phénomènes d’entropie, « qui font partie de l’équivalence en traduction parce qu’on ne peut pas toujours espérer rendre tout mot pour mot » [136].

Chapitre 18, « L’expansion du syntagme nominal » : ce long chapitre passe en revue les expansions possibles du groupe nominal, et les possibilités offertes au traducteur. Le premier type d’expansion étudié est la relative, qui peut être traduite par une transformation à l’intérieur du paradigme de l’expansion, tout d’abord par troncation, pour donner une apposition, un participe passé ou une proposition participiale, ou par commutation à l’intérieur du paradigme de l’expansion avec un syntagme adjectival, prépositionnel, nominal, ou une infinitive. Les cas de modification de la relation interpropositionnelle sont étudiés dans le chapitre 20.
Le second type d’expansion concerne l’apposition et Michel Ballard passe tout d’abord en revue les marques de cette structure : ponctuation (virgule, tiret, deux points), préposition et blanc typographique. Il nous a semblé étonnant de classer dans la catégorie de l’apposition les groupes prépositionnels et les « blancs typographiques », qui correspondent dans la typologie de Michel Ballard à la préposition reliant deux groupes nominaux, et à l’espace entre deux noms formant un nom composé. L’auteur traite ensuite des diverses façons de rendre les appositions anglaises lors du passage au français : le calque, l’effacement de l’article indéfini, le changement de type d’apposition, soit par un changement de ponctuation, soit par un changement de structure, la transformation en relative, le changement en subordonnée circonstancielle, et le désenchâssement consistant à transformer l’apposition en une autre proposition, juxtaposée ou indépendante. Cette sous-partie sur l’apposition donne l’occasion à Michel Ballard de traiter de la structure descriptive ou qualifiante souvent métaphorique N1 of a N2 ( à l’instar de that idiot of a doctor) et des diverses façons de la rendre en français, que ce soit par un calque, une recatégorisation par un adjectif non métaphorique, une comparaison, ou une intégration dans une unité supérieure au niveau de la phrase.
Le troisième type d’expansion nominale concerne le syntagme prépositionnel, dont Michel Ballard rappelle en préambule que sa tête, la préposition, est très souvent étoffée lors du passage en français. Les syntagmes prépositionnels introduits par with sont tout d’abord étudiés, avec le passage en revue de toutes les traductions possibles de cette préposition (préservation du SP, passage par la juxtaposition, traduction par une relative ou une participiale, etc.), puis ceux introduits par of, préposition dont la fréquence d’emploi et la polysémie font qu’il s’agit souvent d’une traduction plus difficile qu’il n’y paraît à première vue : calque, étoffement de la préposition, commutation avec un syntagme adjectival, transformation en relative ou en participiale, changement de paradigme consistant à élaborer en français une circonstancielle pour traduire le syntagme prépositionnel introduit par of.
Cette dernière méthode de traduction permet à l’auteur d’aborder ce qu’il nomme « la fonction circonstancielle du SP » et les manières de traduire un syntagme prépositionnel soit par un calque de structure (avec une préposition identique ou différente), un déplacement du SP, un passage par la juxtaposition, l’utilisation de la structure profonde, c’est-à-dire de la relative potentielle qui a généré le syntagme prépositionnel, ou une restructuration du syntagme complexe.
Le quatrième type d’expansion nominale qui fait l’objet d’une description plus détaillée est le syntagme adjectival. La première sous-partie a pour objet le groupe adjectival, et plus particulièrement l’ordre et la disposition des adjectifs, les séries adjectivées (adjectifs juxtaposés ou coordonnés), ainsi que la différence de concentration (réduction, développement ou étoffement selon les cas). Le syntagme adjectival peut également être traduit par d’autres formes d’expansion nominale comme une apposition, un SP, une proposition relative ou participiale, une recatégorisation ( également connue sous le nom de « transposition ») ou un changement de paradigme correspondant à une recatégorisation assortie d’un changement de fonction. La deuxième sous-partie concerne le degré de l’adjectif, et sont abordés les variations en concentration et en intensité ainsi que les divers réaménagements possibles lors du passage interlangue.
La partie sur le  génitif, cinquième et dernier type d’expansion nominale, considère ce que l’auteur nomme les « nominalisations génitives », qu’elles soient simples (adjectif possessif + nom) ou complexes (nom + ’s + nom + nominalisation infinitive ou en that).
Ce qu’il ressort de ce long chapitre est que les cinq types d’expansion nominale peuvent se traduire de diverses manières, selon des critères linguistiques, discursifs, ou stylistiques, et que lors du passage interlangue, l’on peut faire appel à un type d’expansion nominale en français pour en traduire un autre en anglais.

Chapitre 19, « Les types de phrases et leurs transformations » : la première sous-partie passe en revue les divers types de phrases selon trois axes : d’abord les phrases atypiques (mots-phrases, mots en apostrophe, phrases sans verbe à un ou deux éléments) avec les différentes valeurs que celles-ci peuvent revêtir, puis les phrases canoniques (phrases avec be, à verbes copulatifs, à verbes intransitifs et à verbes transitifs) et finalement les phrases présentatives.
Cette présentation nous impose deux remarques : l’ordre nous paraît surprenant, car pourquoi ne pas commencer par ce qui est prototypique ? De plus, cette classification qui ne nous semble pas apporter un éclairage suffisamment pertinent aux « traductions-transformations » (seconde sous-partie du chapitre) est sujette à critique, car elle laisse entendre que les phrases présentatives ne sont ni atypiques, ni canoniques ; en d’autres termes, la classification atypiques / canoniques / présentatives ne nous semble pas très fonctionnelle car les termes ne se situent pas sur le même niveau d’étude, les deux premières étant d’ordre morpho-syntaxique alors que la dernière est d’ordre sémantico-discursive.
La seconde sous-partie reprend cette classification en se penchant sur les réagencements possibles ou nécessaires pour traduire les phrases atypiques, canoniques et présentatives, avec la mention que la plupart de ces phrases (et des exemples donnés) peuvent se traduire de façon presque littérale, ce qui nous pousse à nous interroger sur l’utilité ultime de ce chapitre. Néanmoins, les nombreux exemples peuvent être intéressants pour voir les potentialités des traductions proposées. Le chapitre se clôt par une « perspective » sur les phrases simples et les phrases complexes, et le fait qu’en traduction, l’on puisse avoir à passer de l’une à l’autre sans phénomène d’entropie.

Chapitre 20, « Propositions et relations interpropositionnelles » : ce chapitre est la suite logique du chapitre précédent car il étudie les relations que peuvent entretenir les phrases simples, c’est-à-dire ce que l’on appelle en linguistique l’étude de l’énoncé complexe. Ce qui importe dans ce chapitre n’est pas tant la traduction de tous les types de propositions que la transformation de la relation interpropositionnelle lors du passage interlangue.
La première sous-partie consiste en une typologie des propositions et des relations interpropositionnelles : juxtaposition, coordination, subordination (relatives, nominalisations, circonstancielles) sont examinées tour à tour.
Suit une typologie des traductions-transformations de la relation interpropositionnelle, tout d’abord sur l’axe paradigmatique, puis sur l’axe syntagmatique. Les transformations paradigmatiques relèvent de la commutation d’unités ayant la même fonction, à l’instar du passage des propositions à mode personnel à des propositions à mode impersonnel ou de la nominalisation de propositions à mode personnel. Plus intéressantes nous semblent être les transformations syntagmatiques qui font intervenir une modification plus importante de la relation interpropositionnelle, comme l’enchâssement de deux propositions coordonnées ou juxtaposées, le désenchâssement de deux propositions subordonnées, le déplacement de proposition, le chassé-croisé (processus consistant à transformer la principale en subordonnée et vice-versa), le changement de paradigme (entre circonstancielles et relatives) et la segmentation (transformation de deux phrases complexes en deux phrases indépendantes).
La troisième sous-partie explore à l’aide de nombreux exemples les principes mis au jour dans le début du chapitre, en mettant l’accent plus particulièrement sur la juxtaposition, la coordination en and, la relative, la subordonnée en that, et la circonstancielle. Chaque cas de transformation-traduction est systématiquement exemplifié pour les besoins de l’analyse.

Chapitre 21, « Ordre des mots et constructions » : ce chapitre aborde la question de l’ordre des mots aussi bien au niveau du syntagme qu’au niveau propositionnel, et plus spécifiquement des changements par rapport à l’ordre canonique du syntagme ou de la phrase. C’est ainsi que plusieurs cas sont abordés, en commençant par l’inversion, que ce soit l’inversion simple ou bien celle liée à la thématisation en anglais. Sont également examinées les structures à ordre canonique en anglais, mais où il est préférable de pratiquer une inversion lors du passage en français. Suivent l’antéposition d’un circonstant en anglais et celle praticable en français, ainsi que la dislocation (détachement d’un constituant repris dans le cotexte droit par une proforme) dont Michel Ballard note qu’elle est surtout caractéristique du français. Les segments intercalés dans la relation sujet-verbe font l’objet d’une étude prenant en considération les cas d’apposition, de syntagme prépositionnel, de participiale, de subordonnée concessive.
Michel Ballard s’intéresse ensuite aux syntagmes de divers types, et à l’inversion interne qu’ils peuvent exhiber en anglais, à leur enchâssement, puis à leur fréquente disjonction lors du passage en français, ce qui le conduit à traiter des déplacements et changements de paradigmes, que ce soit pour des raisons syntaxiques ou stylistiques.
La dernière sous-partie de ce chapitre traite de l’« hypallage », figure consistant à « mettre en relation un terme avec un support qui n’est pas le sien selon la réalité, la norme » [263]. Une taxinomie de l’hypallage est proposée, suivie des divers schémas d’équivalence selon que l’hypallage est figée ou vive.

Chapitre 22, « Le sujet » : ce chapitre se propose d’examiner les rôles thématiques joués par le sujet, prototypiquement réalisé sous la forme d’un groupe nominal. L’auteur débute par la différence de concentration entre les deux langues, en s’intéressant tout d’abord au rétablissement des sujets occultés pour des raisons stylistiques et ceux effacés (non-instanciés « physiquement ») pour des raisons de coréférence. Il note également l’étoffement en français des sujets existants sous forme de proforme — pronom personnel ou démonstratif —, phénomène extrêmement rare — pour ne pas dire quasiment impossible — en anglais.
Suit une partie intéressante sur l’indétermination du sujet animé humain on en français, et les diverses façons de le rendre en anglais ; si cette partie nous a semblé avoir sa place dans ce chapitre traitant du sujet, elle relève cependant plus du thème (passage du français à l’anglais) que de la version, et semble un peu plaquée à cet endroit.
Suit une partie sur ce que Michel Ballard nomme la réorientation de l’énoncé, ce qui correspond au choix de l’énonciateur de thématiser ou rethématiser un élément de son énoncé selon un ordre défini, cohérent avec le contexte d’énonciation et le cotexte. Les réorientations par rapport à l’impersonnel, à partir de la phrase passive, de la phrase active et par rapport à la structure causative sont tour à tour étudiées et illustrées par de nombreux exemples. Les dernières lignes du chapitre soulignent la tendance du français à privilégier l’animé humain comme sujet, essentiellement lors de la traduction de phrases existentielles, avec be, avec it comme sujet, et au passif en anglais. Michel Ballard reste cependant prudent en notant que cette tendance qui se manifeste lors du passage en français existe également dans certains cas lors du passage à l’anglais.

Chapitre 23, « Répétition, ellipse et mise en facteur » : cet avant-dernier chapitre se propose d’étudier des formes opposées, à savoir la répétition d’un côté, et l’ellipse et la mise en facteur commun de l’autre. Commençons par la répétition qui semble s’opposer au principe d’économie des langues selon lequel on privilégie un message dense à un message long : tout d’abord, l’auteur examine les divers types de répétitions de fragments du signifiant (allitérations, assonances, rimes), de répétitions du signifiant et celles du signifié (répétition synonymique, pléonasme) et les façons de les rendre en français avec diverses réécritures variant selon que les répétitions sont figées ou bien discursives. C’est ensuite l’ellipse qui est abordée, avec ses corollaires, les phénomènes de cohésion discursive et les moyens de la rendre en français. Après que la première sous-partie « repérages et interprétation » a mis en avant le travail cotextuel et contextuel interprétatif que doit effectuer tout traducteur avant de traduire, Michel Ballard propose une typologie de l’ellipse (ellipse paradigmatique et ellipse discursive) et les moyens de rendre ces dernières lors de l’acte de traduction. C’est finalement la mise en facteur commun qui est étudiée, aussi bien dans le cadre du syntagme nominal, prépositionnel que verbal. L’auteur conclut ce chapitre en notant le lien étroit entre ces trois phénomènes et ceux d’anaphore qui sont abordés dans le dernier chapitre.

Chapitre 24, « Référence et cohésion discursive » : après avoir redéfini les notions de « référence » et de « cohésion discursive », Michel Ballard traite de l’exophore et de son lien avec le discours en prenant l’exemple des déictiques (pronoms de première et de seconde personne, marqueurs de temps et de lieu, et démonstratifs), en mettant au jour les similarités et les différences entre l’anglais et le français, et les diverses façons de les rendre : après l’explicitation de la référence des déictiques, le traducteur peut opter pour une conservation, un effacement, une commutation ou bien une insertion de déictiques.
C’est ensuite l’endophore qui est étudiée de façon détaillée sous les angles de la cataphore et de l’anaphore ; cette dernière fait l’objet d’une étude beaucoup plus longue et détaillée, ce phénomène étant plus complexe et sujet à un nombre beaucoup plus important de traductions, essentiellement via les traductions obliques qu’elle permet.
C’est finalement la transformation de la relation interphrastique qui clôt le dernier chapitre, avec l’étude de phrases indépendantes en anglais qui vont être reliées par juxtaposition, coordination ou subordination lors du passage en français. Les diverses façons et modalités de relier des phrases indépendantes sont examinées, mettant une fois encore en relief le fait que des structures syntaxiquement différentes peuvent discursivement jouer un rôle sémantique analogue, rôle sémantique primordial au moment où l’on s’apprête à transmettre un message dans une autre langue.

Comme nous l’avons mentionné en préambule, cet ouvrage se veut la suite de Versus : La version réfléchie — Repérages et paramètres. Selon la quatrième de couverture, « [i]l s’agit tout autant d’un parcours d’initiation que d’un ouvrage de référence permettant de trouver et de situer des solutions par rapport à un ensemble construit ».
On ne peut cependant manquer de remarquer une forte différence entre ce volume et le tome 1 ; en effet, ce qui marque immédiatement le lecteur est la multiplicité des sous-catégories, dans lesquelles on se perd parfois, ainsi que le côté beaucoup plus complexe des processus mis en œuvre dès lors que l’on s’attaque à la morpho-syntaxe, et plus au seul lexique. Ainsi, il nous a semblé que la longueur, la densité des exemples et des catégories, ainsi que certaines classifications parfois trop détaillées pouvaient quelque peu rebuter le traducteur débutant s’il le prenait pour un ouvrage d’initiation.

Ce deuxième tome nous semble donc plus être un ouvrage de référence au vu de ces diverses considérations, et n’en demeure pas moins un excellent outil de travail. Si Michel Ballard est un théoricien et praticien de renom de la traduction, c’est aussi quelqu’un qui sait manier avec précision les concepts linguistiques, que ce soit sur le plan lexicologique ou morpho-sémantique, comme nous l’avons vu dans Versus I, mais également sur le plan morpho-syntaxique, comme le prouve l’utilisation des concepts et de la terminologie linguistiques utilisés dans Versus II.
Une des principales qualités de cet ouvrage réside également dans la constante mise en garde face aux procédés de traduction : si ces derniers constituent un recours indispensable au traducteur, novice ou chevronné, ils ne sont nullement des formules magiques ou mathématiques permettant de traduire tout type de phrase indépendamment de son contexte d’énonciation. Aussi, Michel Ballard a-t-il raison d’appeler à la prudence, et nous trouvons que son ouvrage réussit particulièrement bien ce pari osé, en ce qu’il appelle constamment à une analyse et à une réflexion langagière et discursive requises lors de tout travail de traduction.

 

 

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