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Citoyenneté(s), perspectives internationales
Martine Spensky dir.
Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal, 2003.
24 euros, 211 pages, ISBN 2-84516-232-4

Jacques Carré
Université Paris IV-Sorbonne

 

Ce volume collectif rassemble huit études, précédées d’une substantielle introduction de Martine Spensky qui en dégage le fil conducteur. Quatre de ces études portent sur l’évolution de la citoyenneté dans différents pays, notamment anglophones, et quatre sur la situation des femmes par rapport aux droits du citoyen. Deux chapitres ont une dimension historique plus affirmée, les autres portant sur la fin du vingtième siècle.

Deirdre Gilfedder évoque les ambiguïtés de la citoyenneté australienne durant la première Guerre mondiale, au cours de laquelle périrent des milliers de soldats australiens (le fameux ANZAC). Se battaient-ils au nom du souverain britannique et de l’Empire, ou au nom de leur pays ? La deuxième hypothèse fut évidemment mise en valeur dans les années 1920 par les dirigeants du pays. La double allégeance est aussi, toutes proportions gardées, le sujet de l’étude de Keith Dixon sur l’hypothèse d’une citoyenneté hybride en Ecosse. L’auteur discerne dès maintenant « une différence, pour ce qui est de leurs droits politiques et sociaux, entre les citoyens britanniques, selon leur lieu d’insertion sur le territoire national ». Dans son étude sur la citoyenneté dans la Russie des années 1991-2001 Philippe Comte propose le curieux concept de « citoyenneté dormante », selon lequel l’histoire russe serait parsemée de « réveils civiques » dans les moments de crise grave.

Raphaële Espiet évoque les implications politiques de l’impôt local par capitation (« Poll tax ») institué par Margaret Thatcher en 1990. Même s’il fut présenté comme égalitaire par le gouvernement, il représentait une sérieuse augmentation de l’impôt local pour les plus pauvres et incita certains à ne pas se faire inscrire sur les listes électorales afin d’y échapper. Ce recul de la citoyenneté politique était-il intentionnel ? Quoiqu’il en soit, il s’accordait parfaitement avec la définition thatchérienne d’une citoyenneté désormais plus économique que politique.

La deuxième partie de l’ouvrage s’ouvre avec une originale contribution d’Alisa Del Re sur « Le genre comme paradigme de la citoyenneté ». Tout en admettant les limites de la définition de la citoyenneté par T.H. Marshall, elle souligne la nécessité d’une meilleure articulation entre les trois types de droits (civiques, politiques et sociaux) et ainsi que l’intérêt de « l’image de la citoyenneté idéale » qui, selon Marshall, informe toute réflexion sur le sujet. Pour A. Del Re une définition sexuée de la citoyenneté à part entière devrait notamment inclure les droits concernant la reproduction (devenir mère ou non, charges familiales). Selon elle, il ne s’agirait pas seulement d’une addition de droits, mais d’un enrichissement de la définition du citoyen modèle de référence. Danièle Bussy-Genevois étudie la citoyenneté féminine durant la seconde république espagnole (1931-1936). Dans cette période où l’Espagne était à l’avant-garde des démocraties parlementaires, les stratégies gouvernementales et les pratiques des femmes ne coïncidèrent pas entièrement. Les avancées de cette époque sur le droit de vote des femmes et l’assurance maternité se doublèrent d’une entrée des femmes sur la scène publique et dans les médias. L’étude d’Anouk Guiné sur les droits des individus et les droits culturels a pour thème l’excision en Grande-Bretagne. Elle montre les contradictions entre l’existence d’une loi anti-excision (datant de 1985) et, en pratique, l’absence de protection de beaucoup de femmes, notamment Somaliennes, contre cette violence faite à leur corps. Elle détaille les nombreux obstacles à l’application de la loi, qui sont notamment liés à la racialisation du débat sur le sujet.

Dans la dernière étude, Bérengère Marques-Pereira analyse les arguments présentés dans le débat sur la parité hommes/femmes dans les institutions, qui a eu lieu récemment en Belgique. Elle souligne la profonde différence entre les perceptions de la citoyenneté dans ce pays et dans le nôtre : « En Belgique, la citoyenneté s’inscrit dans une immanence sociale et non dans une transcendance nationale comme en France ». Chez nous, « peuple et nation ne se jouent pas sur le mode de la représentativité, mais sur le mode de la fiction et de l’abstraction ».

Ce riche ensemble d’études, on le voit, a de quoi nous interpeller, et nous fait mesurer les obstacles aussi bien culturels que politiques à l’exercice d’une vraie citoyenneté.

 

 

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